La place de la déontologie financière dans le système juridique français

Publié le 17/03/2014 Vu 6 922 fois 0
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Etude comparative des caractéristiques de la déontologie financière au regard des autres déontologies.

Etude comparative des caractéristiques de la déontologie financière au regard des autres déontologies.

La place de la déontologie financière dans le système juridique français

Depuis plusieurs années, les mots « morale », « éthique », « déontologie » ont fait leur apparition dans la sphère financière. Sous le terme général de déontologie, sont regroupés en réalité des sources hétérogènes mais qui tendent toutes à moraliser un secteur particulier, tant de par la technicité des instruments qui sont employés, que de par les risques que de tels instruments font encourir au client, mais aussi et de façon plus générale à la santé des marchés. Le foisonnement de textes sème une certaine confusion dans l'esprit du juriste, malgré de nombreuses tentatives d'harmonisation des règles applicables au secteur financier.

La recherche de principes déontologiques spécifiques au droit financier est relativement récente. La première initiative fut celle de la Commission des Communautés Européennes, qui, en 1977, a publié une recommandation intitulée «code de conduite européen concernant les transactions de valeurs mobilières ». Depuis lors, de nombreux groupes de travail se sont attelés à élaborer des règles destinées à moraliser les pratiques du secteur, en se basant sur deux grands principes : assurer la primauté des intérêts du client et respecter l'intégrité du marché. Ces avancées sont issues tant des juristes que des professionnels du secteur.

L'ensemble de ces initiatives a engagé une profonde réflexion des professionnels sur leurs activités. L'éthique financière est devenue un thème incontournable, ce qui vient contredire l'opinion généralement avancée selon laquelle « business is business », c'est à dire que les affaires sont un monde particulier où le risque fait loi. Ce sont les professionnels qui sont à l'origine de la multiplication des codes de conduite spontanément adoptés, au niveau d'une profession mais aussi au niveau de chaque établissement. Il semble indispensable pour les acteurs du secteur de garantir l'image de leur activité, car dans le monde financier, l'honorabilité et la confiance sont indispensables à l'établissement de relations commerciales.

Pourtant, la notion même de déontologie financière reste vague, la valeur juridique des codes de conduite approximative. La démarche déontologique des métiers de la finance est empreinte des règles communes de déontologie, mais elle se distingue des autres déontologies professionnelles à de nombreux égards. C'est pourquoi, il semble pertinent d'étudier les sources de la déontologie qui gouvernent le secteur financier (I), afin de pouvoir dans une analyse plus poussée affirmer la singularité des obligations des rofessionnels dans le domaine financier (II).

  1. La démarche déontologique financière, des origines plus diffuses que les autres déontologies professionnelles :

Traditionnellement, les codes de déontologie sont issus du pouvoir réglementaire, et chaque profession dispose de son propre code de déontologie, ce qui ne laisse pas d'ambiguïté sur le positionnement de ces règles de conduite dans la hiérarchie des normes (A). Toutefois, la déontologie financière présente la particularité d'être plus diffuse que les autres déontologies professionnelles, ce qui brouille la visibilité juridique de ces règles de comportement à l'égard des professionnels (B).

A. Des déontologies classiquement issues du pouvoir réglementaire :

La déontologie est, classiquement, conçue, comme la science des devoirs professionnels. Elle regroupe l'ensemble des devoirs qui s'imposent aux professionnels dans l'exercice de leur activité. Pour certains, elle est une morale transformée en droit, alors que pour d’autres, elle est une « morale sanctionnée par le droit ». Quelle que soit l'acception que l'on fait de ce corps de règles, il n'en reste pas moins que dans le système actuel, ces règles déontologiques ont un réel pouvoir normatif, et sont sanctionnées au même titre que les obligations dont le caractère juridique ne fait pas débat.

