Saisi de certaines dispositions de la loi dite « anti-casseurs », le Conseil constitutionnel valide celles permettant en cas de manifestations certains contrôles et fouilles sur réquisition judiciaire (article 2) ainsi que la répression pénale de la dissimulation volontaire du visage (article 6) mais il censure, faute de garanties suffisantes, celles relatives au prononcé d'interdictions administratives individuelles de manifester (article 3).
Le Conseil constitutionnel a donc censuré l'article 3 de la loi déférée.
L'article 3 insère au sein du code de la sécurité intérieure un article L. 211-4-1 permettant à l'autorité administrative, sous certaines conditions, d'interdire à une personne de participer à une manifestation sur la voie publique. Le quatrième alinéa de cet article L. 211-4-1 lui permet également, dans certains cas, d'interdire à une personne de prendre part à toute manifestation sur l'ensemble du territoire national pour une durée d'un mois.
L’autorité administrative peut donc, par un arrêté motivé, prononcer à l'encontre d'une personne constituant une menace d'une particulière gravité pour l'ordre public, une interdiction de participer à une manifestation sur la voie publique. En prévoyant une telle mesure, le législateur a entendu prévenir la survenue de troubles lors de manifestations sur la voie publique et a ainsi poursuivi l'objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public.
Ces dispositions confèrent ainsi à l'administration le pouvoir de priver une personne de son droit d'expression collective des idées et des opinions.
Application d’un contrôle de proportionnalité que le Conseil constitutionnel a largement approfondi depuis de nombreuses années.
Le Conseil constitutionnel juge en effet que :
« la menace d'une particulière gravité pour l'ordre public nécessaire au prononcé de l'interdiction de manifester doit résulter, selon les dispositions contestées, soit d'un « acte violent » soit d'« agissements » commis à l'occasion de manifestations au cours desquelles ont eu lieu des atteintes graves à l'intégrité physique des personnes ou des dommages importants aux biens. Ainsi, le législateur n'a pas imposé que le comportement en cause présente nécessairement un lien avec les atteintes graves à l'intégrité physique ou les dommages importants aux biens ayant eu lieu à l'occasion de cette manifestation. Il n'a pas davantage imposé que la manifestation visée par l'interdiction soit susceptible de donner lieu à de tels atteintes ou dommages. En outre, l'interdiction peut être prononcée sur le fondement de tout agissement, que celui-ci ait ou non un lien avec la commission de violences. Enfin, tout comportement, quelle que soit son ancienneté, peut justifier le prononcé d'une interdiction de manifester. Dès lors, les dispositions contestées laissent à l'autorité administrative une latitude excessive dans l'appréciation des motifs susceptibles de justifier l'interdiction ».
Par ailleurs, poursuit le Conseil constitutionnel, lorsqu'une manifestation sur la voie publique n'a pas fait l'objet d'une déclaration ou que cette déclaration a été tardive, l'arrêté d'interdiction de manifester est exécutoire d'office et peut être notifié à tout moment à la personne soumise à cette interdiction, y compris au cours de la manifestation à laquelle il s'applique.
De même, les dispositions de la loi permettent à l'autorité administrative d'interdire à une personne, dans certaines hypothèses, de participer à toute manifestation sur la voie publique sur l'ensemble du territoire national pendant une durée d'un mois.
Par conséquent le Conseil constitutionnel a jugé, au regard de l’article 11 de la DDHC, que « compte tenu de la portée de l'interdiction contestée, des motifs susceptibles de la justifier et des conditions de sa contestation, le législateur a porté au droit d'expression collective des idées et des opinions une atteinte qui n'est pas adaptée, nécessaire et proportionnée ».
A nouveau il sera remarqué, dans la technique contentieuse, que le Conseil constitutionnel opère un contrôle de la justification de l'atteinte portée par une disposition législative à une exigence constitutionnelle (ici l’article 11 de la DDHC) au regard de l'objectif législatif poursuivi.
Cependant, il n’annonce ni ne clarifie l’application précise qu’il opère de deux notions clés du contrôle de proportionnalité : l’adéquation et la disproportion de la loi.
Si l'on peut se réjouir de la décision rendue, le moyen d'inconstitutionnalité est ici livré « en bloc » sans que l’on puisse précisément, à la lecture de la décision, déterminer les motifs précis induisant l'inadaptation et la disproportion de la loi par rapport au droit constitutionnel protégé.
C’est donc, à nouveau, la critique de la motivation des décisions du Conseil qu’il appartient d’opérer, puisque c’est très sûrement la lecture du commentaire autorisé de la juridiction elle-même sur sa propre décision qui permettra de mieux comprendre le raisonnement du juge…
Ainsi, les dossiers documentaires relatifs aux décisions, publiés sur le site internet du Conseil constitutionnel, peuvent être l’illustration d’une doctrine institutionnelle de la juridiction.
Ils contiennent en effet un commentaire de chacune des décisions rendues, commentaire généralement rédigé par le Secrétaire général ou le service juridique de la juridiction. Au Conseil constitutionnel, les rapports des juges n’ont pas vocation à être publiés, ils ne constituent donc pas des références utiles à l’émergence d’une doctrine organique et, à l’instar des autres juridictions françaises, le secret des délibérations ainsi que le devoir de réserve des membres du Conseil constitutionnel prolongent malheureusement le secret entourant le raisonnement du juge constitutionnel.
Pierre CASTERA
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