La Cour de Justice de l’Union Européenne validait la revente des logiciels d’occasion par un arrêt en date du 3 juillet 2012 considérant que le titulaire du droit d’auteur initial ne peut s’y opposer par un contrat de licence incessible (CJUE, 3 juill. 2012, aff. C-128/11, UsedSoft GmbH c/ Oracle International Corp).
En l’espèce, la société allemande UsedSoft rachetait des licences de logiciel auprès des clients de l’entreprise Oracle pour les revendre à de nouveaux acquéreurs, qui téléchargeaient ensuite le logiciel en question sur le site d’Oracle.
La Cour était saisie sur renvoi préjudiciel par la Cour suprême allemande sur le point de savoir si cette pratique était conforme à la directive n°2009/24/CE du 24 avril 2009.
La Cour assimilait la licence sur les logiciels d’Oracle à une « vente » au sens de l’article 4 § 2 de la directive susvisée selon lequel : « La première vente d’une copie d’un programme d’ordinateur dans la Communauté par le titulaire du droit ou avec son consentement épuise le droit de distribution de cette copie dans la Communauté, à l’exception du droit de contrôler des locations ultérieures du programme d’ordinateur ou une copie de celui-ci ».
Pour retenir que l’éditeur de logiciel à épuisé ses droits de distribution dès 1ère vente, elle considère que le titulaire du droit d’auteur initial met à disposition de ses clients une copie matérielle ou immatérielle et conclut en même temps, contre paiement d’un prix, un contrat de licence leur accordant le droit de l’utiliser pour une durée illimitée.
Elle ajoute que le téléchargement du logiciel est une reproduction nécessaire qui doit permettre à l’acquéreur légitime de l’utiliser en conformité avec sa destination, qui ne peut donc pas être interdit par contrat même si le droit de reproduction de l’auteur initial lui ne s’épuise pas.
Se faisant elle entérine la pratique de la revente de licence de logiciels d’occasion (tels que corrigés et mis à jour) et permettait l’essor de ce nouveau marché en Europe, à plusieurs conditions :
- La licence n’est pas scindable et ne peut être en partie revendue ;
- L’acquéreur initial doit rendre inutilisable la copie téléchargée sur son propre ordinateur au moment de la revente.
Cet arrêt a un impact moindre eu égard à la pratique des logiciels et jeux fournis à travers l’accès à des serveurs dans le « cloud » dématérialisé, au moyen d’une prestation de service et non d’une vente, qui ne sont donc pas sujets à épuisement.
La question reste entière s’agissant des logiciels matérialisés ou dématérialisés nécessitants au préalable une connexion intermédiaire à une plateforme.
Une association de consommateur allemande (VZBV) entamait une action judiciaire contre Valve, l’éditeur de « Steam », qui propose des licences de jeux vidéo auxquels il est possible de jouer en se connectant sur la plateforme puis sur les serveurs de « Steam » mais aussi sur des serveurs crées par des tiers.
L’association considère que ses clauses d’utilisation de « Steam » sont illégales au regard de l’arrêt rendu par la CJUE en ce qu’elles ne confèrent à l’utilisateur qu’une licence limitée pour un usage personnel ne conférant aucun droit de propriété sur ledit jeu.
L’on se demande comment le juge appréciera le caractère limité ou illimité de la licence, pour savoir s’il y a vente ou prestation de service et s’il retiendra le fait que le jeux soit vendu sur support matériel ou immatériel.
Bien que ne concernant que strictement les logiciels, et difficile d’interprétation, l’on se demande si la solution posée par la Cour de Justice aura une influence sur la revente possible de fichiers d’occasion en Europe.
La problématique est proche de celle des logiciels car l’achat de fichiers, notamment de Mp3 sur les plateformes accréditées, ne sont pas des ventes mais des simples locations accordées par licences limitées, comme sur ITunes qui interdit leur revente et ne permet que leur usage personnel.
Le business model de la revente de fichiers d’occasion est cependant en essor, au premier rang duquel figure la société Redigi, plate-forme Américaine ouverte en novembre 2011 qui permet de revendre ses fichiers MP3 d’occasion sur internet et prévoit de conquérir le marché Européen d’ici 2014.
Avant revente, le logiciel Redigi s’assurait que le fichier copié sur sa plateforme a d’une part été acheté légalement sur Itunes ou encore Amazon, puis qu’il est détruit d’autre part sur l’ordinateur qui le contient initialement, ce qui n’est pas sans rappeler les critères retenus par la CJUE pour les logiciels.
Le 30 mars 2013, le juge Sullivan du tribunal de New York a pourtant déclaré illégale l’activité de la plateforme qui était poursuivie par le label Capitol, filiale d’EMI.
Il rejetait la théorie de l’épuisement des droits fondés sur la first sale doctrine aux Etats-Unis, considérant que les utilisateurs qui achètent ces fichiers n’en sont pas propriétaires mais possèdent bien une licence d’utilisation limitée sur ces fichiers (c’est ce que l’on retrouve dans les conditions générales d’iTunes qui interdisent leur revente et ne permettent la copie de certains fichiers que sur 5 appareils).
Il a en outre considéré que les droits de copyright étaient enfreints puisque Redigi effectuait une copie du fichier sur ses serveurs avant de la revendre en effectuant une seconde copie sur l’ordinateur de l’acheteur.
« I fought the law and the law won »
Rédigi ne donne pas encore raison aux sex pistols, considérant que désormais, son service devra être considéré comme légal suite à une mise à jour de son logiciel qui évite une copie sur ses serveurs.
Du reste il lui faudra soutenir que les licences accordées aux utilisateurs premiers, d’un commun accord entre les major et les plateformes de téléchargement, sont illégales au regard de first sale doctrine.
Un futur litige devrait donc opposer la first sale doctrine et la théorie de l’épuisement des droits aux licences des plateformes d’achat, aux U.S et en Europe.
Les grandes plateformes d’achat et revendeurs accrédités que sont iTunes et Amazon ont de leur côté déposé des brevets sur des outils de revente de fichiers d’occasion qu’il s’agisse de Mp3, de livres et de films. Quelque soit l’évolution du droit, elles ne comptent pas abandonner le marché à Redigi ou à d’autres, bien au contraire.
Philosophiquement, certain s’émeuve de ce que les fichiers ne subissant pas les effets du temps, il ne devrait pas en être revendus d’occasion.
Pourtant, le cd de funk des années 80 que je viens d’acheter est moins cher que les mêmes titres proposés à l'unité sur iTunes à 99 cts, les œuvres fixées sur un support subissant bien une dévaluation que le monde immatériel ne peut plus ignorer au détriment du consommateur.
Economiquement et en l’absence d’encadrement cela signifie un marché musical parallèle et certes un risque de pertes pour les ayant-droits, mais les faiblesses de la lutte contre la contrefaçon résultent aussi de l’impossibilité de trouver de nouveaux modèles économiques viables sur la toile et celui-ci mérite sa chance autant qu’un encadrement juridique stable et consensuel, n’en déplaise aux malthusiens.