La démarche déontologique apparaît donc comme une codification non-étatique de règles inhérentes à une profession. Si cette démarche est récente dans le domaine financier, elle s'était déjà développée dans de nombreux secteurs professionnels, notamment celles regroupées en ordres : les médecins, les architectes, les avocats, etc... Chacune de ces professions est soumise à un code de déontologie, le plus souvent approuvé par décret. Les codes de déontologie des professions organisées en Ordres sont issus du pouvoir réglementaire, de telle sorte qu'ils ont leur place dans le droit positif et dans la hiérarchie des normes. La compétence réglementaire d'un Ordre professionnel doit trouver son origine dans la délégation de compétence par le législateur ou le gouvernement. La valeur réglementaire des codes de déontologie élaborés par les Ordres professionnels les fait entrer dans l'ordre juridique, comme n'importe quel autre de texte de même valeur. La distinction entre droit et déontologie n'existe donc pas sur le plan de la valeur juridique de la norme. Toutefois, la sanction des manquements à ces codes de déontologie est prononcée non pas par un tribunal de droit commun,mais par l'Ordre lui-même. Les décisions de sanction peuvent malgré tout faire l'objet d'un recours en cassation devant le Conseil d’État.

La déontologie financière a ceci de particulier qu'elle intervient dans des domaines déjà très réglementés. Cela s'explique par le rôle que joue l'industrie financière dans l'économie, ce qui incite l'état à tout mettre en œuvre pour préserver la santé des marchés. Les métiers de la banque et de la finance reposent sur des relations de confiance entre les professionnels, leurs clients et les marchés. En outre, ces métiers sont l'endroit d'une forte concurrence. La confiance est don un pilier de l'activité financière. Mais malgré toute la réglementation existante, sont apparues de nombreuses sources de règles destinées à compléter les textes existants afin de guider les professionnels de la finance.

B. Une déontologie financière aux sources nombreuses et hétérogènes :

A proprement parler, il n’existe pas de Code de déontologie financière, mais le législateur donne compétence aux organismes financiers afin d'instituer un code de bonne conduite, à travers le dispositif légal. Cette compétence est donc attribuée par délégation aux organismes professionnels. Le code de bonne conduite, une fois élaboré, est soumis au contrôle du ministre et des autorités de régulation.

Les professionnels participent grandement à l'élaboration des règles déontologiques. En effet, l'Etat estime que le fait de les associer au processus d'élaboration du corpus déontologique présente de nombreux avantages. Les professionnels sont les plus à même d'adopter des règles pragmatiques, qui tiennent compte tant de la spécificité du secteur que des contraintes techniques auxquels les acteurs du monde des affaires sont confrontés. Cela permet de garantir que les règles sont proportionnées au but recherché. De plus, il est de l'intérêt des professionnels de garantir l'honorabilité de leur domaine d'activité, dans un secteur où la confiance est indispensable pour garantir la bonne marche des échanges. Enfin, cela donne une certaine légitimité à ces règles qui, édictées par et pour des professionnels, devraient pour cette raison être plus largement suivies.

Il existe donc de nombreux codes de conduite, qui sont fonction de chaque secteur. On va progressivement chercher à harmoniser les règles. Ce phénomène est principalement marquant dans le domaine du droit de assurances, dans lequel on adopte des règles déontologiques pour éviter les conflits entre assureurs, mais aussi entre assureurs et clients, etc. Plusieurs engagements ont été pris par la profession. Tous ces engagements, inscrits dans le Recueil de 2011, s’imposent aux sociétés adhérentes et revêtent un caractère obligatoire.

Parallèlement au rôle du législateur et des professionnels, le secteur financier bénéficie de diverses autorités de régulation, notamment l’Autorité des marchés financiers ou l’Autorité de contrôle prudentiel et de régulation. L’Autorité des marchés financiers a été créée par une loi du 1er août 2003, qui a emporté fusion de la Commission des opérations de bourse, du Conseil des marchés financiers et du Conseil de discipline de la gestion financière. L’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution est issue d'une ordonnance du 21 janvier 2010. Ces autorités, composées de professionnels et de juristes, élaborent ou participent à l'élaboration des règles déontologiques. Il s'agit ici aussi de professionnels, mais leur intérêt va au delà de la simple image que les professionnels donnent du secteur financier : l'enjeu est ici d'assurer la sécurité des marchés. L'intérêt est général, car il en va de la santé de l'économie.

Une fois les règles élaborées, les autorités de régulation assurent le déploiement et la diffusion de ces règles. Elles ont à la charge de contrôler leur bonne application par les professionnels. De ce fait, elles disposent de pouvoirs considérables dans le secteur financier. Elles obéissent elles-mêmes à des règles déontologiques, édictées afin qu'elles mènent à bien leur mission dans le respect des intérêts en cause.

