NOTE RELATIVE AU REVIREMENT JURISPRUDENTIEL DU CONSEIL D’ETAT EN MATIERE DE CONTROLE DES DECISIONS RENDUES PAR LA FORMATION DISCIPLINAIRE DU CONSEIL SUPERIEUR DE LA MAGISTRATURE
Par Me Ghennai Ramdane *
Enseignant à la faculté de droit
de Boumerdés Algérie
Avocat agrée près la Cour Suprème
Deux arrêts traitant de la question relative à la nature du contrôle exercé par le Conseil d’Etat sur les décisions disciplinaires émanant du Conseil Supérieur de la Magistrature ont été publiés dans la neuvième édition de la revue du Conseil d’Etat[1].
Ils « ont été choisis », selon l’avant- propos de cette édition, pour « illustrer la nouvelle orientation jurisprudentielle » prise par le Conseil d’Etat dans son arrêt n° 016886 rendu toutes chambres réunies en date du 07-06-2005. Cet arrêt, non encore publié, a mis fin « à la procédure de recours en annulation pour excès de pouvoir ... contre les décisions du conseil supérieur de la magistrature statuant en formation disciplinaire » [2] et lui a substitué la voie de la cassation retenue dés lors comme unique recours juridictionnel possible à leur égard.
Ces deux arrêts dont, le premier a entériné l’irrecevabilité du recours en annulation et le second admis le pourvoi en cassation en la matière sont donc venus clarifier le sens et la portée exacte de l’arrêt de revirement n° 016886.
Cette double clarification est utile voire même nécessaire pour au moins deux raisons :
- La première tenant au fait que l’arrêt de revirement n’ayant pas été publié, l’ignorance de la teneur exacte du revirement qu’il consacre pouvait avoir de lourdes conséquences sur la situation des magistrats concernés.
- La seconde se rapportant à l’extrapolation faite de ce revirement par l’une des chambres du C.E qui a appliqué la nouvelle jurisprudence à des litiges concernant la promotion des magistrats [3] établissant ainsi une similarité injustifiée entre les décisions prises par le CSM en session plénière dans le cadre de la gestion de la carrière des magistrats et celles rendues par cette même institution statuant en formation disciplinaire !
Le présent commentaire s’intéresse spécialement à l’étude des problèmes juridiques posés par le revirement jurisprudentiel consacré par l’arrêt 016886 du 07-06-2005.
A titre de rappel des faits, le sieur B.O, magistrat au tribunal de Frenda a été révoqué le 19/02/2001 par le conseil supérieur de la magistrature ( C.S.M ) statuant en conseil de discipline pour avoir manqué à l’obligation de réserve et fait montre d’insuffisance professionnelle par la prise d’une décision portant condamnation à une amende dépassant le seuil maximal prévu par la loi.
L’intéressé a introduit un recours en annulation devant le conseil d’Etat. Au soutien de sa requête, il a, en la forme invoqué la satisfaction de la condition du recours administratif préalable et au fond soulevé deux moyens. Le premier tenant au vice de procédure entachant la composition de la formation disciplinaire dont l’un des membres n’était autre que le procureur général de la cour de Tiaret dont relevait le magistrat sanctionné. Le second relatif au défaut de motifs de la décision disciplinaire attaquée.
- Le Ministre de la justice partie requise, a soulevé l’irrecevabilité en la forme de l’action au motif que les décisions disciplinaires émanant du C.S.M ne sont susceptibles d’aucun recours conformément à l’article 99 de la loi de 1989 portant statut de la magistrature.
Pour sa part, le commissaire d’Etat a fondé ses conclusions sur le fait que le C.S.M statuant en conseil de discipline devait être considéré comme une juridiction administrative spécialisée dont les décisions n’étaient susceptibles que de recours en cassation[4].
En réponse au moyen soulevé par le ministre de la justice, le C.E, faisant siennes les conclusions du commissaire d’Etat, a considéré que « Le conseil supérieur de la magistrature est une institution constitutionnelle et que sa composition et les procédures de poursuite devant lui ainsi que les attributions particulières qui lui sont dévolues en tant que conseil de discipline, font de lui une juridiction administrative spécialisée rendant des jugements définitifs susceptibles de recours en cassation en vertu des dispositions de l’article 11 de la loi organique 98-01… » et que « par conséquent, le recours dans le cas d’espèce ne peut être qu’un recours en cassation assujetti obligatoirement aux conditions requises par l’article 233 du code de procédure civile …» [5]
L’intérêt de cet arrêt réside principalement dans le fait qu’il a marqué un tournant dans la jurisprudence de la haute juridiction administrative au sujet du type de recours contentieux à former contre les décisions disciplinaires rendues par le C.S.M.
Commenter cet arrêt est une occasion pour l’auteur de ces propos de mettre en valeur d’autres arguments aptes à réconforter et défendre l’opinion déjà émise par lui dans le commentaire réservé à l’arrêt du 27/07/1998 [6] par lequel le C.E avait entériné une jurisprudence antérieure consistant à considérer « les actes rendus par le C.S.M statuant en matière disciplinaire … comme émanant d’une autorité administrative centrale et qu’en cette qualité ils sont susceptibles de recours en annulation » [7]. Afin de consacrer le caractère constant de cette jurisprudence, la revue du C E a pris le soin de publier à maintes reprises des arrêts significateurs rendus par la haute juridiction administrative[8]
Il est clair que les deux positions du C.E sont diamétralement opposées. Ce paradoxe si lourd de conséquences ouvre immanquablement la voie à une réflexion tournée vers la question de savoir si le C.E a fait ou pas, en l’espèce, une saine application de la loi.
Pour cela, le présent commentaire se propose tout particulièrement de faire l’analyse des arguments qui ont amené le C.E à ce revirement et ce, principalement à la lumière des textes législatifs y afférant en s’attachant le moins possible aux controverses doctrinales [9]
Le C.E a pu, en un seul attendu, mettre en exergue les arguments qui l’ont amené à qualifier le C.S.M de Juridiction administrative spécialisée. Rédigé en Arabe clair et précis, l’attendu est formulé comme suit :
" حيث أن المجلس الأعلى للقضاء مؤسسة دستورية و أن تشكيلته و إجراءات المتابعة أمامه و الصلاحيات الخاصة التي يتمتع بها عند انعقاده كمجلس تأديبي تجعل منه جهة قضائية إدارية متخصصة تصدر "إحكاما نهائية" تكون قابلة للطعن فيها عن طريق النقض أمام مجلس الدولة عملا بأحكام المادة 11 من القانون العضوي 98/01 ... وبالتالي فان الطعن في هذه الحالة لا يمكن أن يكون إلا طعنا بالنقض و بذلك يجب أن يخضع للشروط المحددة بالمادة 233 من قانون الإجراءات المدنية "
Il ressort de la lecture attentive de cet attendu que le C.E, au soutien de sa nouvelle position, s’est fondé sur trois motifs qui seront discutés suivant l’ordre dans lequel ils ont été développés dans la décision, objet de ce commentaire :
A - DE LA COMPOSITION DU C.S.M :
Selon le C.E, le C.S.M est une juridiction administrative spécialisée parce qu’il est composé en partie de magistrats. Le conseil d’Etat s’est donc appuyé sur le critère de la qualité des personnes composant le conseil supérieur de la magistrature pour lui conférer le statut de juridiction.
