Soc. 7 mars 2012 n° 11-11.311
« Attendu qu'après avoir relevé par motifs propres et adoptés que l'emploi de reclassement proposé au salarié n'était pas accessible à celui-ci malgré une formation professionnelle, que celle délivrée en binôme sur le poste pendant quarante-cinq jours s'était avérée inefficace dans la mesure où c'est une formation initiale qui faisait défaut à l'intéressé lequel avait des aptitudes manuelles mais aucune compétence en informatique et comptabilité, la cour d'appel a pu en déduire, sans encourir les griefs du moyen, que le poste proposé pour le reclassement n'était pas approprié aux capacités du salarié »
À l'occasion du reclassement d'un salarié inapte, une difficulté, rarement soumise à la Cour de cassation, porte sur les conditions et le caractère pérenne de la réaffectation de l'intéressé. La loi impose en effet que l'employeur recherche et, éventuellement, propose un emploi approprié et aussi comparable que possible à celui précédemment occupé. C'est cette question de la compatibilité de l'état de santé (réduit) de l'inapte avec le nouvel emploi de reclassement que la Chambre sociale a examinée, dans l'arrêt en date du 7 mars 2012 qui sera publié au Bulletin.
En l'espèce, le salarié recruté en tant que magasinier-cariste a été victime d'un accident du travail, à la suite duquel il a été déclaré inapte par le médecin du travail. À cette occasion, le praticien avait indiqué que l'intéressé pouvait « effectuer des tâches simples en position assise ou debout telles que des tâches administratives, standard téléphonique et activité commerciale ». Le reclassement s'effectua alors sur un poste de guichetier mais, deux mois plus tard, en raison de l'insuffisance professionnelle du travailleur, celui-ci fut licencié. Considérant qu'il y avait là un lien avec son état de santé, le salarié demanda au juge prud'homal la nullité de la rupture. L'employeur, à l'initiative du pourvoi, arguait que les représentants du personnel et le médecin du travail avaient émis un avis favorable au reclassement sur le poste de guichetier et qu'une formation professionnelle prolongée avait été délivrée pour permettre l'exercice des nouvelles fonctions. Ces arguments sont rejetés par les juges du droit qui, suivant en cela la solution dégagée par la cour d'appel, considèrent que la formation professionnelle dispensée ne pouvait être qu'inefficace : l'intéressé n'ayant aucune compétence en informatique et en gestion, c'est une formation initiale qui lui faisait défaut. Par conséquent, l'emploi de reclassement n'était pas accessible au travailleur et était donc inadapté à ses capacités.
Une telle solution demeure classique au regard de la jurisprudence antérieure sur l'exécution de l'obligation patronale de reclassement en matière d'inaptitude du salarié. Les caractéristiques de l'emploi de reclassement devant être recherchées, pour être éventuellement proposées à l'intéressé sont précises (I). En effet, si l'objet de l'obligation de reclassement demeure d'éviter le licenciement, la réaffectation doit être envisagée de façon pérenne (II).
I. - Les caractéristiques de l'emploi de reclassement
Dans un attendu qui n'est qu'un rappel de la loi, la Cour de cassation précise que l'emploi de reclassement dans lequel peut être réaffecté le salarié inapte doit répondre à une double exigence. Il doit s'agir d'un emploi, d'une part, approprié aux capacités du travailleur et, d'autre part, aussi comparable que possible à l'emploi occupé précédemment.
En premier lieu, l'emploi de reclassement doit pouvoir être effectivement occupé par le salarié inapte qui présente, par définition des capacités réduites (en l'espèce, consécutives à un accident du travail). À cet égard, l'appréciation du médecin du travail demeure déterminante. Ainsi, celui-ci dispose d'une compétence générale pour apprécier la corrélation entre le poste de travail et l'état de santé du salarié. C'est également la raison pour laquelle, en matière d'inaptitude d'origine professionnelle ou non, le législateur distingue l'emploi éventuellement proposé par l'employeur et les tâches susceptibles d'être accomplies par le travailleur. La notion de tâches, plus restrictives, concerne ici exclusivement l'intervention du médecin du travail qui examine l'aptitude de l'intéressé « à exercer une des tâches existant dans l'entreprise ». Le praticien se prononce uniquement sur les activités et fonctions que le travailleur pourra potentiellement effectuer et remplir. C'est en revanche à l'employeur d'envisager éventuellement un emploi en vue de favoriser le reclassement. Cet emploi proposé dépend donc de l'appréciation de l'employeur, en fonction des tâches que le salarié est, selon le médecin du travail, en mesure d'accomplir.
En second lieu, l'emploi de reclassement doit être aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé. L'obligation de reclassement ne vise donc pas à imposer à l'employeur de rechercher un emploi similaire. Une telle exigence se retrouve plus précisément en matière de réintégration, dès lors que le salarié a été déclaré apte : l'emploi similaire est alors celui qui comporte le même niveau de rémunération, la même qualification, et les mêmes perspectives de carrière que l'emploi initial. Dans l'hypothèse d'une inaptitude, l'emploi de reclassement peut différemment être équivalent à celui occupé initialement. Il s'agirait alors d'un emploi permettant au travailleur de remplir des fonctions analogues ou voisines, avec de très faibles variantes dans l'exécution du labeur. Une telle solution demeure rare, puisque l'état de santé du salarié inapte est nécessairement détérioré. C'est pourquoi le reclassement s'opère plus souvent sur un emploi différent soit d'une catégorie inférieure soit avec un changement de qualification professionnelle comme c'est le cas en l'espèce. Une adaptation est nécessaire et le salarié reclassé doit alors être accompagné dans son nouveau poste : l'employeur avait ici organisé le travail de l'intéressé en binôme pendant quarante-cinq jours, soit huit fois plus que la durée normale de formation, ce qui s'était révélé néanmoins inefficace. Ainsi, pour la Cour de cassation, les compétences requises nécessitaient la maîtrise de l'informatique et de la comptabilité, ce qui faisait défaut au requérant. Seule une formation initiale eût pu permettre de combler ses lacunes et faciliter par conséquent son reclassement. Si la formation professionnelle (renforcement et élargissement des compétences du salarié) est une voie du reclassement, cela n'implique nullement de pallier l'insuffisante formation initiale de l'intéressé.
