L'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur est soumise à un délai de prescription de deux ans (art. L.431-2 du Code de sécurité sociale).
C'est un délai de prescription extrêmement court, alors que cette action conditionne souvent l'avenir de personnes blessées physiquement et/ou psychiquement.
La loi prévoit que ce délai a plusieurs points de départ possibles : - pour les accidents du travail, à compter du jour de l'accident ou de la cessation du paiement des l'indemnités journalières accident du travail (donc pas les indemnités journalières maladie pour la même pathologie) ; - pour les maladies professionnelles, à compter de la date de la première constatation par le médecin traitant de la maladie ou de la date de cessation du paiement des indemnités journalières MP.
Etant précisé que ce délai est interrompu par l'exercice d'une action pénale (donc pas une plainte classée sans suite) ou par l'action en reconnaissance du caractère professionnel de l'accident ou de la maladie.
Jusqu'à présent, on considérait qu'une action prud'homale contre l'employeur n'avait aucun effet sur la prescription de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable.
Le débat est celui de l'application de l'article 2241 du Code Civil sur la prescription. Il prévoit que, l'interruption de la prescription ne s'étend pas d'une action à'autre, sauf lorsque les deux actions, bien qu'ayant une cause distincte, tendent àn seul et même but, de sorte que la seconde est virtuellement comprise dans la premièe.
La Cour de Cassation était claire : même si le salarié avait, devant le Conseil de Prud'hommes fait une demande impliquant le manquement d'un employeur à son obligation de sécurité de résultat, les deux actions « ne tendaient pas àn seul et même but, de sorte que la premièe n'avait pas interrompu le délai de prescription de l'action en reconnaissance du caractèe professionnel de la maladie ».
A titre d'exemple de cette jurisprudence : Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 6 juillet 2017, 16-22.243
Par un arrêt du 7 juillet 2022, la Cour de Cassation opère un complet revirement de jurisprudence (Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 7 juillet 2022, 20-21.294).
Il s'agissait d'un dossier où, devant le Conseil de Prud'hommes, le salarié réclamait la résiliation judiciaire de son contrat de travail, en faisant valoir avoir été victime d'un harcèlement moral de la part de son employeur.
La Cour de Cassation souligne d'abord que par cette action, la victime réclamait l'indemnisation d'un préjudice résultant d'un événement reconnu par la CPAM comme accident du travail (manifestement des propos humiliants, mais l'arrêt ne détaille pas).
Elle en conclut :
« De ces constatations et énonciations, dont il résultait que les deux actions tendaient, au moins partiellement, àn seul et même but, la cour d'appel a exactement déduit que l'action prud'homale engagée par la victime avait interrompu la prescription de l'action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur. »
Ce sont donc de nouvelles perspectives qui s'ouvrent pour les victimes qui, au terme d'une longue action prud'homale, s'aperçoivent qu'elles auraient dû lancer une action en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur.
Il faut noter que le dossier en question concerne un harcèlement moral, situation pour laquelle il est courant qu'une action prud'homale et une demande en reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur soient lancées.
Cependant, les termes généraux utilisés par la Cour de Cassation donnent à penser que le même raisonnement pourrait s'appliquer à d'autres situations d'accident de travail ou de maladie professionnelle.
Nous pensons notamment au licenciement pour inaptitude d'origine professionnelle, pour lequel le salarié fait valoir que son inaptitude est due à un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat.
Un nouveau chantier s'ouvre donc pour la défense des victimes : certaines actions hier prescrites sont peut-être encore rattrapables !