Les premières expériences de vote électronique en entreprise ont suscité crainte et réticence de la part des électeurs-salariés, des syndicats, des représentants syndicaux et des élus. La Cour de cassation elle-même a donné à ce mouvement de suspicion une traduction juridique, en invalidant - avant que le législateur ne les autorise - les premiers scrutins électroniques mis en place par voie de négociation préélectorale (protocoles d'accords préélectoraux). Pour justifier cette censure, elle avait fait remarquer que ce mode de votation rendait impossible le scrutin secret sous enveloppe, la déclaration publique de clôture du scrutin et le contrôle des opérations électorales par les électeurs et les délégués de liste(2) ; mais la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 (art. 54, II) autorisa finalement le recours au vote électronique « dans les conditions et selon les modalités définies par décret en Conseil d'État ». C'est pourquoi la Cour de cassation s'autorisa à revenir sur sa position, avant même l'édiction du règlement annoncé.
Depuis l'arrêt du 8 décembre 2004(3), la Cour de cassation a reconnu la licéité d'une telle modalité de vote, dès lors que les dispositions du protocole d'accord le prévoyant permettent d'assurer « l'identité des électeurs ainsi que la sincérité et le secret du vote électronique, comme la publicité du scrutin, conformément aux principes généraux du droit électoral »(4). Quelle traduction fallait-il donner à ces quatre conditions qu'aucun texte d'application n'était encore venu expliquer ? En réalité, ce sont de précédentes expériences de vote électronique, notamment en matière d'élections ordinales, qui avaient permis de déceler les difficultés inhérentes à ce mode de votation.
La première difficulté relevée tenait à l'authentification des votants ; comment éviter que les électeurs n'utilisent le droit d'autrui ? C'est pourquoi il était important que la reconnaissance de l'identité des électeurs se fasse par la composition d'un mot de passe ou d'un code propre à chaque électeur ; il n'en est pas moins vrai que ce mot de passe ou ce code peut être confié à autrui, ce qui peut avoir pour effet d'introduire dans l'entreprise une sorte de vote par procuration (pourtant interdit en matière d'élections des représentants du personnel) ; cette question n'est pas totalement réglée aujourd'hui, ce qui permet toujours d'affirmer que cette pratique de votation repose sur une reconnaissance seulement présumée de l'identité de celui qui a voté.
Concernant la sincérité du scrutin, on prit rapidement conscience qu'il fallait organiser le lieu de votation ; l'individu pouvait voter chez lui, depuis son micro-ordinateur personnel ; mais s'il votait dans l'entreprise, la question s'est posée de savoir s'il ne fallait pas organiser sur les lieux du travail un endroit spécifiquement destiné au vote, doté du matériel adéquat, de manière à permettre à l'électeur de s'isoler - surtout pour ceux qui ne disposaient pas d'un micro-ordinateur personnel - et ainsi d'échapper aux pressions de ses collègues.
L'exigence tirée du secret du vote justifiait que la communication électronique soit, après validation personnelle faite par l'électeur, sécurisée, de manière à faire échec aux piratages et aux intrusions malveillantes.
Enfin, il fallait s'assurer de la publicité du scrutin, au moment tant de sa préparation que de ses résultats ; cela impliquait une information suffisante des électeurs sur les conditions du vote ; les organisateurs devaient aussi garantir la sincérité du dépouillement et assurer une déclaration publique des résultats après la clôture du scrutin - avec un système de verrouillage pour assurer leur sécurisation - ; l'attention devait être portée sur l'organisation d'un système transparent et indépendant de contrôle de l'ensemble des opérations électorales.
Mais on ne pouvait laisser se développer les expériences de vote électronique, différentes d'une entreprise à l'autre, sans assurer au système son unité ; c'est pourquoi le gouvernement adopta le décret annoncé par le texte de loi.
Les quatre exigences qu'avait posées la Cour de cassation dans son arrêt du 26 avril 2006 pour justifier le recours au vote électronique - garanties tenant à l'identification des électeurs, au secret et à la sincérité du vote, enfin à la publicité du scrutin - se retrouvent dans le dispositif réglementaire résultant du décret et de l'arrêté publiés le 25 avril 2007(5).
Ces deux textes complémentaires ne se contentent pas de réglementer les conditions d'utilisation (II) de ce mode de votation, que la Cour de cassation n'a de cesse aujourd'hui de protéger et d'encourager. Ils s'emparent également de la question de son introduction dans l'entreprise (I), en privilégiant la voie de la négociation collective, de manière à laisser aux partenaires sociaux la maîtrise de son recours.
