Me El Hadji Mame Gning est avocat au Barreau du Sénégal depuis plus d’une vingtaine d’années et Commissaire à la protection des données personnelles, nommé par monsieur le Président de la République en 2011, en qualité de membre de la commission pour la protection des données personnelles, sur proposition de monsieur le Bâtonnier.
Le contexte actuel marqué par la traque des biens mal acquis au Sénégal, la mort de l'avocat Jacques Vergès, l’affaire Snowden au niveau international, Me El Hadji Mame Gning qui s’est prêté aux questions de Seneweb News, revient aussi dans cet entretien sur l’exercice des professions juridiques et libérales. Ancien directeur de l’Institut de Formation des Avocats du Sénégal (I.F.A.S), Me Gning estime que l’affaire Snowden « n’a pas eu un impact sur la protection des données personnelles du citoyen en Afrique ».
Entretien
Me Gning, parlez-nous de vous, de votre parcours, de l’école primaire à la profession que vous exercez aujourd’hui, en tant qu’avocat au barreau du Sénégal
Je suis avocat au Barreau du Sénégal depuis plus d’une vingtaine d’années et Commissaire à la protection des données personnelles (…). J’ai fait mes études primaires à l’école mixte de Sokone (Région de Fatick), avant de rejoindre le collège des enfants de troupe du Prytanée Militaire de Saint-Louis, en septembre 1972. J’ai fréquenté cette école de 1972 à 1978. J’ai eu mon Baccalauréat A (littérature) avec la mention Assez bien, après deux années passées au Lycée Blaise Diagne de Dakar en 1980. Je me suis alors inscrit à la faculté de droit de l’Université de Dakar (devenue Université Cheikh Anta Diop) où j’ai obtenu le diplôme de Maîtrise en droit privé (option droit des affaires) en 1983. Je fus admis à l’examen du Barreau en décembre 1984 (classé 3ème, sur 12 candidats définitivement reçus, dont un administrateur civil classé 11ème).Parallèlement à la profession d’avocat, j’ai été chargé d’enseignement à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis de 1995 à 2000, à l’Unité de Formation et de Recherche de sciences économiques et de gestion. J’ai également eu l’honneur de servir ma profession, en exerçant les fonctions de Directeur de l’Institut de Formation des Avocats du Sénégal (I.F.A.S) de juin 2010 à août 2012, date à laquelle je suis descendu de charge.
Je suis diplômé de l’Institut International des Droits de l’Homme de Strasbourg (Institut René CASSIN). Présentement, je prépare, en ligne, un Master 2 à l’Université de Nantes en Droit international et Européen des Droits de l’homme (je ne peux pas me passer des études). Je suis marié et père de 04 enfants dont deux filles (16 et 15 ans) et deux garçons (10 et 5 ans). Je suis membre de plusieurs organisations des droits de l’homme (S.I.D.H et CREDHO). Je suis également militant d’un parti politique (Demain la République).Voilà en gros mon parcours…Je vous dispense des détails…
L’exercice des professions juridiques et libérales au Sénégal
Je n’ai pas beaucoup de choses à dire sur ce chapitre, sinon que je rêve d’une grande profession juridique et judiciaire qui associerait avocats, notaires, huissiers et experts comptables. Cet effort de rationalisation aiderait à mon sens, à mieux organiser les professions juridiques et comptables, qui sont sur le même segment, dans le marché du droit et qui pourraient fusionner pour former un seul et même corps, intégrant en son sein des paquets de compétences, au service du citoyen et du secteur privé. Evidemment, chaque profession garderait ce qui fait son identité propre. Ainsi nous aurions une législation professionnelle commune, tout en respectant la diversité et la marque d’origine de chaque profession. Ne perdons pas de vue que ces professions constituent l’infrastructure de base de l’économie. Leur performance participe directement à la compétitivité de celle-ci. Je sais que ce n’est pas pour demain ! Il ne faudrait pas attendre le siècle prochain pour y arriver… Les Européens ont déjà ouvert ce chantier. Je pense à la Commission DARROIS en France, qui préconise une démarche semblable dans ses conclusions et qui démontre fort pertinemment que la configuration des professions juridiques (la configuration actuelle) ne peut pas être efficace dans un monde de compétition globale…Nous devons trouver notre chemin !