En cas de manquement à ces règles, le juge est aussi un garant de la morale professionnelle du secteur. Il tente de trouver un équilibre entre des intérêts concurrents, ce qui l'amène parfois à exercer son pouvoir créateur du droit en matière de déontologie financière. A cet égard, il est à l’origine de l’obligation d’information puis de l’obligation de mise en garde, à la charge du banquier et de l’assureur, obligations qu'il a dégagées afin de protéger le client face au professionnel. Par la suite, le législateur consacrera ces obligations en les rattachant au domaine de la loi. Mais le juge fixe aussi des règles déontologiques pour protéger l’intérêt général et les institutions. C’est ainsi qu’il a dégagé, à la charge de l’établissement du crédit, le devoir de vérifier l’identité et le domicile du client. Ce devoir a, par la suite, été consacré par décret.

Ainsi, la multiplicité de sources de déontologie peut surprendre le juriste, au regard de la simplicité des autres déontologies professionnelles. Cela s'explique par le caractère particulier du secteur financier, qui justifie le fait que les règles communes de la déontologie, bien qu'applicables en la matière, ne suffisent pas à protéger la pratique des dérives éventuelles. C'est pourquoi la déontologie financière se distingue par sa singularité et sa complexité. Cette complexité s'étend de plus au contenu des règles ainsi édictées, qui sont spécifiques au secteur financier.

II - La démarche déontologique financière, une singularité issue du caractère sensible du secteur financier :

Comme tout système déontologique, les règles qui s'appliquent en matière financière sont issues des grands principes du droit des obligations tel qu'ils sont édictés par le Code Civil (A). Toutefois, s'agissant d'un secteur aussi sensible que le secteur financier, il est apparu nécessaire d'édicter des règles spécifiques au secteur, afin de sanctionner des comportements particuliers au secteur du droit des affaires et des finances (B).

A. Une démarche inspirée des principes traditionnels de déontologie :

Comme toutes les déontologies professionnelles, les obligations des professionnels du secteur financier sont issues d'obligations traditionnelles du droit des obligations, régi par le Code civil.

En effet, en droit des obligations, des principes ont été consacrés afin de garantir notamment la bonne exécution des contrats conclus entre deux ou plusieurs parties. On retrouve notamment les notions de dol, de bonne foi et de loyauté, sans lesquelles le contrat ne saurait être exécuté correctement.

Le dol est une manœuvre d'un cocontractant effectuée dans le but de tromper son partenaire et de provoquer chez lui une erreur, afin de le pousser à contracter. Il s'agit d'un vice du consentement sanctionné par la nullité du contrat, comme le précise l'article 1116 du code civil. Quant à la bonne foi, il s'agit de la croyance qu'a une personne de se trouver dans une situation conforme au droit, et la conscience d'agir sans léser les droits d'autrui. Elle est issue de l'article 1134 du Code Civil. L'obligation de loyauté est issue de ce devoir de bonne foi, et impose un minimum de coopération entre les contractants. Elle signifie que l'intermédiaire s'engage à informer pleinement son client des risques encourus par l'opération qu'il réalise et à ne pas chercher à en tirer un profit personnel ou pour autrui.

De ces principes généraux, il en découle que le professionnel se doit de tout faire pour que l'exécution de son obligation soit irréprochable. Cela suppose non seulement qu'il communique un certain nombre de renseignements dans le but d'informer son client, mais aussi, par exemple, qu'il mette tout en œuvre pour parvenir à satisfaire l'intérêt de son client, ce qui suppose parfois qu'il refuse de s'engager si cet engagement est susceptible de soulever un conflit d'intérêts.

Ces principes généraux se retrouve pour chaque profession. Mais leurs implications se prolongent dans des dispositions spéciales. Le législateur réglemente le comportement des professionnels financiers de façon stricte, et crée des infractions spécifiques au secteur.