I. - L'introduction du vote électronique dans l'entreprise : une pratique entre les mains des partenaires sociaux
Si la Cour de cassation a montré initialement qu'elle n'était pas favorable à une généralisation du vote électronique (A), elle a par la suite fait évoluer sa jurisprudence en facilitant son introduction dans l'entreprise (B).
A. - La genèse : le refus d'associer le vote électronique à un référendum
Depuis la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004, le législateur autorise « dans les conditions et selon les modalités définies par décret en Conseil d'État »(6) le recours au vote électronique pour les élections des délégués du personnel et des membres du comité d'entreprise. Parce que cette loi et le décret qui l'accompagne n'excluent pas l'utilisation du scrutin électronique dans l'hypothèse d'une consultation des salariés, ils auraient pu venir à l'appui d'une solution légitimant, dans l'affaire jugée le 27 janvier 2010(7), son recours.
Mais la Cour de cassation n'a pas souhaité mettre le vote électronique au service de la consultation des salariés. Dans cette affaire, l'illicéité du référendum électronique se déduisait de la lettre du décret du 28 janvier 2005 que le gouvernement avait du prendre en application de l'ancien article L. 2232-12, 1° (loi du 4 mai 2004). À l'article D. 2232-2, 1°, il est effectivement indiqué que la « consultation a lieu pendant le temps de travail, au scrutin secret et sous enveloppe ». C'est pourquoi la Cour de cassation a choisi de couper court, en rejetant toute possibilité de vote électronique dans cette hypothèse. Dans la décision du 27 janvier 2010, on retrouve finalement cette réserve que la Cour de cassation avait déjà exprimée dans l'arrêt du 20 octobre 1999(8), lorsque le législateur ne prévoyait pas l'éventualité d'un vote électronique pour l'élection des délégués du personnel et les membres du comité d'entreprise.
Mais la solution pouvait tout de même laisser prise à la critique.
Ne fallait-il pas d'abord s'interroger sur la qualification des faits et, partant, sur l'adéquation de l'article D. 2232-2 à la situation présente ?
En l'espèce, l'initiative du référendum venait d'un syndicat, à l'image, très certainement de ce qui était prévu par l'ancien article L. 2232-12, 1° du Code du travail ; mais ce texte était assez restrictif sur les conditions de présentation d'une telle demande, puisqu'il fallait être préalablement en présence d'un accord qui n'avait pas recueilli la signature de syndicats majoritaires (signature par « une ou des organisations syndicales de salariés représentatives ayant recueilli au moins la moitié des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections au comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel »). Personne n'a pensé à vérifier la réalisation de cette condition. On pouvait donc, dans cette affaire, s'interroger sur la licéité du référendum lui-même.
Surtout, on aurait pu trouver dans la loi du 4 mai 2004 des raisons de douter de la légitimité d'y recourir. L'article D. 2232-2 ne concerne que les référendums prévus aux anciens articles L. 2232-12 à L. 2232-15 du Code du travail et L. 2232-25 à L. 2232-27. Or rien ne montrait qu'il s'agissait d'une consultation venant accompagner la négociation menée par un salarié mandaté (anc. art. L. 2232-25 à L. 2232-27). Il n'était pas davantage démontré qu'il s'agissait d'une consultation accompagnant la négociation d'une convention collective n'intéressant qu'une catégorie professionnelle relevant d'un seul collège électoral (anc. art. L. 2232-15). Enfin, rien n'indiquait que cette entreprise connaissait une carence d'élections professionnelles justifiant, sur le mode de l'ancien article L. 2232-14 du Code du travail, un référendum.
C'est pourquoi il fallait nécessairement se trouver dans la situation visée à l'ancien article L. 2232-12, 1° pour justifier le recours au référendum ; selon ce texte, la consultation n'était possible que si une convention ou un accord de branche étendu avait prévu son éventualité. Pourtant, on pouvait fortement douter de l'existence d'un tel accord, les partenaires sociaux ayant largement montré qu'ils étaient hostiles à ce système dit de la « majorité d'engagement ». L'attention aurait donc pu se porter sur cette carence de convention ou d'accord étendu, plutôt que de se concentrer uniquement sur la question de la compatibilité d'un référendum et d'un scrutin électronique.