Le C.E a repris en cela une idée qui avait fait le bonheur d’une certaine doctrine Française [10] mais qui semble être aujourd’hui abandonnée par les spécialistes du droit public sauf pour révéler l’historique des écoles doctrinales qui s’intéressent à la distinction entre actes juridictionnels et actes administratifs ou encore entre juridictions et autorités administratives.
Le C.S.M est-il composé de Magistrats au sens des dispositions légales régissant le corps de la magistrature ? La réponse à cette question permettra de mieux appréhender le critère consacré.
Il faut noter d’abord que le C.S.M n’est pas composé exclusivement de magistrats. Selon la loi organique n°04-12 [11], le C.S.M est composé de vingt et un (21) membres dont seulement douze sont magistrats de leur état [12]. Le reste des membres étant choisi en dehors du corps de la magistrature comme le prévoit l’article 03 alinéa 05 de cette loi organique [13]
Il est à signaler également, que l’article 11 alinéa 04 prévoit la nomination par arrêté du ministre de la justice d’un magistrat pour assurer le secrétariat du C.S.M. De son coté, l’article 10 alinéa 02 donne au même ministre le pouvoir de désigner deux fonctionnaires de son ministère pour l’assister au bureau permanant du C.S.M.
Ce magistrat et ces deux fonctionnaires, personnel administratif par excellence, ne font pas partie des membres du C.S.M et ne peuvent participer à ses travaux ; contrairement au directeur chargé de la gestion du corps des magistrats à l’administration centrale du ministère de tutelle qui, selon l’article 03 alinéa 06, participe aux travaux sans voix délibérative.
Est-ce que la composition du C.S.M siégeant en formation disciplinaire est spécifiquement constituée de membres magistrats de leur état ?
La loi organique n° 04-12 ne contient aucune disposition permettant d’affirmer que les membres non magistrats ne participent pas aux travaux du C.S.M statuant en tant que conseil de discipline. Au contraire, l’article 14 dispose précisément que pour « délibérer valablement, le conseil supérieur de la magistrature doit siéger en présence des deux tiers (2/3) au moins de ses membres ».
Il en résulte donc, que la composition du C.S.M statuant en matière disciplinaire comprend, sans distinction aucune, tous les membres du C.S.M prévus par l’article 03 de la loi organique précitée[14] .
Devant cette certitude, quelle conséquence faut-il tirer de l’application de ce critère ? Sera-t-il retenu par le C.E pour conférer la qualité de juridiction à toute institution ayant pour vocation de trancher des litiges et qui serait composée exclusivement ou partiellement de magistrats ?
Si telle est réellement la position du C.E, la logique veut que les cas similaires doivent bénéficier du même traitement et recevoir nécessairement une solution identique. Par conséquent, faut-il s’attendre à une remise en cause de la position du C.E à l’égard de toutes les instances disciplinaires relevant des ordres professionnels comme par exemple, la commission nationale des recours compétente pour connaître, en appel , des décisions disciplinaires rendues contre les avocats [15] ; ou encore les entités qui assurent au même titre que le C.S.M un service public et qui possèdent en même temps des attributions disciplinaires telles que la commission bancaire instituée par la loi sur la monnaie et le crédit [16] .
Il importe de préciser que ces deux exemples ont été sciemment choisis parce que d’une part ils concernent des organismes composés partiellement de magistrats et présidés par eux, au même titre que le C.S.M statuant en conseil de discipline[17] et d’autre part ils représentent deux exemples au sujet desquels le CE a pris des positions totalement opposées .
Avant l’apparition de l’arrêt 047841 relatif à la nature du pourvoi juridictionnel contre les décisions de la Commission Nationale des Recours[18], le C.E n’avait jamais considéré les décisions disciplinaires de ces instances comme étant des actes juridictionnels et les recours judiciaires admis contre elles ont toujours été des recours en annulation et non des pourvois en cassation, et ce nonobstant l’apport doctrinal tendant à leur reconnaître le statut de juridictions.[19] Le CE considère désormais la CNR comme étant une juridiction administrative et que ses décisions sont susceptibles de pourvoi en cassation et non pas de recours en annulation [20]
En somme, si le C.E venait à généraliser l’application de ce critère formel beaucoup d’organes créés par-ci par-là sous diverses appellations ; commissions, comités, et autres, se verraient sans doute promus au rang de juridictions !! Le contraire serait une option moins attrayante vu que le traitement partiel devient partial quand il crée une différence sans motif apparent.
Il est certain que les magistrats membres du C.S.M ne remplissent pas une fonction juridictionnelle au sein de cette institution. En effet, l’article 02 de la loi organique n° 04-11 du 6 septembre 2004 portant statut de la magistrature [21] dispose que le corps de la magistrature comprend nominativement ; les magistrats du siège et du ministère public de la cour suprême, des cours et des tribunaux relevant de l'ordre judiciaire , les magistrats du siège et les commissaires d’Etat du Conseil d'Etat et des tribunaux administratifs et les magistrats exerçant :
— dans l'administration centrale du ministère de la justice
— au secrétariat du Conseil supérieur de la magistrature,
— aux services administratifs de la Cour suprême et du Conseil d'Etat,
— aux établissements de formation et de recherche relevant du ministère de la justice.
A la lumière de ce texte, il résulte clairement que seul le secrétaire du C.S.M, quoique n’étant pas membre, est considéré comme magistrat exerçant au sein de ce conseil.
Cette idée est confirmée par l’article 74 qui reconnaît au seul magistrat susnommé la qualité d’être en position d’activité et par conséquent soumis au statut de la magistrature.
Par ailleurs les articles 49 et 50 de la même loi qui répertorient toutes les fonctions judiciaires spécifiques du corps de la magistrature ne font aucune référence à la « fonction » de membre du C.S.M. D’où, il est permis de déduire qu’aucun doute ne subsiste s’agissant de la qualité des membres du C.S.M : ils ne sont pas considérés comme magistrats en position d’activité.
Cette déduction est d’autant plus pertinente que les magistrats sont élus au C.S.M non pas dans le but d’exercer une fonction juridictionnelle mais plutôt dans celui d’accomplir la mission de représenter leurs pairs à tous les travaux de ce conseil, organe crée par le constituant comme institution représentative apte à garantir l’indépendance de l’autorité judiciaire et le respect du statut de la magistrature.
Pour conclure, il faut se référer à l’avis du Conseil constitutionnel qui, en procédant au contrôle de conformité de la loi organique 04-12 fixant la composition, le fonctionnement et les attribution du C.S.M, avait considéré, avec la clarté désirée, que « le mandat de membre du C.S.M n’entre pas dans le cadre des mandats prévus par la constitution ni parmi les emplois civils et militaires de l’Etat, que par ailleurs les personnalités désignées par le Président de la république dans la composition du CSM ne font pas partie du corps des magistrats » .
