LA PROBLEMATIQUE DU GENRE AU TCHAD

Publié le Modifié le 22/09/2023 Vu 1 398 fois 0
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Combattues sous la couverture du combat contre l'homosexualité au Tchad, les questions liées au genre sont jugées ambigues et contraires aux moeurs, coutumes et religion des Tchadiens par les autorités.

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LA PROBLEMATIQUE DU GENRE AU TCHAD

 

Le Décret N°2328/PT/PM/2023 du 02 septembre 2023, Portant modification du décret N°003/PT/PM/2022 du 14 octobre 2022 Portant nomination des Membres du Gouvernement de Transition a modifié le Ministère du genre et de la Solidarité Nationale en Ministère de la Femme, de la Protection de la Petite Enfance et de la Solidarité Nationale.

Le Président de la Transition du Tchad a justifié le changement de nom du Ministère en ces termes : « Comme vous l’avez remarqué à l’introduction, j’ai changé le nom du Ministère du genre en Ministère de la femme, de la protection de la petite enfance et de la solidarité nationale pour lever toute confusion que le mot genre induit et éviter tout amalgame par rapport à nos us et coutumes mais aussi mais aussi et surtout nos religions. »[1]

La confusion dont le Président de la Transition pointe implicitement la question du genre relative aux problématiques liés à la communauté LGBTQ+. Avant de parler de la problématique du genre au Tchad, il s’agira pour nous d’essayer de mettre en lumière la définition du genre.

Le dictionnaire Larousse a donné les différentes définitions du mot genre.[2] Les définitions biologiques et sociologiques.

Au sens de la biologie, il désigne l’ensemble d'êtres vivants, situé, dans la classification, entre la famille et l'espèce, et groupant des espèces très voisines désignées par le même nom latin : nom générique suivi d'un nom spécifique, propre à l'espèce. (Exemple : le genre canis renferme l'espèce Canis lupus [le loup], l'espèce C. vulpes [le renard] et l'espèce C. familiaris [le chien].)

Selon la sociologie, il s’agit d’un Concept qui renvoie à la dimension identitaire, historique, politique, sociale, culturelle et symbolique des identités sexuées. (Cette notion récente est en constante évolution.)[3]

La confusion vient souvent du fait que le genre est souvent confondu au sexe. Les Nations Unies ont apporté un éclaircissement sur le sujet[4], par « genre » on entend la construction socioculturelle des rôles masculins et féminins et des rapports entre les hommes et les femmes. Alors que « sexe » fait référence aux caractéristiques biologiques, être né(e) homme ou femme, le genre décrit des fonctions sociales assimilées et inculquées culturellement. Le genre est ainsi le résultat des relations de pouvoir présentes dans une société et sa conception est alors dynamique et diffère selon l’évolution du temps, l’environnement, les circonstances particulières et les différences culturelles. 

Le gouvernement du Canada a aussi levé l’amalgame sur le genre et le sexe[5] en expliquant que les termes « sexe » et « genre » sont souvent utilisés de manière interchangeable même s'ils ont des sens différents :

Le terme sexe renvoie à un ensemble d’attributs biologiques retrouvés chez les humains et les animaux. Il est lié principalement à des caractéristiques physiques et physiologiques, par exemple les chromosomes, l’expression génique, les niveaux d’hormones et l’anatomie du système reproducteur. On décrit généralement le sexe en termes binaires, « femme » ou « homme », mais il existe des variations touchant les attributs biologiques définissant le sexe ainsi que l’expression de ces attributs.

Le terme genre renvoie aux rôles, aux comportements, aux expressions et aux identités que la société construit pour les hommes, les femmes, les filles, les garçons et personnes de divers sexes et de genre. Le genre influe sur la perception qu’ont les gens d’eux-mêmes et d’autrui, leur façon d’agir et d’interagir, ainsi que la répartition du pouvoir et des ressources dans la société. L’identité du genre n’est ni binaire (fille/femme, garçon/homme) ni statique. Elle se situe plutôt le long d’un continuum et peut évoluer au fil du temps. Les individus et les groupes comprennent, vivent et expriment le genre de manières très diverses, par les rôles qu’ils adoptent, les attentes à leur égard, les relations avec les autres et les façons complexes dont le genre est institutionnalisé dans la société.

Selon certains chercheurs[6], chaque individu, quel que soit son sexe, subit une contrainte à se conformer à une norme de genre, c’est-à-dire aux comportements et attitudes qui sont socialement attendus des personnes de son sexe. Ils adhèrent à l’idée que le genre, en tant que construction sociale et rapport de pouvoir, n’est « jamais fixe, mais continuellement constitué et reconstitué » (Glenn, 1999, p.5). C’est pour souligner cette dimension processuelle et relationnelle que nous avons placé ce numéro de terrains & travaux sous le signe des « dynamiques du genre ».

