Parallèlement à la mise en cause de Dominique Strauss-Kahn (DSK) à New-York, une autre affaire de mœurs à l’encontre de DSK, cette fois-ci française, a défrayé la chronique et mis en émoi les rédactions du monde entier.
En effet, dès le lundi 16 mai, Maître David Koubbi, l’avocat de Tristane Banon annonçait que sa cliente pourrait elle aussi porter plainte pour des faits similaires commis en France par DSK en 2002.
Le vendredi 20 mai, à la surprise générale, Maître David Koubbi a annoncé sur BFM TV que sa cliente ne porterait pas plainte contre DSK. «Pour l'instant», a-t-il tenu à le préciser.
Est-ce vraiment une question de timing comme Maître David Koubbi pourrait le laisser croire?
A notre avis, Tristane Banon ne portera pas plainte contre DSK. Ni aujourd’hui, ni demain, ni plus tard. C’est-à-dire jamais. Vous allez comprendre pourquoi.
La plainte de Tristane Banon aurait-t-elle une chance d’aboutir?
Au regard des faits relatés par Tristane Banon et son avocat, le dépôt d’une plainte en France pourrait se justifier pour 3 motifs :
- l’agression sexuelle,
- le viol,
- la tentative de viol.
- L’agression sexuelle
L’agression sexuelle est définie par l’article 222-27 du Code pénal comme un délit passible de 5 ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende.
Or, le délai de prescription des délits est de 3 ans.
Ce délai étant largement dépassé, la plainte de Tristane Banon serait jugée irrecevable. Ce motif de plainte ne pourra donc être qu’écarté.
- Le viol
Le viol, lui, est considéré comme un crime punissable d’une peine de 15 ans de réclusion et n’est prescrit qu’à l’expiration d’un délai de 10 ans. Les faits dénoncés par Tristane Banon remontant à 2002, sa plainte pour ce motif pourrait être a priori envisageable.
Mais encore faudrait-il que les faits dénoncés puissent être juridiquement qualifiés de viol. Ce qui, à notre avis, serait loin d’être gagné d’avance.
En effet, l’article 222-23 du Code pénal définit le viol comme «tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise».
Or, les faits dénoncés par Tristane Banon ne font état d’aucun acte de pénétration sexuelle d’aucune sorte.
Dès lors, sa plainte pour viol n’aurait aucune chance d’aboutir.
- La tentative de viol
Il ne reste donc que la tentative de crime de viol.
La tentative de crime est punie par l’article 121-4 du Code pénal des mêmes peines que le crime lui-même et n’est elle aussi prescrite qu’au bout de 10 ans.
Mais, selon l'article 121-5 du Code pénal, la tentative de crime n’est constituée que lorsqu’elle est manifestée par un commencement d'exécution du crime.
Pour la jurisprudence, il n’y a commencement d'exécution du crime que lorsque les actes commis devaient avoir pour conséquence directe et immédiate de consommer le crime, comme le fait, pour un auteur masculin, d’avoir découvert son sexe et de l’avoir approché de la victime.
Un tel raisonnement est d’ailleurs tout à fait logique ; sinon toutes les agressions sexuelles pourraient être qualifiées de tentative de viol, ce qui viderait le délit d’agression sexuelle de toute substance.
Or, les faits dénoncés par Tristane Banon ne semblent pas faire état d’une mise à nu du sexe de DSK.
Si Tristane Banon souhaitait porter plainte pour viol ou de la tentative de viol, il lui appartiendrait d’apporter la preuve de ses allégations (vidéos, certificats médicaux, tests ADN, témoignages…). Cela serait d’autant plus difficile que les faits dénoncés se seraient déroulés en 2002 et qu’aucune plainte n’avait été déposée auparavant. A défaut d’en avoir apporté la preuve, ce serait alors la parole de l’un contre celle de l’autre et des chances de succès pour le moins aléatoires.
Et si malgré tout Tristane Banon portait plainte contre DSK?
Si malgré tout Tristane Banon portait plainte contre DSK et si la justice française acceptait de prendre sa plainte en considération, la France pourrait alors envisager une demande d’extradition de DSK.
- La France pourrait-elle demander l’extradition de DSK?
La coopération judiciaire entre la France et les Etats-Unis est régie par quatre textes : le traité d’extradition France - Etats-Unis du 23 avril 1996, le traité d’entraide judiciaire en matière pénale France - Etats-Unis du 10 décembre 1998 ainsi que les accords d’extradition et d’entraide judiciaire Union Européenne - Etats-Unis du 25 juin 2003.