Ce qui veut dire en clair qu’être membre du C.S.M, que ce soit en qualité de membre élu ou désigné aussi bien que d’office, ne constitue pas l’exercice d’un emploi civil, militaire, ou judiciaire ; pour lesquels le président de la république est investi du pouvoir de nomination en vertu des articles 78-2 et 7 de la constitution. En foi de quoi, le juge constitutionnel écarta, à bon droit d’ailleurs, la référence à ces articles dans les visas de ladite loi organique.
Pour toutes ces raisons, le critère consacré par le C.E s’avère tout simplement dénué de tout fondement conforme à la loi, au même titre que le deuxième critère relatif à la nature des procédures applicables.
B - DE LA NATURE DES PROCEDURES APPLICABLES :
Ce critère signifie, selon l’arrêt du C.E, que les procédures mises en oeuvre devant le conseil disciplinaire du C.S.M permettent de qualifier cette formation de juridiction administrative spécialisée. A ce propos, il y a lieu de souligner que l’arrêt objet de ce commentaire n’explicite pas cette nature, mais sous-entend qu’elle est de caractère judiciaire.
Cette motivation est-elle juridiquement acceptable ?
Il importe de préciser, en premier lieu, que ces procédures sont contenues dans la loi organique relative au C.S.M, et qu’aucun visa ou article de cette loi ne s’accordent à consacrer le code de procédure civile (C.P.C) comme source procédurale, ou renvoient-ils, pour le moins, à l’application de certaines procédures de ce code ou même à d’autres procédures judiciaires consacrées par des textes spéciaux.
A défaut de tels textes, quelles sont alors les raisons qui ont été à l’origine de la consécration de ce critère par le CE ?
Il semble que la similitude existante entre les règles de procédure applicables devant le C.S.M statuant en tant que conseil de discipline et celles qui sont suivies auprès des juridictions répressives aurait été probablement le facteur déterminant sur la base duquel le C.E a été amené à judiciariser implicitement les procédures applicables et ce afin de pouvoir asseoir le bien fondé du revirement jurisprudentiel adopté.
Il est vrai que la ressemblance entre les deux types de procédures est frappante. Les concepts contenus dans les dispositions de la loi portant statut de la magistrature de 1989[22] en vigueur au temps où la décision disciplinaire objet du recours qui a donné naissance au revirement a été prononcée ; et celles de la loi organique relative au C.S.M de 2004, applicable au moment où l’arrêt commenté a été rendu sont éloquents :
- Le concept « action » est consacré par les articles 93-102 de l’ancienne loi (ancien) et par les articles 22-26 de la nouvelle loi organique (récent)
- Le concept « audience » est consacré par l’art 92 ancien et 31 récent
- Le concept « conseiller rapporteur » art 94 ancien, 27 récent
- La lecture du rapport est obligatoire art 96 ancien, 31 récent
- Le droit à la défense est garanti par l’art 98 ancien, 30 récent
- Un procès verbal pour chaque audience est signé par le président et le secrétaire du C.S.M art 92 ancien, 25 récent comme en matière criminelle.
- La demande de réhabilitation est un droit pour tout magistrat sanctionné après un délai de deux ans à compter du prononcé de la sanction art 101 ancien, 72 de la loi organique 04-11 [23] . La réhabilitation est un procédé utilisé aussi en matière pénale.
- La motivation des décisions disciplinaires est requise par l’art 99 ancien, 32 récent comme c’est le cas pour toute décision de justice et à l’inverse des actes administratifs qui peuvent ne pas être obligatoirement motivés dans certains cas.
- Le ministre de la justice exerce l’action disciplinaire devant le C.S.M au même titre que le ministère public qui détient l’opportunité des poursuites pénales.
- Le C.S.M ne peut s’autosaisir des affaires disciplinaires comme c’est le cas pour toute juridiction.
- Le C.S.M statuant en tant que conseil de discipline n’est pas soumis en principe à une tutelle et il est protégé contre toute ingérence, comme toute juridiction.
- Les décisions disciplinaires ne sont pas publiées, comme toute décision de justice, contrairement aux actes administratifs qui sont publiés dans les bulletins officiels.
En réalité, cette similitude ne concerne pas spécialement le C.S.M et les juridictions répressives puisque tous les organismes disciplinaires, qu’ils relèvent du secteur public ou du secteur privé, appliquent presque les mêmes normes procédurales. Ces normes d’ordre universel sont conçues pour garantir les principes indispensables d’un procès équitable tels qu’indépendance, impartialité, neutralité, principe du contradictoire, droit de la défense etc. [24].
Quel que soit le degré de cette similitude, cela ne constitue pas une raison suffisante en soi pour conférer le caractère juridictionnel à tous les organismes disciplinaires qui appliqueraient des procédures semblables à celles des juridictions. Cette affirmation demeure sans doute valable y compris dans l’hypothèse où la loi permettrait à ces organes d’appliquer les règles de procédure judiciaires. Car l’application de ces procédures peut être considérée comme un moyen pour affermir la crédibilité des actes de ces organes et non pas comme un argument pour affirmer leur prétendue juridictionnalisation.
Admettre la crédibilité du critère retenu par le C.E serait reconnaître que la nature des procédures détermine à priori la nature des organes devant lesquels elles sont appliquées !!
L’exemple suivant démontre l’irrationalité de cette approche : les instances arbitrales appliquent les règles de procédure judiciaires, mieux encore, le législateur algérien leur a réservé tout un livre du code de procédure civile. En dépit de tout cela, ni le législateur, ni la jurisprudence, ni la doctrine n’accordent aux arbitres la qualité de magistrats.
La logique juridique veut que les autorités appelées à rendre des actes juridictionnels soient tenues de le faire nécessairement selon les formes juridictionnelles établies. Tout acte pris en méconnaissance de ces formes ne doit pas être considéré comme acte juridictionnel. Ainsi, les actes rendus par les juridictions dans l’ exercice de leurs compétences gracieuses ne sont pas considérés comme actes juridictionnels au même titre que les divers actes administratifs pris par les juridictions pour assurer leur organisation et leur fonctionnement.
L’application des formes à caractère judiciaire devant une institution n’est pas une condition intrinsèque apte à conférer le caractère juridictionnel aux actes rendus par elle tant que cette institution n’est pas « érigée organiquement » par le législateur en tant que juridiction [25].
Si la création des juridictions relève exclusivement du pouvoir législatif en vertu de l’article 122 /6 de la constitution et qu’aucune délégation législative n’est consentie à quelque autorité que ce soit, est-il concevable que le C.E confère la qualité de juridictions à des institutions que le législateur n’a pas qualifiées comme telles !!