La dernière chose à dire sur ce chapitre, mais qui me tient à cœur, tout autant, est la nécessité aujourd’hui, pour les professions juridiques de s’adapter. S’adapter veut dire trouver une meilleure connexion avec le monde réel. Et pour cela, il faudrait valoriser le savoir-faire, dont la passerelle est la formation professionnelle. Il nous faut en effet définir de nouveaux profils, élaborer de nouveaux curricula, promouvoir de nouvelles méthodes de formation qui ont fait leur preuve ailleurs, par une vive approbation du marché, en particulier dans les pays Nord Américains… Je pense particulièrement à l’approche par compétences, qui devrait être le credo de toute formation dans nos pays. Oh non, je ne tiens pas en mince estime la formation de base de l’Université. Elle est indispensable, mais nous devons rechercher l’efficacité et l’innovation, facteurs décisifs du progrès, passant par une bonne formation professionnelle complémentaire.
Quel est le rôle d’un avocat dans un contexte comme le nôtre, marqué par la traque des biens mal acquis ?
Le rôle d’un avocat ne peut pas être remorqué à un contexte, il reste le même, partout et en toute circonstance ! C'est-à-dire assurer la défense des intérêts,voire l’honneur de son client. Cela veut dire, respecter et faire respecter les procédures, évaluer et discuter les preuves, assister et représenter son client devant les juridictions d’instruction ou de jugement, négocier et se concilier. C’est tout !
Ceci dit, l’Etat gagnerait, à mon humble avis, à mieux s’organiser, pour sa représentation et la défense de ses intérêts sur le plan national ou international, en réformant l’agence judiciaire de l’Etat, afin de mieux l’étoffer en ressources humaines, par le recrutement et le développement de partenariats avec le Barreau et l’Université. Chacun à sa place !
Le fonctionnaire n’est pas formé pour défendre devant un prétoire ou un tribunal arbitral. Il n’est pas formé non plus pour donner des conseils juridiques, mener des investigations, auditer les comptes d’une entreprise, évaluer un patrimoine. Et le monde a beaucoup changé ! Il faut aussi s’interroger, des fois, sur le pourquoi et le comment des institutions, pour leur meilleure adaptation au contexte.
Le dossier de la traque des ‘’biens présumés mal acquis’’ montre à suffisance cette problématique. Je dois quand bien même dire, que j’aime cette philosophie de la redevabilité, mise en œuvre à travers ce dossier, dans lequel les dirigeants de l’ancien régime, qui étaient aux affaires sont appelés à rendre compte. Cette redevabilité est de droit pour la Nation qui demande la reddition de ses comptes.
Ce dossier consacre de fort belle manière, l’effectivité des droits de l’homme de la troisième génération (les droits collectifs), savoir les droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux, comme le droit au développement, par exemple, consacrés par les instruments internationaux de promotion et de protection des droits de l’homme régulièrement ratifiés par notre pays.
Il doit être mené dans le respect de la loi et de la dignité de tous.
Que vous inspire la mort de « l’avocat du diable », Jacques Vergès (1925-2013 ?
Jacques Vergès, un confrère génial ! Avocat réputé, pour son courage et son indépendance… J’ai eu à le rencontrer à l’occasion d’une audience de la Cour d’Appel de Dakar, en 1986-1987, alors que j’étais jeune avocat stagiaire. Il forçait l’admiration ! On peut ne pas être d’accord avec lui, mais il faisait son travail. Sa mort nous a instruit du respect et de la reconnaissance de ses confrères du Barreau de Paris qui ont vu en lui ‘’un Chevalier de la défense’’ ! Le titre n’est pas de trop. Défendre était sa raison de vivre ! Il avait une sensibilité pour les pauvres, les exclus, les abandonnées et les ‘’sans défense’’ ! Le titre de son dernier livre ‘’Malheur aux pauvres’’ est assez révélateur ! Il fait le portrait au vitriol d’une justice à géométrie variable, dont ‘’les jugements de Cour vous rendront blanc ou noir, selon que vous serez puissant ou misérable’’…
L’actualité internationale avec l’affaire Snowden. Quelle lecture en faites-vous ?