B. Un secteur particulier qui justifie le recours à des notions spécifiques de déontologie :

Déjà, dans le secteur boursier, il y avait eu une réflexion déontologique avec le groupe Brac de la Perrère, en mars 1988, qui a mené à la création de « code de conduites privés ». Ceux ci tenaient compte de la spécificité de la branche du droit financier, et de l'importance de réglementer strictement les activités des professionnels, le secteur financier étant un secteur particulièrement sensible. C'est ainsi que sont apparues de nombreuses obligations spécifiques au secteur financier, parmi lesquelles nous citerons notamment l'obligation de diligence, d'information l'obligation de respect du secret des affaires, ou encore l'obligation de faire primer les intérêts du clients sur ceux du professionnel.

Par l'obligation de diligence, l'intermédiaire s'engage à exécuter rapide ment les ordres de son client afin d'éviter une trop grande fluctuation des cours dans le temps. Le professionnel doit toujours faire passer les intérêts de ses clients en priorité, ce qui suppose qu'il ne peut se mettre dans une situation qui risque d'engendrer un conflit d'intérêt. Le simple fait de soupçonner l'existence d'un conflit d'intérêt est proscrit, car il est de nature à rompre la confiance que le client doit avoir envers le professionnel. De plus, l'intérêt du client suppose que le professionnel fasse preuve d'une grande prudence dans sa gestion.

L’information est considérée par le législateur comme une règle de bonne conduite. Cela va beaucoup plus loin que la simple interdiction de commettre un dol : le professionnel se doit de révéler des informations de qualité étant exactes et opportunes. Cette bonne information se présente tout au long de la relation avec le client, tant dans la phase pré-contractuelle que lors de la signature du contrat et de l'exécution de ce dernier. Cela implique une obligation de transparence du professionnel, qui doit révéler à son client un certain nombre d’indications portant sur son identité, l’objet de ses activités, ses liens financiers. Mais cela suppose aussi que le professionnel s’informe sur le client. L’article L. 520-1 du Code des assurances énonce qu’avant la conclusion de tout contrat, l’intermédiaire doit « préciser les exigences et les besoins du souscripteur éventuel ainsi que les raisons qui motivent le conseil fourni quant à un produit d’assurance déterminé ». Lors de la conclusion du contrat, le professionnel doit continuer à donner des informations à son client, en tenant compte de ses besoins, et ceci durant toute la durée d'exécution du contrat.

Dans le domaine particulier qu'est le droit des affaires, et plus particulièrement dans le secteur financier, il est important de respecter le « secret des affaires ». C'est pourquoi le secret professionnel est une obligation particulièrement développée par la déontologie financière. Afin de renforcer le principe d’intégrité et la confiance accordée aux organismes financiers, il est interdit à tout agent, quel que soit son statut, de tirer profit, pour son compte personnel ou pour le compte d’autrui, des informations obtenues. Ce secret professionnel est imposé par la loi, mais aussi par la pratique professionnelle. Le non respect de cette obligation est passible de sanctions pénales. Cependant, le secret n’est pas absolu : il peut être levé lorsque la loi donne autorisation d’y déroger.

Parfois même, le devoir au silence qui caractérisait le secret professionnel, se transforme en devoir de révélation. Il en est ainsi en matière de lutte contre le blanchiment. Non seulement le professionnel ne doit pas prendre part aux agissements frauduleux de ses clients, mais il a de plus une obligation de les dénoncer. Le professionnel se doit donc de faire preuve d'une intégrité financière, et ce tout au long de sa fonction. Il doit démontrer qu’il fait preuve d’une moralité exemplaire, et remplir son obligation de vigilance et de dénonciation.

Toutes ces obligations, dont la liste n'est pas exhaustive, démontrent que le secteur financier fait l'objet d'un système déontologique très élaboré, qui réglemente fortement les comportements des professionnels. Cette réglementation peut paraître outrancière, toutefois, elle semble plus que nécessaire au vu du risque encouru par le client. En effet, même si le client peut être tenu d'assumer le risque qu'il prend en connaissance de cause, le secteur financier se distinguant notamment par l'existence d'un fort risque, les activités financières sont susceptibles de mettre en jeu la santé des marchés, et par là même, de l'économie toute entière. Les états et l'Union Européenne ont bien saisi l'importance de l'enjeu, et ils sont rejoints sur ce points par les professionnels, qui ont eux aussi tout intérêt à préserver l'intégrité de leur secteur. C'est pourquoi la spécificité de la déontologie financière au regard des autres déontologies professionnelles semble tout à fait justifiée.

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