La Cour de cassation a déjà eu l'occasion de préciser en matière de licenciement pour motif économique que, si l'employeur a bien l'obligation d'assurer l'adaptation des salariés à l'évolution de leur emploi, au besoin en leur assurant une formation complémentaire, il ne peut lui être imposé d'assurer la formation initiale qui leur fait défaut. Dans le cas présent, la Chambre sociale en conclut que l'emploi de reclassement proposé n'était pas approprié, car trop difficilement accessible au salarié déclaré inapte qui n'avait que des aptitudes manuelles. Il ne s'agit par conséquent pas d'une insuffisance professionnelle comme l'avait avancé l'employeur, mais d'une mauvaise exécution de l'obligation de reclassement : l'échec de la solution de réaffectation mise en oeuvre par l'employeur permet ainsi de conclure au caractère inapproprié de l'emploi de reclassement. Cet emploi devant être aussi comparable que possible à l'emploi précédent, celui qui ne peut être occupé faute d'une formation initiale suffisante du salarié ne peut correspondre. A contrario, ces précisions amènent à considérer que le reclassement du salarié ne peut être envisagé que dans un emploi compatible pour lequel, les aptitudes, capacités et compétences du salarié inapte n'en sont pas trop éloignées. Si une action de formation professionnelle est insuffisante pour assurer le reclassement, c'est que l'emploi de réaffectation n'est pas approprié. Outre l'état de santé réduit du salarié, l'exécution de l'obligation patronale de reclassement impose par conséquent de considérer le profil de l'intéressé. La jurisprudence se révèle ici cohérente, puisque le faible niveau de qualification professionnelle du salarié, ses compétences techniques et linguistiques limitées ou son illettrisme permettent à l'employeur d'établir l'impossibilité de réaffectation, sans encourir de sanction pour manquement à l'obligation de reclassement.
II. - Une réaffectation pérenne
Sans que cela soit indiqué dans l'arrêt, la décision du 7 mars 2012 se fonde sur le caractère continu des obligations de reclassement. La réaffectation du salarié inapte doit en effet permettre le maintien durable et pérenne du salarié dans l'emploi qui lui a été proposé. Il est ainsi de jurisprudence constante qu'il est impossible de reprocher à un salarié victime d'un risque professionnel de ne pas pouvoir remplir correctement les nouvelles attributions qui lui ont été confiées. L'inadéquation entre l'individu et l'emploi proposé conformément à l'obligation de reclassement demeure liée à l'accident du travail ou à la maladie professionnelle ; en conséquence, la rupture du contrat de travail n'est envisageable qu'en cas d'impossibilité de reclasser à nouveau. Ainsi, l'employeur doit proposer au salarié inapte, ne pouvant s'adapter à l'emploi dans lequel il a été reclassé, un autre emploi approprié à ses capacités. De même, l'échec de deux tentatives de reclassement ne dispense pas l'employeur de nouvelles recherches de réaffectation. L'affectation du salarié inapte dans un emploi se révélant inapproprié ne libère pas l'employeur de l'obligation de reclassement. En refusant que celui-ci justifie le licenciement par l'inadaptation réelle du salarié sur l'emploi de reclassement (le salarié ne pouvait pas y travailleur seul), la Cour de cassation confirme ici le caractère continu de l'exécution de l'obligation de reclassement.
Face à cette contrainte, l'employeur n'est pas démuni. Il peut tout d'abord se retourner vers l'administration du travail. Pourtant très peu sollicité en pratique, le recours à l'inspecteur du travail est en effet envisageable pour résoudre une complication consécutive au reclassement du salarié inapte. Le juge administratif considère d'ailleurs que le recours administratif n'est pas encadré dans un quelconque délai et peut être introduit postérieurement à la rupture de la relation de travail.
L'employeur peut également et une jurisprudence ancienne précise qu'il lui appartient même, en cas de difficulté ou de désaccord tenant à l'inaptitude du salarié à occuper l'emploi de reclassement proposé par le médecin du travail, de solliciter l'avis de ce dernier. Les problèmes résultant de la réaffectation peuvent ainsi être soumis à l'analyse des services de santé au travail. À cet égard, la jurisprudence précise que les échanges de l'employeur avec l'inspecteur du travail et le médecin du travail au sujet du reclassement d'un salarié inapte peuvent permettre d'établir que l'employeur a bien « mis en oeuvre les procédures nécessaires au reclassement ». Recours possible, l'intervention du médecin du travail peut aussi être une garantie de la bonne exécution de l'obligation de reclassement.
Par ailleurs, outre l'obligation générale de l'employeur d'adapter les salariés à l'évolution de leur poste de travail et au maintien de leur capacité à occuper un emploi, la loi du 24 novembre 2009 étend le cadre des suggestions que le médecin du travail peut formuler, en cas d'inaptitude consécutive à un risque professionnel. Même si cette disposition n'était pas applicable au cas d'espèce, il est important d'observer que, dorénavant, dans les entreprises d'au moins cinquante salariés, le médecin du travail formule des indications sur la formation dont le salarié inapte pourrait bénéficier pour être affecté à un poste adapté.