Ah Edward Snowden ! Le jeune homme qui fait trembler l’Amérique et embarrasse l’Europe !
Il a enfin obtenu l’asile provisoire, malgré les garanties données par son pays, les Etats-Unis, qui s’était engagé à ne pas lui infliger une peine cruelle ou dégradante et à organiser pour son propre jugement un procès équitable !
Cette affaire n’a pas eu à ma connaissance, un impact sur la protection des données personnelles du citoyen en Afrique. Cependant elle a crée une véritable crise de confiance, pour on ne sait combien de temps encore, chez les principaux partenaires des Etats-Unis, savoir l’Europe qui étaient en négociations commerciales très avancées avec les Etats-Unis, lesquelles ont été interrompues à cause de cet incident, que je juge préoccupant.
Le Président OBAMA a entrepris il y a quelque semaines seulement, la réforme de la N.S.A (National Security Agency) qui était justement chargée par la loi sur le ‘’Patriot Act’’, prise à la suite des événements du 11 septembre, de cette vaste opération de surveillance électronique et de collecte de données de trafic aux Etats-Unis et à l’étranger dénommée programme ‘’ PRISM’’et qui aurait mené à des dérapages, puisqu’on révèle que les représentations diplomatiques de pays Européens au Nations-Unies, auraient vu leur système de chiffrage cassé, par la NSA qui aurait, à un moment, littéralement pris le contrôle de leur système de vidéoconférence et accédé à leurs données.
Il en est de même des citoyens américains ayant connu, semble t-il, des immixtions dans leur vie privée par la NSA qui aurait accédé à leurs données téléphoniques, par le truchement et la complicité de grands fournisseurs d’accès comme Google, Aol,Yahoo ou Facebook dont les serveurs auraient été mis à disposition de la NSA bénéficiant de facilités d’accès.
L’enquête ouverte par le parquet de Paris sur une plainte de la FIDH permettra d’y voir plus clair et de savoir qui a fait exactement quoi et comment !
Le problème c’est le ‘’patriot Act’’ qui est une véritable loi d’exception. J’ose espérer que les reformes apportées par le Président OBAMA, qui est le ‘’premier militant des droits de l’homme en Amérique’’, apporteront les correctifs nécessaires à cette fameuse loi héritée du système Bush, afin de mieux allier la recherche de la sécurité publique au respect des droits et libertés des personnes.
L’enseignement à tirer pour nous autres pays en développement, est de savoir que le monde est devenu dangereux, avec l’avènement des nouveaux environnements électroniques et que personne n’est à l’abri d’interception de communication ou de violation de données personnelles. Les Européens sont offusqués par les révélations de Snowden, mais il faut bien reconnaître que c’est ‘’l’histoire de l’arroseur arrosé’’ et que le phénomène des ‘’grandes oreilles’’ n’est pas aussi récent qu’on le pense! En effet, saviez-vous, que c’est le Pacte Okusa, passé au lendemain de la seconde guerre mondiale entre les USA, le Royaume Uni, le Canada et l’Australie qui a permis la mise en place du système ECHELON, sous la supervision de la N.S.A, qui a développé depuis, un vaste programme d’écoute et d’interception de communication de toutes sortes (courriers électroniques, fax, appels téléphoniques etc.…) sur toute la surface de la terre, à l’insu de ses habitants, au profit de ces pays et sans aucune base légale ?
Ce problème est très complexe et mérite à mon avis, que les Nations Unies s’y penchent sérieusement, en ouvrant des négociations, afin qu’on puisse à terme, sur le plan international, mettre sur pied un véritable traité portant sur la protection des données personnelles.
La préservation du droit à la vie privée de la personne humaine et de sa dignité est à ce prix.
Je suis loin de développer le ‘’syndrome de Orwell’’, mais le bon soin qu’on mettra, pour apporter des solutions durables, à ces nouvelles générations de problèmes déterminera, en grande partie, le genre de sociétés dans lesquelles, nous serons appelés à vivre, dans les prochaines décennies.