commentaire comparé, décisions de l'assemblée plénière du 9 mai 2008

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Introduction :



Le droit français pose le principe selon lequel une victime a le droit de réclamer et d'obtenir la réparation d'un préjudice causé par autrui. Le décès de la victime d’une infraction avant d’en avoir obtenu réparation n’emporte pas disparition du dommage qu’elle a pu lui causer. La Cour de cassation, par deux arrêts d’Assemblée plénière rendus le 9 mai 2008, a précisé quelles sont les modalités d'action des héritiers de la victime en cas de décès de celle ci avant qu'elle ne demande réparation.
Il convient de rappeler les faits d’espèces ayant provoqué les solutions ici commentées. Il s’agissait en effet d’héritiers souhaitant obtenir réparation du préjudice éprouvé par la victime de l’infraction avant son décès, à la différence près que les uns avaient opté pour la voie de la citation directe du responsable présumé alors que pour les autres, la demande de réparation a pris part au sein d’une instance répressive déjà mise en mouvement par le Ministère Public.
Les juges du fond avaient considéré que les ayant droit de la victime ne pouvaient se constituer partie civile au nom du decujus alors même que le défunt, bien qu’il en fut informé, n’avait jamais déposé plainte ni même manifesté l’intention de le faire. Ils ne pouvaient donc pas, selon la Cour d'Appel, se joindre à une procédure initiée par le ministère public ni intenter une citation directe au nom du défunt, en raison de l'inaction de la victime avant son décès.
Se pourvoyant en cassation, l’ensemble des héritiers a invoqué au soutien de ses prétentions que le droit à réparation du préjudice éprouvé par la victime avant son décès, né dans son patrimoine, se transmettait à ses héritiers, et qu’ainsi leur action civile était recevable.
La Cour de cassation a donc du déterminer si les héritiers de la victime directe d’une infraction peuvent légitimement agir devant les tribunaux répressifs pour obtenir réparation du préjudice subi par elle avant son décès.
Les juges du droit, à l’issue de ces deux pourvois, ont considéré que le droit de toute personne victime d’un dommage d’obtenir la réparation du préjudice éprouvé par elle avant son décès se transmet à ses héritiers qui peuvent l’exercer, peu important que la victime qui a personnellement souffert de l’infraction
ait ou non manifesté l'intention de se prévaloir de son action devant les tribunaux répressifs.

Cette atténuation à l'article 2 du Code de Procédure Pénale, qui dispose que seule la victime ayant personnellement souffert du dommage peut demander réparation auprès des juridictions pénales, permet aux ayant droit, qu'il s'agisse des héritiers, mais aussi des créanciers ou des subrogés dans les droits du decujus, d'exercer au nom du défunt une action qui normalement n'est réservée qu'à ce dernier. Cependant, cette action est limitée. En effet, la Cour de cassation précise que cette action est recevable à la double condition que le ministère public ait préalablement mis en mouvement l'action publique et que la victime n'ait pas renoncé à l'action civile de son vivant. Ce principe n'est pas nouveau, toutefois, il est intéressant, en ce qu'il apporte une garantie supplémentaire envers les victimes à l'encontre de celui qui a commis une faute pénale.

Il convient donc d'étudier, dans un premier temps, l'étendue de ce droit à réparation dont dispose la victime à l'égard de la personne à l'origine de l'infraction (I), puis d'aborder, dans un second temps, les modalités particulières de mise en œuvre de ce droit lorsque celui ci est transmis de façon héréditaire aux héritiers de la victime (II).





  1. Un droit à réparation à l'origine d'une créance en réparation transmissible aux héritiers de la victime.



L'action en réparation est en principe un droit personnel, qui ne peut être soulevé que par la partie ayant personnellement et directement souffert du dommage (A). Toutefois, elle fait naître une créance pécuniaire à l'encontre du défendeur, créance qui, de par sa valeur patrimoniale, peut être transmise aux héritiers de la victime (B).

A. Un droit à réparation reconnu à toute victime d'un dommage



Le principe est posé par l’article 2 du code de procédure pénale, qui dispose que l’action civile appartient à la partie lésée, définie comme celle qui a « personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction ». L'action est donc en principe réservée à la victime. Elle découle des principes de droit civil, selon lesquels toute action qui cause à autrui un dommage oblige celui par lequel le dommage est arrivé à réparer le préjudice créé. L'application de ce principe en droit pénal offre deux possibilités à la victime, qui peut se constituer partie civile à titre principal ou à titre incident.