Y’ a-t-il lieu de distinguer entre la création et la qualification des juridictions afin de pouvoir justifier la décision du CE tendant à qualifier le C.S.M de juridiction administrative spécialisée. A supposer que cette distinction soit plausible, cela mène à dire que le C.E n’aurait pas crée la juridiction en question, et que devant le silence du législateur, il n’aurait fait que qualifier cet organe. En d’autres termes, le C.E aurait, à bon droit, fait oeuvre de jurisprudence pour combler le vide laissé par le législateur en s’appuyant sur des critères dégagés par lui-même.
- Malheureusement, cette distinction n’a pas sa raison d’être étant donné que la création des juridictions comporte en elle-même leur qualification. S’il arrive au législateur de créer des organismes sans spécifier pour autant leur qualité de juridiction, cela veut dire tout simplement que ces organismes ne sont pas considérés par lui comme des juridictions. Dans ce cas, aucune autre autorité ne peut s’arroger le droit de se substituer au législateur pour conférer le caractère juridictionnel à ces organismes sans transgresser le principe de séparation des pouvoirs.
La jurisprudence constitutionnelle est la mieux indiquée pour nous éclairer à ce propos. Au fait, le conseil constitutionnel a déclaré non conformes à la constitution les dispositions par lesquelles le législateur avait édicté la possibilité de créer des pôles judiciaires spécialisés par la loi organique n° 05-11 relative à l'organisation judiciaire alors que cela relève du domaine de la loi ordinaire en application de l'article 122-6 de la constitution. Le même conseil a aussi jugé inconstitutionnelles d'autres dispositions par lesquelles le législateur s'est désisté de la prérogative de créer ces pôles au profit du règlement.
Le juge constitutionnel confirma avec force et sans équivoque, que " le constituant a édicté le principe de création de juridiction et a investi exclusivement le législateur de leur création par une loi ordinaire et non pas par une loi organique" et qu'en agissant autrement " le législateur aura outrepassé son domaine de compétence, d'une part, et porté atteinte à l'article 122-6 de la constitution, d'autre part" [26].
De l’évidence même, ce que le législateur ne peut faire, est en soi impossible à faire par le juge administratif suprême. Si la création de juridiction par loi organique [27] est considérée comme illégale, elle l’est à fortiori quand elle est générée par simple décision de justice.
C - LES ATTRIBUTIONS PARTICULIERES DU C.S.M :
Le C.E décide, en dernier lieu, que les attributions qualifiées (par ses soins) de « particulières » dont jouit le C.S.M siégeant en formation disciplinaire, font de lui une juridiction administrative spécialisée.
Une interrogation s’impose : en quoi ces attributions sont-elles particulières au point de conférer le caractère juridictionnel au C.S.M ?
Il est certain que les attributions du C.S.M ont pour finalité de permettre à cet organe constitutionnel d’assurer l’indépendance de l’autorité judiciaire et le respect du statut de la magistrature. Cette dernière finalité – le respect du statut - est assurée par le C.S.M siégeant en formation disciplinaire selon les compétences qui lui sont dévolues mutatis mutandis par les lois organiques 04/11 et 04/12.
L’article 21 de la loi organique relative au C.S.M,lui donne compétence pour statuer en formation disciplinaire sur les poursuites engagées contre les magistrats. A cette fin, le conseil dispose d’un pouvoir d’enquête et de débat qui aboutit le cas échéant à la condamnation disciplinaire des magistrats fautifs. Les sanctions sont énumérées par la loi organique portant statut de la magistrature[28].
Aucune disposition légale existante ne permet, quelle que soit sa particularité, d’admettre que les attributions dont jouit le C.S.M font de lui une Juridiction.
Au contraire, certaines dispositions ont le mérite de faire apparaître clairement que le C.S.M ne peut non seulement être une juridiction mais que ses décisions disciplinaires ne pourraient, en aucun cas, être assimilées à des actes juridictionnels.
Parmi les dispositions allant dans ce sens, il faut noter l’article 34 de la loi organique 04-12 qui donne au CSM le pouvoir d’élaborer et d’adopter la charte de déontologie du magistrat. Cette charte « détermine », selon l’article 64 de la loi organique 04-11 portant statut de la magistrature, les fautes professionnelles autres que celles énumérées par cette loi.
En somme, il s’agit bel et bien d’un pouvoir réglementaire qui est octroyé au C.S.M. La formation disciplinaire est forcément appelée à appliquer les dispositions contenues dans la charte de déontologie qui est élaborée et adoptée par le C.S.M dont la composition est faite de tous les membres constituant également le conseil disciplinaire.
- Cette réalité est incompatible avec l’idée selon laquelle le C.S.M statuant en formation disciplinaire serait une juridiction. Car il va de la notion même de juridiction, que celle-ci ne puisse détenir un quelconque pouvoir de réglementation et qu’elle ne puisse, en particulier, réprimer du chef de ses propres règles. La juridiction perdrait, dans pareil cas, de son indépendance et de sa neutralité. Elle deviendrait inévitablement juge et partie à la fois.
Enfin, il est inconcevable, d’accorder le caractère juridictionnel à un organisme conciliant le pouvoir de dire le droit et celui de l’élaborer et de l’adapter. A l’inverse, les institutions administratives peuvent disposer des deux pouvoirs simultanément. L’exemple des autorités administratives indépendantes est significatif puisqu’elles sont généralement dotées du pouvoir de réglementation et du pouvoir de répression pour assurer la régulation du domaine économico financier dans lequel elles interviennent pour substituer l’Etat défaillant dans la gestion[29]. L’attribution des compétences répressives à ces autorités est considérée comme une orientation tendant « à déposséder l’instance judiciaire de l’un de ses attributs classiques : la sanction de la violation de la règle de droit »[30]. Avec la multiplication de ces organes de régulation, le rôle des juridictions pénales en matière de répression des délits économiques a tendance à devenir moins important en raison du phénomène de dépénalisation engendré par cette nouvelle forme de la législation économique algérienne.
En revanche, certaines dispositions légales ont la particularité de s’opposer à l’idée qui consiste à qualifier les décisions disciplinaires rendues par le C.S.M d’ actes juridictionnels. L’Art. 33 de la loi organique 04-12 précise que ce dernier, statuant en formation disciplinaire « prononce les sanctions disciplinaires prévues par la loi organique portant statut de la magistrature ». L’article 70 de cette dernière loi précise de son coté que « les sanctions disciplinaires de révocation et de mise à la retraite d’office » prévues à l'article 68 « sont consacrées par décret présidentiel » et que « les autres sanctions sont exécutées par arrêté du ministre de la justice ».
Les termes utilisés sont révélateurs. L’autorité des décisions disciplinaires rendues par le C.S.M dépend, pour ce qui est des sanctions du quatrième degré susvisées, de leur consécration par le Président de la république par voie de décret. Sans ce décret, ces décisions ne peuvent avoir autorité de la « chose décidée » [31] ni recevoir exécution. Ce décret représente, pour lesdites décisions, le certificat d’existence ainsi que le titre d’exécution. Cette remarque est d’à-propos vu que le Président dispose ici d’un pouvoir discrétionnaire et qu’aucune obligation ne lui est faite de procéder à la consécration d’office desdites décisions, ce qui implique que leur inobservation par le président ne peut faire en principe l’objet de recours contentieux.