Toujours est-il que cette décision - une des premières rendues à la suite du décret et de l'arrêté du 25 avril 2007 - affichait une hostilité manifeste à l'égard des référendums électroniques. S'il était vrai, dans cette affaire, qu'aucun texte visé ne prévoyait le recours au vote électronique, il était également exact qu'aucun autre texte que celui de l'article D. 2232-2, 1 du Code du travail (dont on ne sait s'il était véritablement applicable aux faits) n'excluait un tel recours.
L'arrêt du 27 janvier 2010 risquait de bloquer toute nouvelle expérience de vote électronique en dehors des hypothèses visées par le décret et l'arrêté du 25 avril 2007. Depuis lors, la Cour de cassation a fait évoluer sa jurisprudence.
B. - Les suites : les ouvertures données à la négociation préélectorale
Pour l'élection des délégués du personnel et les membres du comité d'entreprise, peut-on organiser un vote électronique 24 heures sur 24 sans passer par la conclusion d'un protocole d'accord unanime entre l'employeur et les organisations syndicales intéressées ? Telle était la question posée à la Chambre sociale de la Cour de cassation dans l'arrêt rendu le 5 avril 2011(9).
En l'espèce, l'employeur avait obtenu des syndicats intéressés aux élections la possibilité de mettre en place un vote électronique ; à cette fin, on doit rappeler qu'un employeur doit d'abord négocier avec les syndicats représentatifs un accord collectif de droit commun en vue de faire admettre ce mode de votation (C. trav., art. L. 2314-21 ; L. 2324-19, al. 2) ; c'est dans un deuxième temps qu'il lui faut obtenir la conclusion d'un protocole d'accord préélectoral dans le but d'en prévoir les modalités (C. trav., art. L. 2314-23 ; L. 2324-21) ; rien n'indiquait dans cette affaire que ce double étage de conventions faisait défaut ; en revanche, le demandeur au pourvoi se plaignait d'une violation des conditions de formation du protocole d'accord préélectoral, dont le régime avait été réformé par la loi du 20 août 2008 ; depuis cette loi, la conclusion d'un protocole d'accord préélectoral doit répondre, aux termes de l'article L. 2314-3-1 et L. 2324-4-1 du Code du travail, à une double condition de majorité(10), qui ne s'efface que devant quelques exceptions, au titre desquelles figure l'organisation d'un vote en dehors du temps de travail. Deux voies s'offraient aux juges pour répondre à la question posée : en rendant indifférente toute référence à l'obligation de voter pendant le temps de travail, on pouvait faire échapper la question de l'introduction du vote électronique à la condition d'un accord unanime ; mais on pouvait aussi s'en tenir à une interprétation stricte des articles L. 2314-22 et L. 2324-20 du Code du travail - qui ne distinguent pas selon le mode de votation - en considérant qu'il y avait lieu de recueillir, dans le cadre de la négociation préélectorale, l'unanimité des syndicats intéressés.
S'appuyant sur la spécificité du vote électronique - qui, en échappant aux rigidités propres au vote physique, rend indifférente la présence du salarié dans l'entreprise -, la Cour de cassation a préféré écarter, sur la question de son introduction dans l'entreprise, l'exigence de l'unanimité des signatures syndicales.
À notre avis, cette solution doit être approuvée : en instituant la règle selon laquelle le vote a lieu pendant le temps de travail, le législateur voulait surtout lutter contre l'abstentionnisme. Il souhaitait offrir des facilités au salarié, pour éviter qu'il n'ait à se déplacer pendant son temps de repos à des fins électorales ; or ces facilités sont intrinsèques au vote électronique, lequel n'offre pas moins de qualités que le vote physique organisé dans l'entreprise pendant le temps de travail(11). Il n'était donc nullement besoin de durcir les conditions de conclusion de l'accord préélectoral introduisant le vote électronique sur le fondement d'une dérogation à la règle selon laquelle le vote a lieu pendant le temps de travail.
On remarque aussi que le décret du 25 avril 2007 n'aborde pas la question posée aux juges ; il se contente d'indiquer que le vote électronique se déroule, pour chaque tour de scrutin, pendant une « période délimitée » ; on n'y trouve aucune référence tenant à l'obligation de le placer pendant le temps de travail.
Avec l'arrêt du 5 avril 2011, la Cour de cassation a finalement montré la volonté de donner une plus grande ampleur au vote électronique, en facilitant son recours. En d'autres occasions, elle s'est montrée encline à en assouplir les conditions d'utilisation.
II. - Les conditions d'utilisation du vote électronique dans l'entreprise : un instrument entre les mains de la Cour de cassation
Les prescriptions du décret et de l'arrêté du 25 avril 2007 s'affichaient comme minimales (A) ; cette précision, qui pouvait laisser croire qu'elles étaient d'ordre public (c'est-à-dire insusceptibles de faire l'objet de dérogations conventionnelles), n'a pas empêché la Cour de cassation à en valider certains aménagements (B).