Aux termes de ces accords, les Etats s’engagent à se livrer réciproquement toute personne poursuivie ou condamnée par les autorités de l’état demandeur pour une infraction donnant lieu à extradition.
Une infraction peut donner lieu à extradition dès lors qu’elle est punissable dans les deux pays d’une peine privative de liberté d’une durée maximale d’un an ou plus, ce qui est bien le cas du viol ou de la tentative de viol.
Dans le cas d’espèce, les conditions permettant l’extradition de DSK pourraient donc être réunies.
- Les Etats-Unis seraient-ils obligés d’extrader DSK ?
En principe, si les conditions prévues par les différents accords sont réunies, les Etats-Unis sont tenus de répondre favorablement à une demande d’extradition déposée par la France.
Cependant, des poursuites contre DSK étant actuellement en cours aux Etats-Unis, ceux-ci auraient le choix entre 2 solutions :
- soit remettre temporairement DSK à la France aux fins de poursuites (enquête, instruction, procès),
- soit ajourner cette demande d’extradition jusqu’à la fin des poursuites en cours ou jusqu’à l’exécution totale d’une peine qui aurait été prononcée par la justice américaine.
Compte tenu de l’impact politique et médiatique de cette affaire et du fait que les juges américains ont tendance à craindre la fuite de DSK, il nous paraît peu probable que la justice américaine prenne le risque d’opter pour la première solution.
Autant dire que le procès de DSK aurait peu de chance d’avoir lieu en France!
Pourquoi Tristane Banon ne portera jamais plainte contre DSK?
Lors d’une interview sur BFM TV, Maître David Koubbi a précisé que sa cliente ne porterait pas plainte contre DSK. Raison officiellement invoquée : ni Tristane Banon ni lui-même ne souhaitaient être «instrumentalisés par la justice américaine» afin d’éviter que leur action en France ait «pour conséquence une condamnation de DSK aux Etats-Unis ».
A l’entendre, certains pourraient penser que Tristane Banon est vraiment trop gentille envers DSK, d’autres préféreraient croire qu’elle a été obligée de se taire, d’autres encore, plus incrédules et moins tendres avec elle, la considéreraient comme une affabulatrice.
Selon nous, il serait totalement faux de dire que Tristane Banon a renoncé à sa plainte uniquement par crainte d’une éventuelle instrumentalisation par la justice américaine.
Car, conformément à l’article 16 du traité d’entraide judiciaire en matière pénale entre la France et les Etats-Unis d’Amérique signé le 10 décembre 1998, si la plaignante n’accepte pas de témoigner devant la justice américaine, cette dernière ne pourrait en aucune manière l’obliger à le faire.
Le raisonnement de Maître David Koubbi est d’autant moins plausible :
- que la plainte de Tristane Banon a été bruyamment annoncée au monde entier en pleine effervescence de l’affaire DSK,
- que Tristane Banon et son avocat le veuillent ou non, leur dénonciation publique pourrait très bien être utilisée par la justice américaine pour charger DSK,
- que cela pourrait plutôt laisser croire à une tentative d’instrumentalisation de la justice américaine par Tristane Banon et son avocat !
Alors pour quelle raison mystérieuse Tristane Banon aurait-elle renoncé à porter plainte contre DSK ?
A notre avis, ce qui l’aurait finalement décidé à abandonner sa plainte, ce serait plutôt le risque de sanction pénale résultant d’une éventuelle plainte à son encontre de la part de DSK ou de sa famille.
En effet, la dénonciation d'un fait qui est de nature à entraîner des sanctions judiciaires, administratives ou disciplinaires et que l'on sait totalement ou partiellement inexact constitue une dénonciation calomnieuse punie par l’article 226-10 du Code pénal de cinq ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.
Ce risque de sanction pénale serait d’autant plus grand pour Tristane Banon qu’elle serait obligée d’accuser DSK de crime de viol ou crime de tentative de viol pour éviter l’écueil de la prescription et qu’elle aurait peut-être peu ou pas d’élément de preuve crédible pour étayer de telles accusations.
Pour conclure, nous tenons toutefois à saluer la compétence de Maître David Koubbi qui semble avoir su anticiper à temps le risque pénal encouru par sa cliente ainsi que son respect des règles déontologiques de la profession d’avocat qui l’aurait décidé à préférer renoncer à des honoraires futurs plutôt que de conseiller à sa cliente de poursuivre sa plainte qui aurait peu de chance d’aboutir !
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