La même remarque est à faire aussi pour ce qui est de l’ensemble des autres sanctions prévues à l’article 68 de la loi organique 04-11 portant statut de la magistrature. Les décisions disciplinaires prononçant ces sanctions ne peuvent être valides que si le ministre de la justice prend les arrêtés relatifs à leur exécution. Sans doute, le ministre de la justice détient un pouvoir discrétionnaire inattaquable devant le juge de l’excès de pouvoir.
La reconversion des décisions disciplinaires en décrets présidentiels et arrêtés ministériels s’intègre parfaitement avec la conception selon laquelle le système disciplinaire adopté en Algérie n’est pas de type juridictionnel mais administratif. Les actes portant sanctions disciplinaires sont pris par l’autorité administrative investie du pouvoir de nomination sauf dérogation légale expresse.
Ce cheminement logique respecte le principe de parallélisme des formes en permettant à l’autorité investie du pouvoir de nomination d’être détentrice également du pouvoir de prendre les actes modifiant la condition juridique du personnel nommé par elle. L’article 85 alinéa 4 va dans ce sens en octroyant à l’autorité investie du pouvoir de nomination la compétence d’accepter les démissions des magistrats après délibération du C.S.M.
Affirmer que la formation disciplinaire du C.S.M n’a que le pouvoir de « prononcer » les sanctions disciplinaires, c’est dire que le véritable pouvoir de sanction relève de la compétence de l’autorité administrative qui se réserve le droit de valider ou pas les décisions disciplinaires en question et ce, en tenant essentiellement compte de l’intérêt du service. La jurisprudence du C.E est constante à ne pas admettre les recours en annulation contre les décisions des commissions disciplinaires. Dans son arrêt B.T.R C/ DGSN, le C.E qualifie ces décisions de simples propositions de sanction et affirme qu’elles ne peuvent être assimilées aux actes administratifs « sanctionnateurs », seuls susceptibles de recours en annulation[32]
Il est clair que les trois critères retenus par le C.E se caractérisent par un manque de base légale manifeste. Pris ensemble ou séparément, ces critères s’avèrent peu résistants devant d’autres arguments aussi pertinents les uns que les autres.
les différents statuts juridiques de la cour des comptes sont un exemple qui prouve qu’un même organisme composé de magistrats, appliquant des procédures judiciaires peut être considéré comme juridiction rendant des arrêts susceptibles de pourvoi en cassation aussi bien que comme institution administrative dont les actes sont passibles de recours en annulation. Le tout dépend de la volonté du législateur.
Effectivement, selon l’article premier de la loi 90-32 du 04 décembre 1990 la Cour des Comptes était considérée comme institution nationale indépendante. Ses membres n’étaient pas soumis au statut de la magistrature, ils étaient régis par le décret exécutif n° 91-73 du 09 mars 1991 portant statut des membres de la cour des comptes. La poursuite disciplinaire se faisait devant « le conseil des membres de la Cour des Comptes ».
Selon l’article trois de la loi 80-05 du 01 mars 1980, la cour des comptes est définie comme « une institution à caractère juridictionnel … chargée du contrôle des finances de l’Etat».
Le même statut est réservé à cette cour par la loi 95-20 du 17 juillet 1995 actuellement en vigueur.
L’article 11 de la loi organique 98-01 attribue au C.E la compétence de connaître des recours en cassation contre les arrêts de cette cour financière. Cela confirme le caractère juridictionnel de cette institution contrairement à ce qu’elle était sous la loi de 1990.
Il faut noter que la cour des comptes a toujours eu, d’une part, une composition de même nature et qu’elle a toujours appliqué, d’autre part, les mêmes règles de procédure. S’il existe une différence c’est bel et bien celle relative à la volonté du législateur, libre de judiciariser ou pas l’institution sans rapport aucun avec la composition ou la procédure appliquée. Le roi, dit-on, ne peut mal faire.
Par ailleurs, la décision disciplinaire objet de l’arrêt commenté était rendue par le C.S.M sous l’égide de la loi portant statut de la magistrature de 1989 dont l’article 99-2 n’admettait aucun recours contre les décisions disciplinaires émanant de ce conseil. Si ces décisions étaient vraiment de nature juridictionnelle, le législateur n’aurait pas interdit le recours contentieux ne serait-ce que celui de la cassation étant donné que la chambre administrative près la cour suprême était alors compétente pour connaître des pourvois en cassation contre les décisions définitives de toute juridiction administrative à l’exception bien sûr de celles rendues par elle-même [33].
De son coté, le C.E avait admis à maintes reprises les recours en annulation contre ces décisions malgré l’interdiction faite par l’article 99-2 précité. A cette fin, le C.E s’était fondé sur le principe selon lequel le recours pour excès de pouvoir est de mise même quand aucun texte ne le prévoit parce qu’il a pour effet d’assurer le respect de la légalité[34].
Suite à cette jurisprudence répétée, le législateur avait supprimé cette interdiction dans la nouvelle loi organique 04-12 relative au C.S.M. Cette suppression n’est que justice puisque l’article 99-2 était un affront inadmissible au regard du principe de la légalité. Cependant si la nouvelle loi n’interdit pas expressément le recours contentieux contre les décisions disciplinaires, cela ne veut pas dire, ipso facto, que le législateur confère au C.S.M statuant en conseil de discipline le caractère de juridiction administrative.
Personne ne conteste le rôle créateur du juge administratif ni le fait que le droit administratif en général et le droit de la responsabilité administrative en particulier soient d’essence jurisprudentielle. Notre système n’étant pas celui du précédent obligatoire, les règles issues de la jurisprudence ne peuvent avoir une portée générale et impersonnelle dépassant le cadre du litige concerné. Elles sont par définition de nature individuelle au sens qu’elles apportent des solutions qui ne valent que pour les cas d’espèces résolus. Seul le législateur est évidemment compétent pour élaborer des normes juridiques générales et impersonnelles.
D’ailleurs, cette préoccupation n’est pas étrangère au C.E. Suite à l’exception d’illégalité soulevée par Union Bank au sujet des dispositions de l’article 15 du règlement 95/07 du conseil de la monnaie et du crédit, le C.E les a déclarées nulles et de nul effet tout en précisant au niveau des motifs comme au niveau du dispositif que cette annulation ne vaut que pour le cas d’espèce résolu [35]. Il est clair que cette attention est dictée par le souci du C.E de ne pas donner à sa décision un effet erga omnes.
Cette position est tout à fait juste puisque les règles jurisprudentielles sont formulées pour avoir des effets inter partes et non pas pour s’imposer à tous les cas similaires. Pour qu’elle soit crédible, la créativité jurisprudentielle ne doit pas en principe dépasser la marge d’appréciation laissée par le législateur.
S’il est vrai que les juges administratifs et judiciaires sont obligés de statuer sous peine de déni de justice quand bien même les normes juridiques applicables font défaut, il leur est interdit, par contre, de rendre des arrêts de règlement, et plus encore, de juger en « légiférant » sous peine de tomber sous le coup de la loi pénale[36].
