I. Examen du dispositif d’étalement de la plus-value proposé par le législateur
Rappelons que le crédit-vendeur est, comme son nom l’indique, un crédit consenti par le cédant au cessionnaire qui paiera le prix de cession en plusieurs échéances, le cédant faisant alors office de banquier.
De façon assez injuste, la plus-value de cession était immédiatement imposable entre les mains du cédant alors même que celui-ci n’avait pas touché le prix de vente en totalité, le crédit-vendeur s’étalant généralement sur plusieurs années.
Conscient de l’injustice, le législateur a rectifié partiellement le tir avec la loi de finance pour l’année 2016 [1]en autorisant le redevable à échelonner le règlement de l’impôt sur le revenu afférent aux plus-values à long terme réalisées par une entreprise individuelle.
Toutefois cette « faveur » ne concernait que la cession d’un fonds de commerce, fonds artisanal ou la cession d’une clientèle (cf. article 1681 F du Code Général des Impôts) et encore fallait-il que l’entreprise concernée ne dépasse pas certains seuils :
- Entreprise de moins de 10 salariés,
- Total de bilan ou chiffres d’affaires inférieurs à 2 millions d’euros (micro entreprise)
Par ailleurs, l’échelonnement du prix de cession ne devait pas dépasser 5 ans, étant précisé que le vendeur devait constituer auprès du comptable public des garanties propres à assurer le recouvrement de l'impôt lié à la plus-value.
Dans sa grande mansuétude, le législateur pourrait étendre ce dispositif à compter du 1er janvier 2019 aux entreprises individuelles de moins de 50 salariés et dont le total de bilan / ou le chiffre d’affaires n’excède pas 10 millions d’euros (cf. article 50 du projet de loi de finance pour l’année 2019[2]).
Ce même projet va même jusqu’à étendre le dispositif aux gains nets retirés à l’occasion d’une cession à titre onéreux de droits sociaux[3].
L’étalement de l’impôt lié à la plus-value concernerait dès lors aussi bien les cessions d’entreprises individuelles que les cessions de titres.
II. Un dispositif encore très insuffisant pour convaincre le cédant de recourir au crédit-vendeur
L’exposé des motifs de l’article 50 du projet de loi de finance précise que « Son objectif est de faciliter le développement du crédit-vendeur qui permet au repreneur d’acquérir l’entreprise en payant au vendeur tout ou partie du prix de vente sur plusieurs années. »
Toutefois, derrières ces bonnes intentions se cache un sérieux manque d’ambition de la part législateur.
En effet, l’exposé des motifs semble occulter la jurisprudence administrative applicable en matière de cession de titres, laquelle exclut la possibilité pour le cédant d’obtenir une révision de la plus-value de cession et donc de l’imposition afférente, en cas de défaillance du cessionnaire. En effet, d’après le juge administratif, les modalités de paiement du prix de cession des droits sociaux sont sans influence sur la date de réalisation de la cession elle-même, qui se situe au moment du transfert de propriété des titres entre les parties[4].
Plus récemment, il a été jugé que le transfert de propriété des titres doit être regardé comme réalisé à leur date de cession, sans que puissent être invoquées des circonstances postérieures au transfert de propriété, lesquelles demeurent sans incidence sur l'accord des parties au moment de la vente[5].
En 2013 une sénatrice avait très justement posé la question suivante au Ministre de l’économie : « Dans la situation que je viens d'exposer [non-paiement des échéances du crédit-vendeur], qu'est-ce qui justifie qu'un citoyen soit imposé sur une somme qu'il n'a pas perçue et qu'il ne percevra jamais ? [6]»
Gêné, le Ministère de l’économie a été contraint de reconnaître que « les modalités de paiement du prix n'ont pas d'incidence sur l'exigibilité de l'impôt, et [que] le cédant ne peut dès lors se soustraire à son paiement en se prévalant de la non-perception d'une partie du prix. »
Toutefois, celui-ci n’a pu que constater son impuissance en précisant qu’« une évolution de la doctrine fiscale en la matière a été mise à l'étude, mais elle soulève des questions techniques et juridiques délicates, dont l'expertise n'est pas achevée. »
Si les lois de finance pour 2016 et 2019 sont l’achèvement de cette expertise, il n’est pas certain que l’objectif affiché par le législateur, à savoir la promotion du crédit-vendeur, soit atteint.
Si, de surcroît, l’étalement promis est conditionné par la constitution de garanties propres à assurer le recouvrement de l'impôt lié à la plus-value, il est certain que les avocats du cédant continueront de dissuader leur client de signer la vente.
Les cédants auront beau demander à leur conseil de redoubler d’imagination pour sécuriser l’opération, rien n’y fera, le privilège du vendeur, pas plus que le nantissement de titres ou autre clause résolutoire ne seront susceptibles de prémunir efficacement le cédant d’une défaillance du cessionnaire.
Aussi longtemps que la double peine s’appliquera pour le cédant en cas de défaut de paiement du cessionnaire (perception seulement partielle du prix de cession et imposition de la plus-value en sa totalité), le crédit vendeur ne trouvera pas preneur.
[1] LOI n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 - art. 97
[3] L’article 1681 F modifié par le projet de loi de finance précise que le dispositif est applicable à « l’impôt sur le revenu afférent aux gains nets retirés de la cession à titre onéreux de droits sociaux, mentionnés au 1 du I de l’article 150-0 A »
[4] CE 28 oct. 1966, n° 68280: Lebon 571, 22 mars 1991, n° 67966: Dr. fisc. 1991. 1510; RJF 1991. 615; ibid. 690, Chron. Turot
[5] CAA Bordeaux, 25 avr. 2013, Morel, req. No 11BX03390: RJF 2013. 935.