A. - Des prescriptions réglementaires présentées comme minimales
On ne peut être étonné de retrouver dans le dispositif réglementaire les quatre exigences qu'avait posées la Cour de cassation dans son arrêt du 8 décembre 2004(12) - identité des électeurs, secret du vote, sincérité du vote, publicité du scrutin.
L'identité des électeurs est effectivement garantie par l'attribution nominative d'un moyen d'authentification ; lorsqu'il se connecte au système de vote (sur place ou à distance), l'électeur doit activer ce moyen d'authentification pour se faire reconnaître ; il devient ensuite impossible à quiconque de voter de nouveau avec les mêmes moyens d'authentification.
Le respect du secret du vote électronique ne passe pas seulement par l'attribution d'un moyen d'authentification : il faut aussi que la communication électronique soit sécurisée, de manière à faire échec aux interceptions frauduleuses. C'est pourquoi le vote doit être transmis dans un langage crypté.
De nombreuses dispositions du décret et de l'arrêté visent aussi à garantir la sincérité du scrutin, tant au niveau du déroulement du scrutin qu'au moment de son dépouillement. Avant sa mise en place, le système de vote fait l'objet d'une « expertise indépendante » dans le but de s'assurer de la bonne application des prescriptions réglementaires, notamment de la règle imposant une stricte séparation entre le « fichier des électeurs » et celui qui est destiné à recueillir les votes (fichier appelé « contenu de l'urne ») ; il appartient également à une « cellule d'assistance technique » de procéder, avant l'ouverture du scrutin, à des tests préliminaires destinés à s'assurer de la fiabilité du système de vote ; les membres du bureau de vote et les « personnes désignées ou habilitées pour assurer le contrôle des opérations électorales » seront chargées, en particulier, d'organiser un contrôle des heures d'ouverture et de fermeture du scrutin. De manière plus générale, l'ensemble des opérations électorales est placé « sous le contrôle effectif des représentants » de l'organisme qui a mis en place le système de vote ; il revient notamment à cet organisme de prévoir un système de secours susceptible de prendre le relais si le dispositif mis en place tombe en panne.
La publicité du scrutin implique enfin une information suffisante des électeurs sur les conditions du vote (sous la forme d'une « notice d'information »), une formation des représentants du personnel, des délégués syndicaux et des membres du bureau de vote sur le fonctionnement du système de vote ; même si le décret et l'arrêté du 25 avril 2007 restent discrets sur ce point, il semble impératif de prévoir un mode de diffusion des résultats après la clôture du scrutin.
B. - Une utilisation facilitée par la jurisprudence
Un dernier arrêt en date du 23 juin 2010 traduit bien, à notre avis, toute la souplesse que la Cour de cassation s'autorise à prendre par rapport aux textes prévoyant l'utilisation du vote électronique. Le décret et l'arrêté du 25 avril 2007 laissaient penser que ce mode de votation répondait, d'une part, aux besoins d'un groupe déterminé d'élections (mise en place des délégués du personnel et du comité d'entreprise) et, d'autre part, à un bloc de règles intangibles (une sorte de prêt-à-porter). Il n'en est rien.
En effet, la Cour de cassation s'est montrée favorable à la pratique du dépouillement électronique d'un vote par correspondance, alors même que la lettre des textes applicables - en particulier, le décret n° 83-1160 du 26 décembre 1983 - pouvait s'y opposer.
En l'espèce, l'employeur était tenu d'organiser l'élection de représentants de salariés au sein de son conseil d'administration. Il s'agissait donc d'un scrutin particulier, organisé sur le modèle de ce que l'on a appelé en 1983 la « démocratisation du secteur public » et distinct d'une élection de délégués du personnel ou de la mise en place d'un comité d'entreprise. Le décret n° 83-1160 du 26 décembre 1983 s'affichait suffisant, en ce domaine, pour régir l'ensemble des opérations électorales : il n'était pas nécessaire de conclure un protocole d'accord préélectoral en la matière, l'article 11 prévoyant une simple consultation des organisations syndicales représentatives sur les questions relatives à l'organisation et au déroulement de l'élection des représentants des salariés. Pourtant, l'employeur avait conclu un protocole d'accord préélectoral en vue d'aménager les conditions du dépouillement du vote par correspondance. Dérogeant aux articles 57 et 58 du décret n° 83-1160 du 26 décembre 1983, ce protocole d'accord préélectoral avait prévu un système de dépouillement par lecture optique de codes-barres figurant sur les enveloppes de vote. Cette nouvelle méthode se traduisait en conséquence par l'abandon pour chaque électeur concerné de l'obligation d'adresser son enveloppe de vote dans une enveloppe d'envoi faisant apparaître le nom, les prénoms et la signature de l'électeur.