La victime peut se constituer partie civile à titre principal et ainsi saisir directement la juridiction de jugement par le biais d’une citation directe, elle peut également saisir le juge d’instruction par le biais d’une plainte avec constitution de partie civile. Cela a été précisé dans de nombreuses décisions de la cour de cassation. Citons parmi elles l'arrêt Placet rendu, le 8 décembre 1906, par la Cour de cassation : la plainte déposée entre les mains d’un juge d’instruction par la personne victime d’un crime ou d’un délit et accompagnée d’une constitution de partie civile produit les mêmes effets qu’un réquisitoire du procureur de la République. Subordonnée par l’article 2 à l’existence d’un préjudice directement causé par l’infraction, elle met en mouvement l’action publique, obligeant ainsi le parquet à intervenir. Depuis la loi de 2007, en matière délictuelle, la plainte avec constitution de partie civile est subordonnée à la condition soit que le Procureur a classé sans suite l’affaire en cause, soit qu’un délai de trois mois s’est écoulé depuis le dépôt de la plainte.

La victime peut aussi se constituer partie civile à titre incident. On parle de constitution de partie civile à titre incident lorsqu’elle intervient après la mise en mouvement de l’action publique par le Ministère public. Elle peut dans ces deux cas obtenir des dommages et intérêts, étant précisé que ces dommages et intérêts ne peuvent lui être octroyés que dans la mesure de son préjudice.

Ce dommage fait naître dans le patrimoine de la victime une créance en réparation, qui lui appartient comme n’importe quel autre bien. La victime, en tant que propriétaire de l’action civile, peut renoncer à l’action, transiger, acquiescer. De ce caractère patrimonial de l’action civile, il résulte que certains ayant droits peuvent, dans certaines limites, se voir transférer le bénéfice de son action. Il s’agit des héritiers, mais aussi des créanciers, cessionnaires, subrogés.



B. Un droit en réparation transmissible aux héritiers, continuateurs du patrimoine de la victime





L’action civile peut donc être exercée par les héritiers de la victime après sa mort. En effet, si la victime meurt en cours d’instance, ses héritiers trouvent l’action dans sa succession, et peuvent donc la continuer. Si la victime meurt sans avoir exercé l’action, les héritiers peuvent l'exercer en son nom, toujours à titre successoral. Cette solution n'est pas nouvelle : le principe de transmission du droit à réparation d'un préjudice subi par une victime à ses ayants droit avait déjà été affirmé dans un arrêt de la chambre mixte du 30 avril 1976, qui rend une cassation partielle basée sur ce fondement. Les conditions d'exercice du droit à réparation par les ayants droit de la victime lorsque ni celle-ci, ni le ministère public n'ont mis en mouvement l'action publique ont de plus été précisées dans un arrêt du 27 avril 2004, qui avait alors rejeté la demande. C'est malgré tout la première fois que la Cour de cassation se réunit en assemblée plénière pour rendre le même jour ces deux arrêts, afin de consacrer de façon solennelle le principe de la transmission de l'action aux héritiers.

L'action des héritiers ne suppose pas forcément que la victime ait expressément manifesté l'intention d'exercer son droit à l'encontre de la personne à l'origine de l'infraction. Cela suppose toutefois que la victime n'ait pas, avant sa mort, renoncé à cette action. Les héritiers peuvent alors, sous certaines conditions, plus limitées que celles s'appliquant à la victime elle-même, exercer en son nom, à titre posthume, l'action à l'encontre du responsable du dommage.

De ce fait, lorsque l'action publique a été mise en mouvement par le ministère public et que la victime n'a pas renoncé à l'action civile, ses ayants droit sont recevables à agir devant la juridiction saisie.



II. La transmission du droit à réparation, une action subordonnée aux agissements du Ministère Public et de la victime.

En matière pénale, l'infraction donne naissance à deux actions : une action prévue à l'article 2 du Code de Procédure Pénale en réparation du dommage causé, et une action pour l'application des peines, l'action publique, posée par l'article 1 du Code de procédure pénale. L'action transmise aux héritiers n'est recevable devant les juridictions pénales qu'à la condition que la victime n'y ait pas renoncé et dans un cadre très strict (A). A défaut, elle ne pourra intervenir qu'auprès des juridictions civiles (B).



