La loi du 29 juillet 1881, texte juridique fondateur en matière de droit de la presse, repose principalement sur deux infractions : l’injure et la diffamation. Selon l’article 29 de la loi, « Toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation ». Depuis l’introduction de l’ordonnance du 6 mai 1944, la personne poursuivie pour diffamation pourra s’exonérer de toute culpabilité en rapportant la preuve du fait allégué (article 35). Cette « exception de vérité » reste toutefois soumise à certaines conditions.
L’article 35 limite en effet le domaine de cette preuve en énonçant trois cas dans lesquels l’exception de vérité n’est pas ouverte : l’imputation concernant la vie privée (a) ; les faits qui ont eu lieu il y a plus de dix ans (b) ; le fait constituant une infraction amnistiée ou prescrite ou qui a donné lieu à une condamnation effacée par la réhabilitation ou la révision (c).
En limitant le domaine de l’exceptio veritatis aux faits remontant à moins de dix ans, l’ordonnance de 1944 a ainsi restreint la possibilité de faire la preuve des faits diffamatoires. Cette limitation est spécifique au droit français et est justifiée par un souci de paix sociale et par le « droit à l’oubli ». Elle a en effet été édictée dans un but de paix publique, afin d’éviter « d’empoisonner la vie sociale en remontant perpétuellement à la surface de vieilles turpitudes[1]».
Sans surprise, de nombreux reproches ont été formulés à l’encontre de cette interdiction de prouver la véracité des faits remontant à plus de dix ans. Le professeur Levasseur notamment, considère que « Le régime actuel de l’exceptio veritatis, en particulier à raison de la limitation dans le temps assignée à son exercice, ne permet (…) pas le contrôle démocratique qui devrait normalement pouvoir s’exercer sur l’aptitude technique et la rectitude morale de ceux à qui sont confiés des pouvoirs importants dans la cité ou qui ambitionnent de recevoir de tels pouvoirs[2] ».
Au niveau européen, cette disposition n’a également pas fait l’unanimité. La CEDH condamne en effet ce dispositif français dans son arrêt Mamère c. France du 7 novembre 2006[3]. Dans cette affaire, Noel Mamère n’avait pu apporter la vérité des faits relatifs à des propos tenus dix ans auparavant par le directeur du SCPRI selon lequel le nuage de Tchernobyl se serait arrêté aux frontières de la France.
Quelques mois après cette décision, un rapport du 27 juin 2007 de la Commission des questions juridiques et des droits de l’homme fut approuvé par le Conseil de l’Europe. Ce rapport invitait explicitement la France à réviser ou à abroger l’article 35 de la loi de 1881. Le rapporteur de la Commission affirmait en effet qu’il était injustifié de ne pas permettre à la personne accusée de prouver la véracité de faits diffamatoires dès lors que l’imputation se référait à des faits vieux de plus de dix ans. Selon lui, c’est bien souvent à l’issue de délais assez longs que des témoignages et documents pertinents peuvent refaire surface et peuvent permettre ainsi d’éclairer certains faits.
Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a finalement déclaré dans une décision du 20 mai 2011[4] que le cinquième alinéa de l’article 35 de la loi de 1881 était contraire à la Constitution. Selon le Conseil, « La liberté d’expression et de communication est d’autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés. » Le Conseil souligne de plus que « les atteintes portées à l’exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l’objectif poursuivi. » Le Conseil rajoute que « Par son caractère général et absolu, cette interdiction porte à la liberté d’expression une atteinte qui n’est pas proportionnée au but poursuivi, et qu’ainsi elle méconnait l’article 11 de la Déclaration de 1789 ».Par cette décision du 20 mai 2011, l’alinéa 5 de l’article 35 de la loi de 1881 fut donc abrogé par le Conseil Constitutionnel. En déclarant contraire à la Constitution l’interdiction de prouver la véracité de faits datant de plus de dix ans, le droit français rejoint ainsi l’approche de l’ensemble des pays européens.
[1] A. Chavanne, Jurisclasseur Communication, fasc.3130, 2002, n°190.
[2] G.Levasseur, « Reflexions sur l’exceptio veritatis », Mél. Chavanne, Litec, Paris, 1990, p111, spéc.p128
[3] CEDH, deuxième section, 7 novembre 2006, Mamère c. France, n° 12697/03
[4] Cons.const., déc.20 mai 2011, n°2011-131 QPC : Journal Officiel 21 Mai 2011