La courte prescription de l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881
Le justiciable qui s’estime victime de diffamation, publique ou privée, est confronté à de nombreux obstacles, parmi lesquels figure, en bonne place, le délai de prescription de trois mois prévu à l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881.
Pour rappel, cet article dispose : «L’action publique et l’action civile résultant des crimes, délits et contraventions prévus par la présente loi se prescriront après trois mois révolus, à compter du jour où ils auront été commis ou du jour du dernier acte d’instruction ou de poursuite s’il en a été fait.
Toutefois, avant l’engagement des poursuites, seules les réquisitions aux fins d’enquête seront interruptives de prescription. Ces réquisitions devront, à peine de nullité, articuler et qualifier les provocations, outrages, diffamations et injures à raison desquels l’enquête est ordonnée … ».
Non seulement il faudra agir dans les trois mois de la publication des propos diffamatoires ou injurieux, mais encore faudra t’il interrompre la prescription tous les trois mois pendant toute la durée de la procédure, ce court délai repartant à compter de chaque acte, tant en matière civile qu’en matière pénale.
Dans le cadre de l’ouverture d’une enquête préliminaire menée par des services de police, sont interruptives de prescription les « réquisitions aux fins d’enquête » qui articulent et qualifient les provocations, outrages, diffamations et injures à raison desquels l’enquête est ordonnée. Mais qu’en est-il des actes d’enquête eux-mêmes ? Peuvent-ils également interrompre la prescription ?
La Cour de Cassation vient de se prononcer sur ce point.
La Cour de Cassation précise la notion d’actes interruptifs de prescription dans le cadre d’enquêtes préliminaires
Une femme, en conflit avec ses voisins, avait publié sur son site Internet « Conscience-vraie.info », une série de textes et d’images censés décrire, sous la forme d’une étude de cas « le comportement agressif de ses voisins ». Lesdits voisins avaient déposé plainte à l’encontre de l’auteur des propos litigieux et, à la suite d’une enquête préliminaire menée par les services de gendarmerie, cette dernière avait été citée à comparaitre devant le Tribunal Correctionnel pour y répondre notamment du délit de diffamation publique envers ses voisins.
La prévenue avait mis en ligne les propos litigieux le 10 mars 2012. Elle avait été attraite devant le Tribunal Correctionnel près d’un an plus tard, soit le 10 janvier 2013.
Toutefois, entre-temps, des actes d’enquête avaient été mis en œuvre : la plaignante avait été auditionnée, des investigations policières avaient été effectuées sur le site « Conscience-vrai.info » et l’auteur/éditeur du site Internet avait elle-même été auditionnée.
Le Tribunal Correctionnel et la Cour d’Appel, qui s’étaient prononcés sur ces faits, avaient retenu que ces éléments d’enquête avaient, chacun, interrompu la prescription de l’action en diffamation durant la période alléguée.
La Cour de Cassation casse cette décision et retient que de simples actes d’enquête ne sont pas susceptibles d’interrompre la courte prescription prévue par l’article 65 de la loi du 29 juillet 1881, dès lors qu’aucune réquisition d’enquête articulant et qualifiant les propos diffamatoires n’avait été réalisée entre la date de la mise en ligne des propos litigieux et la mise en mouvement de l’action publique par la délivrance, à la prévenue, d’une convocation en justice !