On aurait pu s'attendre à ce que la Cour de cassation condamne cette pratique qui, il faut l'avouer, modifie en profondeur les conditions habituellement suivies en la matière, notamment la technique traditionnelle de la double enveloppe. Elle a pourtant donné son aval au dispositif négocié par les partenaires sociaux(13).
Il s'agit, à n'en point douter, d'une décision audacieuse.
L'innovation résulte d'abord de la suppression de l'enveloppe d'envoi, telle qu'elle était conçue autrefois. Les signes de reconnaissance de l'électeur ont désormais disparu de l'enveloppe d'envoi pour être remplacés par un code-barres figurant sur l'enveloppe de vote. Est donc garantie une possibilité d'identification des électeurs, dont on a montré, précédemment, qu'elle était nécessaire pour garantir la sincérité du scrutin organisé par correspondance.
Est en même temps garanti le secret du vote, puisqu'au moment du dépouillement, il est impossible de relier le vote au votant, le code-barres masquant son identité.
Une ultime garantie se trouve dans la distribution aléatoire des codes-barres, faite par le prestataire extérieur. Personne de l'entreprise (employeur, salariés, syndicats) n'a donc accès à la clé de répartition de ces codes-barres. Il ne faudrait pas, en effet, qu'une personne de l'entreprise, si loyale soit-elle, puisse connaître le sens des votes(14).
L'audace de l'arrêt du 23 juin 2010 se reconnaît surtout dans la possibilité offerte aux partenaires sociaux de s'écarter d'un décret dont on pensait qu'il était d'ordre public. Pour invalider le recours au mode électronique de dépouillement, la Cour de cassation aurait pu arguer du fait que la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 et son décret n° 2007-602 du 25 avril 2007 ne concernent expressément que les élections des représentants du personnel, non pas celles des représentants des salariés des conseils d'administration des établissements participant au service public. Elle aurait pu aussi indiquer que l'élection litigieuse, qui ne nécessite pas la conclusion d'un protocole d'accord préélectoral, était entièrement régie par le décret n° 83-1160 du 26 décembre 1983. Elle aurait pu tout simplement s'en remettre à la lettre du décret, comme dans l'affaire du 27 janvier 2010, pour constater l'illicéité du procédé de dépouillement. Mais elle a choisi une autre voie, qui se montre favorable aux aménagements partiels des modes classiques de votation. Il n'échappe à personne que l'emprunt fait à la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 et son décret n° 2007-602 du 25 avril 2007, dans l'affaire présente, est resté minime. On a souhaité surtout simplifier les opérations de dépouillement.
Conclusion
Une des questions que les textes n'ont pas réglées porte sur la durée du vote, alors que le Code électoral réglemente étroitement cette question en matière politique ; l'expérience montre qu'un vote électronique en entreprise peut couvrir plusieurs journées intégrales avant d'être clôturé par une journée de vote physique ; mais il faut ici mettre en garde les entreprises qui opteraient pour un allongement inconsidéré de la période de vote électronique, car elles multiplient les risques de survenance d'incidents venant troubler le déroulement des opérations électorales.
Rien ne s'oppose aussi à ce que le vote électronique remplace à la fois le vote par correspondance et le vote physique ; on pourrait à ce sujet penser que le vote électronique concentre sur lui les avantages à la fois du vote par correspondance et du vote physique ; mais il ne faut point négliger, à notre avis, le rôle social du vote physique, en particulier cette rencontre des individus en un seul lieu ; en réalité, le vote électronique affiche surtout une parenté avec le vote par correspondance, en tant que vote à distance ; il est même plus efficace que le vote par correspondance, car il permet d'échapper à ses inconvénients (retard dans l'acheminement du courrier) et peut être généralisé à toute l'entreprise, alors que le vote par correspondance conserve pour la Cour de cassation un caractère exceptionnel. D'ailleurs, si les entreprises sont sensibles aux avantages du vote électronique, elles sont rares à vouloir totalement remplacer le vote physique par le vote électronique.
Le vote électronique est sans doute plus à même de seconder un vote physique que de le remplacer.