En matière de contentieux de demande d'asile, l'on est tenté de se demander si les demandeurs d'asile en France bénéficient du double degré de juridiction.
Avant d'aborder cette question il convient de cerner les contours du concept "double degré de juridiction".
Le double degré de juridiction a été institué le 2 mai 1790 sous la Révolution française en réaction aux excès de l’Ancien Régime qui lui, connaissait quatre à cinq degrés de juridiction. Le double degré de juridiction est une garantie contre les erreurs possibles du juge du premier degré; il permet à tout plaideur qui se sent lésé par le premier jugement, de saisir un second juge plus expérimenté et de voir son affaire rejugée par une juridiction supérieure à celle qui avait initialement jugé son affaire. C'est aussi un moyen de contrôle des décisions rendues par le premier juge. Il comporte un juge de premier degré et celui d'appel.
Dans les contentieux administratifs, l’appel se définit comme une voie de recours instituée contre toute décision rendue en premier ressort par une juridiction administrative afin de contrôler l’adéquation ou la régularité de cette décision initiale. Il faut signaler qu'il y a plusieurs juridictions administratives d’appel pouvant être soit générales : cours administratives d’appel (CAA) et Conseil d’Etat (CE) dans certains cas, soit spéciales (par exemple la Cour des comptes). La création des CAA avait permis au principe du double degré de juridiction d’accentuer son espace. Toutefois, le décret du 24 juin 2003 a supprimé l’appel pour les litiges de faible importance au nom du respect du délai raisonnable de jugements des affaires. L'on ne peut donc pas affirmer que les contentieux de demande d'asile rentrent dans cette catégorie d'affaires dites de faible importance.
Le double degré de juridiction est une garantie de bonne administration de la justice pour les litiges les plus importants, notamment ceux relatifs à la demande d'asile, où la vie des personnes concernées pourraient être mise en danger en cas d'éventuel retour dans leurs pays d'origine en raison des persécutions qu'elles auraient subies, ou qu'elles craignent de subir suivant les critères de l'article premier de la convention de Genève du 28 juillet 1951. Il en est de même des litiges d'apatridie définis par la convention de Newyok de 1954 et de la protection subsidiaire qu'accorde la France suivant les dispositions de l'article L 712-1 du code de l'entrée et de séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA).
La procédure de demande d'asile consiste à préserver la vie des personnes qui ont fui leurs pays d'origine pour se mettre à l'abri dans un Etat tiers. Le double degré de juridiction en matière de demande d'asile pose un problème de protection d'un droit fondamental : le droit à la vie de toute espèce humaine.
La question qui se pose dans cette étude est celle de savoir si le demandeur d'asile bénéficie de l'examen de son dossier par un juge de premier degré; la Cour Nationale du Droit d'Asile étant une juridiction d'appel.
En France, la loi n'accorde pas aux demandeurs d'asile le bénéfice du juge de premier degré. C'est l'Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA): établissement public administratif et non une juridiction, qui examine en premier les demandes d'asile et prend la première décision d'accorder ou de refuser au demandeur d'asile le statut de réfugié, d'apatride ou le bénéfice de la protection subsidiaire. En cas de rejet de la demande par cet office, le litige est déféré devant le juge de second degré qui est la Cour Nationale du Droit d'Asile. La décision rendue par cette dernière ne peut être attaquée que par voie de pourvoi devant le Conseil d'Etat en cas de violation de la loi.
En principe, toute décision prise par une autorité administrative, et qui cause préjudice au destinataire ou à un tiers, doit être déférée à un juge de premier degré (le tribunal administratif). Pourquoi les décisions de rejet de l'OFPRA échappent-elles à ce principe? Pourquoi ne pas instituer un premier juge administratif pour connaître des décisions administratives rendues par l'OFPRA en matière de demande d'asile, ou supprimer carrément la procédure devant l'OFPRA en faveur d'un premier juge administratif ?
Dans l'une de leurs revendications, les avocats grévistes qui plaident à la CNDA exigent notamment un « double degré effectif de juridiction, car l'Ofpra est une administration sous tutelle du ministère de l'Intérieur qui accorde l'asile à moins de 10 % des demandeurs. Il est possible d'attaquer ses décisions devant la CNDA, mais ensuite on peut seulement se pourvoir devant le Conseil d'État qui ne juge pas sur le fond » (V. Cour Nationale du droit d'Asile, Les avocats font grève des audiences à la CNDA, LexTimes.fr avec AFP, 14 mai 2012, in http://www.lextimes.fr/5.aspx?sr=889#2SwrZOfrMMKrDBMt.99)
Eu égard à ce développement, l'on constate que les demandeurs d'asile en France ne bénéficient guère de la garantie du double degré de juridiction. Il serait souhaitable que ces justiciables qui méritent une plus grande protection de la communauté internationale, puissent avoir des garanties suffisantes tout au long de leur procédure de demande d'asile.
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Pour citer cet article : Jean Pierre MBOTO Y'EKOKO NGOY, " Le double degré de juridiction dans les contentieux de demande d'asile en France ", mars 2012, in http://www.legavox.fr/blog/jean-pierre-mboto-y-ekoko-ngoy/double-degre-juridiction-dans-contentieux-7958.htm#.Uy-LdoXaqPg
Monsieur Jean Pierre Mboto est docteur en sciences juridiques de l'Université Jean Monnet Saint Etienne, il est spécialiste en droit des étrangers, en droit d'asile, en droit d'accès au droit, en droit d'accès au juge et en en droit de règlement amiable des conflits (MARC).