L’article L. 313-14 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dispose, dans sa rédaction issue de la loi n°2007-1631 du 20 novembre 2007, que « La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7. » Il s’agit de permettre à l’étranger présentant une situation particulière de prétendre à « l’admission exceptionnelle au séjour » sans avoir besoin de présenter pour cela un visa de long séjour, soit supérieur à trois mois.
Loin d’être une avancée dans l’admission au séjour, le flou des conditions requises ainsi que le contrôle restreint exercé par le juge administratif sur l’appréciation portée par le préfet conduisent à considérer cet article comme porteur d’une excessive insécurité juridique (I). En outre, l’interprétation jurisprudentielle donnée à cet article paraît excessivement incertaine et parfois audacieuse (II).
I. Le Conseil d’Etat considère que le législateur « a entendu laisser à l’administration un large pouvoir pour apprécier si l’admission au séjour d’un étranger répond à des considérations humanitaires ou si elle se justifie au regard des motifs exceptionnels que celui-ci fait valoir. » Force est de constater qu’il s’agit de conditions pour le moins incertaines. En effet, les considérations humanitaires ou les motifs exceptionnels ne sont définis ni par la loi, ni par la jurisprudence. Il s’agit d’un ensemble de considérations, d’une impression générale, sorte d'impressionnisme juridique, largement laissée à la subjectivité de la personne en charge du dossier, administrateur ou juge. Or, le rôle du droit, son principal intérêt, est d’objectiver une situation sensible afin d’éviter qu’elle ne soit de trop soumise à la subjectivité d’une ou d’un petit nombre de personnes. C’est cela même qui permet de considérer les décisions de l’administration comme prises dans l’intérêt général. C’est aussi ce qui permet au juge de décider « au nom du peuple français ». Effectivement, c’est seulement parce que la décision rendue présente une objectivité certaine qu’elle sera acceptée par le corps social. En d’autres termes, le droit doit « produire du détachement » par rapport à la situation qu’il vise à régir.
Certains considèrent certainement que ces considérations théoriques n’ont pas d’importance. Peu importe la subjectivité de l’agent de préfecture, puisque le juge administratif est là pour contrôler, voire annuler, sa décision. Malheureusement, il n’en est rien. Dans l’avis précité, le Conseil d’Etat considère que « dans ces conditions il appartient seulement au juge administratif, saisi d’un moyen en ce sens, de vérifier que l’administration n’a pas commis d’erreur manifeste dans l’appréciation qu’elle a portée sur l’un ou l’autre de ces points. » Le juge exerce ainsi un contrôle restreint sur la décision préfectorale. Théoriquement, celui-ci doit donc se borner à vérifier que le préfet n’a pas commis d’erreur grossière. Au regard de l’incertitude des conditions de l’admission au séjour, l’erreur grossière, on en convient aisément, est rarement admise. Si, d’aventure, elle venait à l’être, alors le juge annulerait sans doute la décision. Mais étant en contentieux d’excès de pouvoir et non de pleine juridiction, il serait contraint de renvoyer le requérant devant le préfet afin que celui-ci prenne une nouvelle décision, exerçant le même pouvoir d’appréciation large qu’auparavant. En aucun cas le juge ne peut se substituer à l’autorité préfectorale et accorder le titre de séjour demandé. C’est un cercle potentiellement sans fin. On le voit, le rôle du juge, posé comme limite, sinon à l’arbitraire, à tout le moins à la subjectivité de l’administration est considérablement remis en cause dans le contrôle des décisions prises en application de l’article L. 313-14. En outre, cette incertitude est largement contraire au principe général du droit que représente l’impératif de sécurité juridique et, au-delà, l’objectif à valeur constitutionnelle de clarté et d’intelligibilité de la loi.
II. Pourtant, le préfet est tenu de motiver sa décision, ce qui constitue une garantie potentielle contre l’arbitraire. Les dispositions de la loi n° 79-587 indiquent que « doivent être motivées les décisions qui (...) constituent une mesure de police », ce qui est le cas en l’espèce. De plus, « La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. » Malgré cela, le législateur a beau jeu d’imposer l’énoncé de telles considérations si celles-ci ne peuvent être contrôlées efficacement par le juge. La seule exigence en matière de motivation est qu’elle doit être circonstanciée. En clair, ce qui est demandé au préfet est d’écrire, par exemple, que « les seules circonstances que M. X présente une promesse d’embauche de la société X et des liens affectifs avec des résidents français qu’il présente comme membres de sa famille ne sauraient suffire à le considérer comme présentant les considérations humanitaires ou des motifs exceptionnel mentionnés à l’article L. 313-14 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ». Lorsqu’il s’agit de l’avenir d’un justiciable, cela paraît un peu léger.
Finalement, la jurisprudence, loin de renforcer de manière prétorienne le contrôle du juge en la matière, ne cesse de le restreindre. C’est ainsi qu’elle a pu considérer que le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation en l’espèce ne peut être confondu avec celui tiré de l’erreur manifeste d’appréciation des conséquences de la décision du préfet sur la situation du requérant. Ainsi, si le requérant ne précise pas expressément que la décision a des conséquences graves sur sa situation, le juge ne pourra se prononcer sur ce moyen, ne devant pas juger ultra petita. Le juge se trouve donc les mains liées dans ce contentieux. Loin de pouvoir exercer son rôle de conciliateur entre l’intérêt général et les intérêts des particuliers, il sert en réalité à couvrir du poids juridictionnel une décision préfectorale, à lui donner une force incontestable. Nous pensons donc qu’il est plus que temps de favoriser une véritable sécurité juridique dans le contentieux des étrangers.
Pour ce faire, supprimons l’article L. 313-14 du CESEDA !