Faire œuvre de jurisprudence ne doit pas être conçu comme une faculté ou même comme un droit [37], allant à l’encontre du principe de séparation des pouvoirs, principe qui « demande », selon le Conseil Constitutionnel, « que chaque pouvoir exerce ses prérogatives dans le domaine que lui attribue la constitution » et « que chaque pouvoir doit demeurer dans les limites de ses attributions pour garantir l’équilibre constitutionnel » [38]
CONCLUSION
Abstraction faite de l’aspect relatif au défaut de fondement légal, le revirement adopté a, pour le moins, des conséquences néfastes sur la nature et la qualité de la protection juridictionnelle des magistrats. En effet, est-il concevable de renvoyer le magistrat sanctionné, après cassation, devant l’instance qui l’a auparavant condamné, pour être jugé de nouveau pour les mêmes faits sans que cette instance ne soit composée différemment !!
La loi organique 04-12 ne prévoit malheureusement aucune possibilité de composer différemment la formation disciplinaire du C.S.M. Cette formation est toujours présidée par le premier président de la cour suprême et elle est toujours composée des mêmes membres[39] que ce soit pour les nouvelles poursuites disciplinaires que pour les poursuites après cassation.
Cette réalité est inacceptable car il est universellement admis que nul ne doit être jugé deux fois pour les mêmes faits par la même composition juridictionnelle. Il est également de principe dans notre droit procédural que le renvoi après cassation se fasse toujours devant des juridictions autrement composées voire même devant une tierce juridiction pour, entre autres, les cas de suspicion légitime.
Le C.E n’a-t-il pas lui-même fait des reproches au C.S.M d’avoir « négligé … de prendre en considération … un principe général de droit selon lequel il est impossible de juger deux fois une affaire concernant les mêmes faits » [40].
Par souci de clarté, il faut noter que le C.S.M a eu droit à de tels reproches pour avoir tranché de nouveau la même affaire en révoquant pour la deuxième fois le même magistrat et ce après annulation de la première décision de révocation par le C.E pour erreur manifeste d’appréciation. Sans faire de comparaisons, les magistrats bénéficient, en pareil cas, de moins de garanties que les simples justiciables en avenir après cassation. [41]
Vérité oblige, la logique veut que la même composition juridictionnelle ne se déjuge pas pour les mêmes faits concernant les mêmes personnes poursuivies. Il y’a donc risque pour les magistrats de subir la même sanction. Le cas précité atteste fort bien de cette inquiétude qui dissuade malheureusement les magistrats sanctionnés de se pourvoir en cassation et les accule à se résigner à espérer le bénéfice de la réhabilitation.
Il n’est pas excessif de conclure que le revirement jurisprudentiel commenté fragilise hélas la condition juridique des magistrats, ceux-là mêmes qui sont investis constitutionnellement du pouvoir de protéger les droits et les libertés du citoyen.
Deux solutions semblent, entre autres, nécessaires pour remédier à cette situation :
- La première, difficilement réalisable mais oh combien souhaitable, exige l’intervention du législateur afin d’apporter des modifications aux lois organiques relatives au statut de la magistrature d’une part et au conseil supérieur de la magistrature d’autre part. Cette modification devrait permettre soit la reconnaissance du caractère juridictionnel de la formation disciplinaire du C.S.M ainsi que la possibilité de diversifier sa composition pour qu’elle puisse être habilitée à juger les affaires renvoyées devant elle après cassation ; soit la confirmation du caractère administratif du conseil disciplinaire du C.S.M pour mettre un terme aux effets du revirement commenté[42]. Quelle que soit la formule adoptée, cette solution aura le mérite d’offrir la position du C.E.
- La seconde solution serait que le C.E revienne sur son revirement pour reprendre sa position antérieure en reconnaissant à nouveau le caractère administratif des décisions disciplinaires émanant du C.S.M. Ce faisant, le C.E adoptera une jurisprudence justement favorable aux magistrats qui seront mieux protégés en usant de la voie de recours en annulation contre les actes de sanctions disciplinaires qui leur sont infligées.
Il est opportun d’appeler le législateur à redoubler d’efforts en vue de refondre l’organisation de notre justice administrative. Sa mise à niveau avec celle des juridictions ordinaires du pays, autant qu’avec les modèles de justice administrative dans le monde contemporain est une condition sine qua non pour une meilleure prise en charge juridictionnelle des préoccupations du citoyen au grand dam du contentieux administratif. Il est temps pour le législateur, en effet, de créer des juridictions administratives de second degré et de revaloriser le C.E en sa qualité principale de juridiction de cassation. Cette refonte s’avère plus que nécessaire, étant donné que le nouveau code de procédure civile et administrative (CPCA) [43] a complètement passé sous silence les cours administratives régionales créées lors de la réforme engagée par la loi 90/23 du 18 août 1990.
Etant le protecteur des droits et libertés, le juge administratif suprême est appelé de son coté à faire de sa jurisprudence le moyen adéquat et indispensable pour accomplir sereinement sa mission principale de dire le droit. Ce faisant, la crédibilité de notre justice administrative s’en trouvera confortée et la jurisprudence retrouvera son sens étymologique qui n’est autre que « la prudence du juriste à la recherche du bon droit » [44]
La doctrine étant source d’enrichissement de la jurisprudence, il serait souhaitable que cette modeste contribution au débat juridique indispensable à l’instauration de l’Etat de droit dont le moteur est incontestablement la justice administrative puisse produire ses effets.
On ne peut pas, comme disait Paul Valéry, « entrer dans l’avenir à reculons [45].
Me Ghennai Ramdane
* * Chargé de cours à la faculté de droit de l’université de Boumerdès.
[1] Il s’agit de l’arret n° 025039 du 19-04-2006 et l’arret n° 037228 du 11-07-2007rendus par la deuxième chambre du C.E Voir revue du C.E n°9-2009 pp 57-60
[2] In avant-propos de la neuvième édition 2009 de la revue du conseil d’Etat p 06.
[3] Arrêt n° 037712 rendu par le Conseil d’Etat le 12-03-2008 dans l’affaire H.A contre le ministre de la justice garde des sceaux ( arret non publié )
[4] Selon les visas de l’arrêt commenté, le commissaire d’Etat avait requis la formation judiciaire du conseil d’Etat toutes chambres réunies pour trancher ce litige. La présidente du conseil d’Etat a donné une suite favorable à cette réquisition en rendant une ordonnance fixant l’audience en chambres réunies.
[5] L’attendu étant rédigé en arabe, sa traduction en français est faite par le commentateur pour l’utilité de cet essai.