Que dit la législation en vigueur au Tchad sur la question du genre, du sexe, et de l’orientation sexuelle ? la politique du genre du Tchad, est-elle ambiguë et contraire à nos us et coutumes ? ne devrions-nous pas encourager la politique du genre au Tchad ?

En effet, la promotion de la question du genre est légitime et légale aussi bien au regard des conventions internationales ratifiées par le pays (I) que la législation nationale en vigueur (II)

 

I-                   La législation internationale applicable au Tchad en matière de genre

1.      La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme

Article premier :

Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité

2.   Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels entré en vigueur le 03 janvier 1976 et ratifié par le Tchad

Article 3 : Les Etats parties au présent Pacte s'engagent à assurer le droit égal qu'ont l'homme et la femme au bénéfice de tous les droits économiques, sociaux et culturels qui sont énumérés dans le présent Pacte.

Article 7 : Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit qu'à toute personne de jouir de conditions de travail justes et favorables, qui assurent notamment :

a) La rémunération qui procure, au minimum, à tous les travailleurs :

i) Un salaire équitable et une rémunération égale pour un travail de valeur égale sans distinction aucune ; en particulier, les femmes doivent avoir la garantie que les conditions de travail qui leur sont accordées ne sont pas inférieures à celles dont bénéficient les hommes et recevoir la même rémunération qu'eux pour un même travail ;

3.      Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels du 16 décembre 1966, entré en vigueur le 03 janvier 1976 et ratifié par le Tchad le 18 juillet 1994

Article 3 : Les Etats parties au présent Pacte s'engagent à assurer le droit égal qu'ont l'homme et la femme au bénéfice de tous les droits économiques, sociaux et culturels qui sont énumérés dans le présent Pacte.

Article 7 : Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit qu'à toute personne de jouir de conditions de travail justes et favorables, qui assurent notamment :

a) La rémunération qui procure, au minimum, à tous les travailleurs :

i) Un salaire équitable et une rémunération égale pour un travail de valeur égale sans distinction aucune ; en particulier, les femmes doivent avoir la garantie que les conditions de travail qui leur sont accordées ne sont pas inférieures à celles dont bénéficient les hommes et recevoir la même rémunération qu'eux pour un même travail ;

4.      La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard de la femme de 1979 qui est ratifiée le 09 juin 1995.

Article 2 : Les Etats parties condamnent la discrimination à l'égard des femmes sous toutes ses formes, conviennent de poursuivre par tous les moyens appropriés et sans retard une politique tendant à éliminer la discrimination à l'égard des femmes (…)

5.      La Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples entrée en vigueur le 21 octobre 1986 ratifiée par le Tchad le 9 octobre 1986

Article 18. 3 : L'État a le devoir de veiller à l'élimination de toute discrimination contre la femme et d'assurer la protection des droits de la femme et de l'enfant tels que stipulés dans les déclarations et conventions internationales.

Les instruments juridiques cités ci-haut son applicables au Tchad. Mieux encore, le législateur les consacrera avec une législation abondante.

II.                Les instruments juridiques nationaux en vigueur au Tchad en matière de genre

1.      Ordonnance No. 006/PR/2015 sur l'interdiction du mariage d'enfants

Article 1 : Il est formellement interdit en république du Tchad, à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi, le mariage des enfants mineurs.

L’âge légal du mariage des personnes est relevé officiellement à 18 ans. Les contrevenants s’exposent à une peine d’emprisonnement de 2 à 10 ans et une amende de 500 000 à 5 millions Francs CFA.

La loi No. 029/PR/2015 sera signée et promulguée par le Président de la République du Tchad le 21 juillet 2015.

2.      La loi n°2017-01001/PR/2017 du 8 Mai 2017 portant Code Pénal

Elle apporte beaucoup de nouveautés relatives en interdisant le mariage des enfants et aux violences basées sur le Genre. La commission des infractions à l’égard des femmes est considérée comme une circonstance aggravante.

3.      Loi n° 06 sur la santé de reproduction du 15 avril 2002

Article 9 : Toute personne a le droit de ne pas être soumise à la torture et à des traitements cruels, inhumains ou dégradants sur son corps en général ou sur ses organes de reproduction en particulier.

Article 9 alinéa 2 : Toutes les formes de violences telles que les mutilations génitales féminines, les mariages précoces, les violences domestiques et sévices sexuels sur la personne humaine sont interdites.

4.      L’ordonnance No. 012-PR-2018 institue la parité dans les fonctions nominatives et électives au Tchad. Le Décret d'application No. 0433-PR-2021 du 5 mars 2021 renforcera ce dispositif en ces termes :

Article 3 : Un quota d'au moins 30% est désormais affecté aux femmes dans toutes les fonctions nominatives. Ce quota doit progressivement évoluer vers la parité.

