« Attendu que si l'article L. 1132-1 du Code du travail, faisant interdiction de licencier un salarié notamment en raison de son état de santé ou de son handicap, ne s'oppose pas au licenciement motivé, non par l'état de santé du salarié, mais par la situation objective de l'entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l'absence prolongée ou les absences répétées du salarié, celui-ci ne peut toutefois être licencié que si ces perturbations entraînent la nécessité pour l'employeur de procéder à son remplacement définitif par l'engagement d'un autre salarié, lequel doit s'opérer dans l'entreprise qui l'emploie ».
Si l'on ne saurait dire que le Code du travail ignore le groupe de sociétés, il faut toutefois constater que les dispositions qui l'envisagent sont en nombre extrêmement limité, spécialement en matière de relations individuelles de travail. Ces lacunes doivent toutefois être relativisées, dans la mesure où, en règle très générale, le fait que la personne morale employeur appartienne à un groupe n'emporte concrètement guère de conséquences sur la situation personnelle des salariés qui lui sont contractuellement liés. Lorsqu'il en va différemment, quelques règles de principe essentielles paraissent suffire à encadrer les relations de travail qui se développent au sein des groupes. On songe principalement ici à l'autonomie juridique des personnes morales qui composent le groupe de sociétés et à l'une de ses conséquences, à savoir la règle selon laquelle les salariés n'ont d'autre débiteur d'obligations que leur employeur, ferait-il partie d'un tel groupe(1). Pour être essentielles, ces exigences n'en restent pas moins fréquemment méconnues en pratique, ainsi qu'en témoigne l'arrêt rapporté.
En l'espèce, M. F... avait été engagé en 1998 par la société Cisco systems France en qualité d'analyste financier. En arrêt maladie à compter du 19 mars 2007, alors qu'il travaillait au sein d'un service commun aux sociétés du groupe Cisco, il a été licencié le 21 septembre 2007, aux motifs de la perturbation causée par son absence et de la nécessité de son remplacement définitif. Pour juger que le licenciement de l'intéressé était fondé sur une cause réelle et sérieuse, les juges d'appel avaient retenu que les cadres de la société Cisco systems France ayant diligenté et suivi le recrutement de Mme Y... étaient les supérieurs du salarié licencié, que Mme Y... travaillait au sein de l'équipe européenne de l'organisation WWSPS, équipe au sein de laquelle officiait M. F... avant son licenciement, enfin que Mme Y... avait été recrutée sous contrat à durée indéterminée et à temps plein, au sein de l'équipe européenne. Il importait donc peu qu'elle ait été engagée par la société Cisco systems Belgique.
L'arrêt est censuré par la Cour de cassation au visa de l'article L. 1132-1 du Code du travail et pour le motif de principe reproduit ci-dessus. Ainsi que l'affirme la Chambre sociale, « en statuant ainsi alors qu'elle avait constaté que la salariée censée remplacer M. F... avait été engagée par une autre société du groupe, la cour d'appel a violé le texte susvisé ».
Particulièrement didactique, le motif de principe de l'arrêt rappelle tout à la fois les exigences de principe présidant au licenciement d'un salarié absent pour maladie et les modalités de leur mise en oeuvre, sans toutefois complètement épuiser cette question. Les premières sont suffisamment connues pour qu'il ne soit pas nécessaire d'y revenir en détail. Si le licenciement du salarié ne saurait être motivé par son état de santé, il peut l'être par la situation objective de l'entreprise dont le fonctionnement est perturbé par l'absence prolongée ou les absences répétées du salarié. Mais encore faut-il que l'employeur démontre la nécessité qui est la sienne de procéder au remplacement définitif du salarié(2).
C'est ce dernier point, et plus précisément son appréciation concrète, qui suscite le plus de difficultés et génère la majorité du contentieux en la matière. Reprenant une solution énoncée par l'Assemblée plénière il y a quelques mois(3), la Chambre sociale rappelle que le « remplacement définitif » s'entend nécessairement de l'engagement d'un autre salarié(4). Ainsi que l'avait relevé Mme Lardy-Pélissier à propos de cette solution, « (le) remplacement doit être effectué dans la même entreprise par celui qui a été l'auteur du licenciement du salarié absent, longtemps ou souvent ». L'arrêt rapporté confirme la justesse de cette affirmation, en ajoutant, à l'exigence précitée, la nécessité que l'engagement du salarié « s'opère dans l'entreprise qui l'emploie ».
Il faut ici comprendre que l'employeur qui licencie doit aussi embaucher le remplaçant. Cette solution, évidente lorsque la personne morale n'appartient pas à un groupe de sociétés(5), est pleinement justifiée dans l'hypothèse inverse. On peut certes admettre que la salariée qui avait été en l'espèce recrutée par contrat à durée indéterminée occupait les fonctions qui étaient antérieurement dévolues au salarié licencié. Mais le principe de l'autonomie juridique des personnes morales qui composent le groupe interdit à l'employeur qui rompt le contrat de travail du salarié absent pour maladie de se prévaloir de l'embauche réalisée par une autre société, ferait-elle partie du même groupe que lui(6). Il pourrait, à notre sens, en aller différemment si les deux sociétés en cause avaient la qualité de co-employeur(7). De même que le licenciement prononcé par l'un entraîne la rupture du contrat de travail à l'égard de l'autre(8), l'embauche réalisée par celui-ci pourrait profiter à celui-là(9). Si cette solution devait être retenue, elle aurait sans doute des conséquences sur l'appréhension de l'exigence première que l'absence du salarié perturbe le bon fonctionnement de l'entreprise. Cette « entreprise » n'épouserait alors plus les seuls contours de la personne morale employeur, mais engloberait également celle du co-employeur.
Un tel « décloisonnement » entre les entreprises du groupe ne devrait pas, au demeurant, être uniquement lié à la caractérisation d'une situation de co-emploi. Il suffit, pour s'en convaincre, de supposer que, dans l'affaire ayant conduit à l'arrêt rapporté, la salariée remplaçante de M. F... ait été embauchée par son propre employeur. Ce dernier aurait été sans doute bien en peine de démontrer que l'absence de ce salarié perturbait le fonctionnement de « son » entreprise, pour cette simple raison que le salarié n'y exerçait pas à proprement parler ses fonctions. Rappelons que ce dernier travaillait pour un « service commun » aux sociétés du groupe. C'est donc moins le fonctionnement de l'entreprise qui était éventuellement perturbé par son absence, que celui de ce « service commun » et, par extension, de toutes les entreprises qui en dépendaient. Sans doute est-ce cela qui aurait dû alors être démontré.
C'est au fond là la seule conséquence du fait que la personne morale employeur appartienne à un groupe de sociétés(10). Pour le reste, il convient de s'en tenir à l'autonomie juridique de ces personnes morales, qui suffit à justifier en droit la solution retenue par la Cour de cassation. Admettre que la société qui embauche le salarié « remplaçant » ne soit pas celle qui a licencié le salarié « remplacé » aurait enfin pu conduire à de biens fâcheuses conséquences. L'employeur du salarié licencié aurait ainsi été en mesure de supprimer purement et simplement l'emploi de ce salarié, remplacé dans ses fonctions par un salarié embauché par une autre société du groupe, éventuellement située dans un pays où le coût de la main-d'oeuvre est moindre.