[6] Voir notre commentaire paru dans le No 6-2005 de cette revue pp33-58 sous l’intitulé :
" عن موقف مجلس الدولة من الرقابة القضائية على القرارات التأديبية الصادرة عن المجلس الأعلى للقضاء حالة الغلط الصارخ في التقدير "
[7] Voir arrêt publié dans la revue du C.E 1-2002 pp 83-84. La traduction de l’attendu est faite par le commentateur. La rédaction arabe de cet attendu est la suivante:
" إن القرارات الصادرة عن المجلس الأعلى للقضاء الفاصل في القضايا التأديبية تعد قرارات صادرة عن سلطة إدارية مركزية و بهذه الصفة تكون قابلة للطعن فيها بالإبطال"
- arrêt du 27/02/1998 paru dans le numéro 1/ 2002 pp 83/84
- arrêt n° 005240 du 28/01/2002 paru dans le numéro 2/2002 pp 165/167
[9] G.Vedel estime que « il n’est pas de question plus étudiée que celle de la définition de la notion de juridiction et d’acte juridictionnel ; il n’en est pas où les solutions soient les plus controversées » in droit administratif, 6* édition, puf 1976 p 439.
[10] Doctrines animées par des auteurs tel que C.DEMALBERG, M.WALINE, ..HAURIOU et autres éminents juristes connus par leurs réflexions sur ce sujet.
[11] Loi organique n04-12 du 6 septembre 2004 fixant la composition, le fonctionnement et les attributions du conseil supérieur de la magistrature, JORA 2004 n° 57 pp 20-24
[12] Ces magistrats sont répartis comme suit :
- dix (10) magistrats élus par leurs pairs
- deux (02) autres magistrats membres d’office ( le premier président de la C.S et le procureur général prés la C.S ( art 3 )
[13] Les autres membres du C.S.M sont :
- le président de la république (l’art 03 alinéa 01 stipule que le C.S.M est présidé par le président de la république.)
- le ministre de la justice ( L’art 03 alinéa 02 dispose que le ministre de la justice est vice président du C.S.M ; l’art 10 alinéa 02 prévoit que le bureau permanant du C.S.M est présidé par le vice président du conseil.)
- Six (6) personnalités « choisies par le Président de la république, en raison de leur compétence,en dehors du corps de la magistrature » ( art 03 alinéa 05)
- et enfin « le directeur chargé de la gestion du corps des magistrats à l'administration centrale du ministère de la justice participe aux travaux du C.S.M sans voix délibérative »[13]. (article 3 alinéa 6)
[14] La seule spécificité de la composition du conseil de discipline réside dans le fait qu’il est présidé par le premier président de la Cour Suprême et que le rapporteur ne peut être désigné que « parmi les magistrats membres du conseil supérieur de la magistrature classés au moins aux mêmes groupe et grade que le magistrat objet des poursuites disciplinaires » selon les articles 21 et 27-2 de la loi organique O4-12.
[15] Selon la loi 91-04 du 08-01-1991 portant statut des avocats, cette commission est mixte, composée de magistrats et d’anciens bâtonniers . Elle est présidée par un magistrat. Le ministre de la justice est représenté par un magistrat remplissant le rôle du ministère public. Selon l’article 64 de la loi précitée les décisions rendues par cette commission sont susceptibles de recours devant la C.S substituée par le C.E depuis sa création. La loi ne précise pas la nature de ce recours. La jurisprudence administrative a toujours qualifié cette voie de recours comme étant celle de l’annulation nonobstant le fait que la loi précitée mentionne que ce recours n’a pas d’effet suspensif. Il est communément admis que cette mention s’applique aux pourvois en cassation que ce soit en matière civile ou administrative.
[16] Voir Khamoudj « la réglementation bancaire… » revue du conseil d’Etat 6-2005 pp 39-49.
[17] Selon l’article 21 de la loi organique 04-12 le premier président de la C.S assure la présidence du conseil de discipline.
[18] Arrêt 047841 du 21-10-2008 publié dans la revue du CE n° 9 pp140-141
[19] Selon Dib Said “ la commission bancaire apparaît à l’évidence comme une juridiction administrative spécialisée » in la nature du contrôle juridictionnel des actes de la commission bancaire en Algérie, revue du C.E n° 3-2003 p 121
Machou Benaoumer estime de son coté que « il reste utile de déclarer dans l’intérêt général que le pouvoir juridictionnel de la commission bancaire doit être reconnu dans l’intérêt de ses assujettis eux-mêmes » in « représentation succincte de la commission bancaire dans sa dimension institutionnelle et quelques aspects de ses procédures » . Revue du C.E n° 6-2005 p 24.
Selon Chihoub Messaoud les actes de la commission nationale des recours ne sont pas des actes administratifs en raison de la composition de la commission et du fait qu’elle représente un degré d’appel en matière disciplinaire. Voir son ouvrage:
المبادئ العامة للمنازعات الإدارية ج 2 ديوان المطبوعات الجامعية 1999 ص
Pour sa part, l’honnête et brave chercheur Rachid Khelloufi admet le caractère juridictionnel du C.S.M et de la commission nationale des recours, in :
القضاء الإداري تنظيم و اختصاص ، ديوان المطبوعات الجامعية 2002 ص 189-194-222-
[20] L’arrêt 047841 contient un attendus très significatif :
" حيث ان القرار المطعون فيه هو قرار صادر عن اللجنة الوطنية للطعن الني تعتبر جهة قضائية إدارية ةكون قراراتها قابلة للطعن بالنقض وليس الطعن بالإلغاء ..."
[21] JORA 2004 n° 57 pp 11-20
[22] la loi n° 89-21 du 12 décembre 1989, modifiée et complétée, portant statut de la magistrature
[23] Une différence majeure existe entre le texte en arabe et le texte en français concernant le délais fixé pour présenter la demande de réhabilitation au sujet des avertissements qui sont infligés aux magistrats par le ministre de la justice ou par les chefs de juridictions. Le texte arabe fixe ce délai à une année à compter de la décision disciplinaire par contre le texte français prévoit un délai d'une année à compter de la date du prononcé de la sanction.
[24] Voir à titre d'exemple l’article 16 de la charte arabe des droits de l'homme, adoptée à Tunis en mai 2004 ratifée par l'Algérie par décret présidentiel n 06-62 du 11 février 2006 ( JORA n° 08 du 15 février 2006 pp 03-10). Cet article énumere pas moins de huit garanties minimales.
[25] « une décision consistant à dire le droit … qu’autant qu’elle est émise par une autorité érigée organiquement en tribunal et rendue dans la forme juridictionnelle .A défaut de ces éléments elle ne constitue qu’un acte administratif » C De Malberg cité par بشير محمد، الطعن بالاستئناف في الأحكام الإدارية في الجزائر، 1995 ص 40
[26] Avis n° 01/A.LO/CC/05 du 17 juin 2005 relatif au contrôle de conformité de la loi organique relative à l'organisation judiciaire à la constitrution, JORA n° 51 du 20 juillet 2005 pp 3-5
[27] La loi organique se distingue essentiellement de la loi ordinaire par son domaine, son mode d’adoption et par son contrôle de conformité à la constitution. La constitution réserve à la loi organique un domaine de compétence exclusif. Son vote n’est pas fait par simple majorité comme la loi ordinaire mais plutôt selon des proportions fixées par le constituant, comme elle doit être également votée dans des termes identiques par les deux chambres parlementaires. De plus, elle est assujettie à un contrôle préalable de conformité constitutionnelle avant sa promulgation.