5.      Les textes relatifs à l’égalité dans le monde du travail

Loi n° 038/PR/96 du 11 décembre 1996 portant Code du Travail

Article 3 : Au sens du présent code, est considérée comme travailleur ou salarié quels que soient son sexe et sa nationalité, toute personne physique qui s’est engagée à mettre son activité professionnelle, moyennant rémunération, sous la direction et l’autorité d’une personne appelée employeur tel que défini à l’article 4.

Loi n°017/PR/2001 assure l’égal accès des deux sexes aux emplois publics

Article 5 : L’accès aux emplois publics est ouvert à égalité de droit, sans distinction de genre, de religion, d’origine, de race, d’opinion politique, de position sociale, à tout tchadien remplissant les conditions prévues au titre IV de la présente loi […]

En plus de la législation

A côté de cette législation riche et diversifiée, le gouvernement tchadien, à travers le Ministère de la Femme, s’est engagé dans le processus d’élaboration et de mise en œuvre de la politique nationale du genre. Cette politique définit les principales orientations sur le sujet en matière d’intégration du genre dans les politiques sectorielles et globales de développement[7].

Selon le Ministère de la femme du Tchad[8], la réalisation de la vision et l’atteinte de l’objectif supposent l’observation rigoureuse des principes directeurs ainsi que des orientations stratégiques qui fondent l’option programmatique de la PNG.

S’agissant des principes directeurs, nous avons :

1.      Le Gouvernement tchadien reconnaît la nécessité de promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes ;

2.      Le concept Genre est non seulement une question de développement, mais aussi, un outil d’analyse et de réduction des inégalités ;

3.      La valorisation des rôles complémentaires et différentiels des hommes et des femmes en tant que condition de la paix sociale et de l’unité nationale gages d’un développement durable ;

4.      La réduction des inégalités et des disparités de genre qui nécessite des actions spécifiques en faveur des femmes, des hommes et des groupes défavorisés ;

5.      La PNG tient compte des normes et valeurs socioculturelles à déconstruire selon le niveau de prégnance négative et recherche en permanence des synergies positive en vue d’un développement durable équitable ;

6.      Le lien de la PNG avec "la vision 2030 le Tchad que nous voulons" et les autres politiques et stratégiques sectorielles est fondamental ;

7.      Le rétablissement de l’égalité et l’équité de genre s’inscrit dans une perspective à long terme.

S’agissant des orientations stratégiques, il s’agit de :

1.      Orientation stratégique 1 : Intégration systématique de la dimension Genre dans les systèmes de planification, de budgétisation, de mise en œuvre, et de suivi-évaluation des stratégies, politiques et/ou programmes de développement à tous les niveaux.

 

2.      Orientation stratégique 2 : Développement d’une stratégie de communication pour un changement de comportement (CCC) en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes dans tous les domaines de la vie publique et privée.

3.      Orientation stratégique 3 : Accès égal et équitable aux services sociaux de base, aux ressources (y compris le foncier) et aux bénéfices par les hommes et les femmes.

4.      Orientation stratégique 4 : Accroissement de l’accès égal et équitable des hommes et des femmes aux instances de prise de décisions à tous les niveaux.

5.      Orientation stratégique 5 : Promotion des droits humains en luttant contre les violences basées sur le Genre (VBG) et en mettant un accent particulier sur l’autonomisation des femmes.

6.      Orientation stratégique 6 : Développement d’un partenariat actif en faveur du Genre au Tchad.

 En conclusion, nous dirons tout d’abord qu’il est clair que le mot genre ne prête à aucune confusion. Ensuite, les questions liées au genre ne sont pas contraires à nos us et coutumes et encore moins aux religions pratiquées au Tchad. Enfin, le gouvernement tchadien a consacré non seulement des législations mais aussi plusieurs plans nationaux sur la politique du genre depuis 2005.

 

 
Joslain DJERIA, Juriste et Militant des Droits Humains


[1] Discours du Président de la Transition devant les forces vives du Kanem à Mao le 02 Septembre 2023.

[2] Dictionnaire Larousse, Genre, consulté le 12 septembre 2023 Définitions : genre - Dictionnaire de français Larousse

[3] Notes du Larousse

[4] Monusco, QU’EST-CE QUE LE GENRE ? Qu’est-ce que le genre? | MONUSCO (unmissions.org)

[5] Gouvernrement du Canada, Instituts de Recherche en Santé, Qu'est-ce que le genre? Qu'est-ce que le sexe? Qu'est-ce que le genre? Qu'est-ce que le sexe? - IRSC (cihr-irsc.gc.ca)

 

[6] Revillard, Anne, et Laure de Verdalle. « Dynamiques du genre. (introduction) », Terrains & travaux, vol. 10, no. 1, 2006, pp. 3-17.

[7] Noubadoum Joseph, ETUDE SUR LE GENRE ET LES POLITIQUES NATIONALES, CELIAF, Mars 2007

[8] Plan d’Action Quinquennal 2019-2023 de la -PNG – Tchad

 

 

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