A. L'action devant les tribunaux répressifs conditionnée par la mise en mouvement préalable de l'action publique et l'absence de renonciation antérieure à l'action par la victime.



Selon l'article 1er du Code de Procédure Pénale, l'action publique est le pouvoir donné à la société de s'adresser aux tribunaux répressifs par l'intermédiaire du ministère public pour faire appliquer à l'auteur de l'infraction les sanctions prévues par le texte méconnu. Cette action publique existe pour toutes les infractions, alors que l'action civile n’apparaît que si un dommage est résulté de l'infraction. Cette action publique est seulement confiée au ministère public et à certaines administrations spécialisées.

Lorsque le ministère public a mis en mouvement l'action publique et que la victime n'avait pas renoncé à l'action civile, le droit à réparation des préjudices subis par celle-ci est transmis à ses héritiers qui sont recevables à l'exercer devant la juridiction saisie des seuls intérêts civils, peu important que leur auteur n'ait pas introduit d'action à cette fin avant son décès. De ce fait, des héritier peuvent exercer l'action du défunt alors que ce dernier n'avait pas l'intention de faire valoir son droit à réparation. Cela semble discutable, mais est en réalité logique, car tant que la victime n'avait pas renoncé à l'action, elle disposait d'une créance en réparation à l'encontre du responsable du dommage. Cette créance existe donc bien, et elle est transmise aux héritiers, en raison de son caractère pécuniaire. Toutefois, cette action reste subordonnée à l'existence préalable d'une action du ministère public. Alors que la victime dispose de prérogatives plus larges permettant de vaincre l'inertie du ministère public, ses héritiers ne peuvent que s'ajouter à un procès déjà en cours. Ils ne peuvent pas, seuls, déclencher l'action publique.

Cette limite est compréhensible, car le droit de la victime de déclencher les poursuites était déjà une exception, relativement récente, au principe selon lequel c'est la société qui, par le biais du ministère public, déclenche des poursuites à l'encontre de celui qui a commis une infraction. Cette exception était accordée uniquement dans le but de s'assurer que le préjudice puisse être réparé. Il semble excessif de l'étendre aux héritiers de la victime, car si la réparation avait réellement été souhaitée par le défunt, ce dernier aurait, de son vivant, exercé ses droits à réparation.



De ce fait, si le ministère public reste inerte, les héritiers ne peuvent se prévaloir devant les juridictions pénales de leur droit en réparation. Peu importe, il leur reste un droit résiduel devant les tribunaux civils.



B. L'action devant les tribunaux civils comme dernier recours en cas d'absence d'exercice de l'action publique, un exercice résiduel de cette action.

 

Dès lors, lorsque l'action publique n'a été mise en mouvement ni par la victime, ni par le ministère public, seule la voie civile est ouverte aux ayants droit de ladite victime pour exercer le droit à réparation reçu en leur qualité d'héritiers. En effet, même en l'absence de condamnation, tout préjudice causé entraîne le droit à réparation.

Les héritiers peuvent agir au nom propre de la victime, en raison du caractère patrimonial de l'action, mais il arrive par ailleurs fréquemment que la mort de la victime cause un préjudice direct, personnel, a la personne de ses héritiers. Les héritiers peuvent alors agir en réparation de ce préjudice en leur nom propre à titre personnel, car ils deviennent victimes directes de l’infraction. Ces deux actions peuvent être combinées. Un héritier peut donc agir au nom de la victime, et en son propre nom, si elle a elle même directement souffert du préjudice causé.



Il est cependant préférable d'adjoindre lorsque cela est possible l'action à la procédure pénale, car la justice pénale est de manière générale plus rapide et plus efficace que la justice civile. De plu, il est moins coûteux d'intenter un unique procès, et de se joindre à l'action du ministère public, que de disjoindre les actions, en séparant action publique, qui s'exercera devant les juridictions pénales, et action civile, qui s'exercerait devant les juridictions civiles. C'est pourquoi cette action civile des héritiers est résiduelle, car il sera toujours préférable de joindre les procédures et d'agir devant les juridictions pénales lorsque les conditions sont remplies.

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1 Publié par Visiteur
12/03/2017 20:09

Bonsoir,

Est-il possible d'agir en réparation de leur préjudice personnel ET en même temps d'intenter l'action successorale en se constituant partie civile par voie d'intervention (dans le cas où le MP aurait déclenché l'action publique) ?

Merci !

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