[28] L’article 68 de la loi 04-12 susvisée distingue quatre types de sanctions : Sanctions du premier degré : le blâme, le déplacement d'office. Sanctions du second degré : l'abaissement d'un à trois échelons, le retrait de certaines fonctions, la rétrogradation d'un ou de deux groupes. Sanctions du troisième degré : la suspension pour une période n'excédant pas douze (12) mois, avec privation de tout ou partie du traitement, à l'exclusion des indemnités à caractère familial. Sanction du quatrième degré : la mise à la retraite d'office, la révocation.
[29] Rachid Zouaimia estime dans son intervention intitulée « Note introductive : de l’Etat interventionniste à l’Etat régulateur » que « Le passage de l’Etat providence à l’Etat régulateur ne signifie nullement la fin de l’intervention de l’Etat dans le champs économique… si l’Etat se désengage de pans entiers de l’économie, il reste que face aux exigences d’un encadrement efficient des mécanismes du marché, l’intervention de l’Etat s’avère nécessaire. Celle-ci prend toutefois de nouvelles formes et s’exerce à travers des structures inédites : il s’agit des autorités de régulation indépendantes» in Recueil des actes du colloque national sur les autorités de régulation indépendantes en matière économique et financière. Faculté de droit et des sciences économiques. Bejaia 23 et 24 mai 2007 p 13.
Rachid Khelloufi a conclu avec justesse qu’il est difficile de recenser le nombre exact de ces autorités administratives indépendantes en raison de l’anarchie qui caractérise leur différentes dénominations consacrées par le législateur, in « Les institutions de la régulation » rev alg des sc juridiques éco et politique vol 41 N° 2.2003 p 114
[30] Rachid Zouaimia, Les autorités administratives indépendantes et la régulation économique en Algérie, Editions Houma 2005 p77
[31] L’ expression « autorité de la chose décidée » est l’intitulé de la thèse de SCHWARTZENBERG, publiée chez LGDJ Paris 1970.
[32] Arret C.E N° 002179 BTR c / DGSN du 12-11-2001 ( non publié). Cet arret contient deux attendus revelateurs :
» حيث أن المدعي يطلب إلغاء مقرر لجنة التأديب الصادر في 14/06/1998 الذي تم الطعن فيه أمام لجنة الطعن التي أيدته بقرارها المؤرخ في 21/07/1998 .
حيث أن المقرر المطعون فيه هو مجرد اقتراح عقوبة و ليس قرار بالعقوبة و لا يرقى إلى مستوى القرار الإداري الذي يكون محلا لدعوى الإلغاء مما يتعين معه التصريح بعدم قبول الطعن شكـــلا «
[33] Le C.E a reproduit cette jurisprudence en excluant le pourvoi en cassation contre ses propres décisions, voir arrêt C.E 011052 du 20 /01/2004 . Revue du C.E 8-2006 pp 175- 177. ainsi que l’arrêt C.E n° 007304 du 23/9/2002 Revue du C.E 2-2002 pp155-157.
[34] Arrêt C.E n ° 182491du 17 /01/2000 . Revue du C.E 1-2002 pp109-110
جاء في هذا القرار ما يلي: " إن الطعن من اجل تجاوز السلطة موجود حتى و لو لم يكن هناك نص و يهدف إلى ضمان احترام مبدأ القانونية طبقا للمبادئ العامة للقانون"
[35] Arrêt C.E n° 002138 du 08/05/200 Union Bank c/ gouverneur de Banque Algérie, Revue du C.E 6-2005 pp 75-79. Cet arrêt contient le motif suivant :
" حيث انه في هذه الحالة يتعين التصريح بان مقتضيات المادة 15 من النظام المذكور أعلاه باطلة و عديمة الأثر فيما يخص الدعوى الحالية فقط " ص 78
« qu’en pareil cas, il faut déclarer les dispositions de l’article 15 du règlement susvisé comme nulles et de nuls effets et ce concernant l’instance actuelle pas plus »
[36] L’article 116 alinéa 1 et 2 du code pénal mentionne à ce propos deux cas de forfaiture : premièrement quand les magistrats se seraient « immiscés dans l’exercice de la fonction législative, soit par des règlements contenant des dispositions législatives… » et deuxièmement quand ils auraient « excédé leur pouvoir, en s’immisçant dans les matières attribuées aux autorités administratives, en faisant des règlements sur ces matières »
[37] M. Waline disait " A la question : la jurisprudence a- t-elle un pouvoir normatif ? nous sommes donc obligés de répondre : elle agit comme si elle l’avait .... elle s’arroge ce droit ; elle prend des décisions qui ne peuvent s’expliquer par l’idée qu’il n’y a pas de lacunes dans le droit » in « Le pouvoir normatif de la jurisprudence » Etudes en l’honneur de Georges SCELLE, LGDJ 1950 T2 p 623
[38] Décision n° 2 DL-CC 89 du 30 août 1989 relative au statut du député in Conseil Constitutionnel, La jurisprudence constitutionnelle algérienne, 1997p 16
- [39] La présidence de la formation disciplinaire du C.S.M par le premier président de la cour suprême pose un problème pour les magistrats de cette cour en cas de poursuite disciplinaire à leur encontre. Les magistrats poursuivis se verront jugés par une instance présidée par leur chef de juridiction pour ne pas dire par leur poursuivant !!
[40] Arrêt du C.E n° 005240 du 28-01-2002 in Revue du C.E 2-2002 pp165-167. Cet arrêt contient l’attendu suivant :
" حيث و في مقام ثان ، أهمل المجلس الأعلى للقضاء بكامل هيئته التأديبية الأخذ بعين الاعتبار للمبدأ العام للقانون القاضي بأنه لا يمكن الفصل مرتين في قضية بنفس الوقائع "
[42] En France, le pouvoir exécutif intervient souvent par voie de décret pour désavouer la jurisprudence qui lui parait inopportune. Une loi du 11juillet 1953 permettait au gouvernement de procéder par voie de décret à la réforme du contentieux administratif . Voir à ce propos G.Vedel op cit p 454 et suivant.
[43] Loi 08-09 du 25 février 2008 publiée dans le JORA n° 21 en date du 23-04-2008. Cette loi reconnaît aux tribunaux administratifs la plénitude de juridiction (art 800) elle leur attribue le contentieux relatif aux actes administratifs des Wilayates (art 801). Ce contentieux relevait au paravent de la compétence des chambres administratives régionales dont l’existence prend fin le 23/04/2009 date d’entrée en vigueur du CPCA (art 1060).
[44] M. Atias , Epistémologie juridique, coll droit fondamental, puf 1985 p 17 cité par Maryse Deguergue , Jurisprudence et doctrine dans l’élaboration du droit de la responsabilité administrative, LGDJ 1994 p 11
[45] Cité par Mohamed Rahal, La procédure des injonctions de payer , in RASJEP vol VIII n°2 1971 p 374