Paradoxe assez surprenant, pour répondre à l’inflation contentieuse dans certaines matières, le législateur et le pouvoir règlementaire ont créé un nouveau contentieux.
L'article 54 de la loi pour un Etat au service d'une société de confiance (loi n° 2018-727 du 10 août 2018) institue une nouvelle demande en appréciation de régularité.
Cette demande portée devant le juge consiste à neutraliser certaines irrégularités externes, généralement procédurales :
« I. A titre expérimental, le bénéficiaire ou l'auteur d'une décision administrative non réglementaire entrant dans l'une des catégories définies au deuxième alinéa du présent I peut saisir le tribunal administratif d'une demande tendant à apprécier la légalité externe de cette décision.
Le premier alinéa du présent I est applicable aux décisions précisées par le décret en Conseil d'Etat prévu au V, prises sur le fondement du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, du code de l'urbanisme ou des articles L. 1331-25 à L. 1331-29 du code de la santé publique et dont l'éventuelle illégalité pourrait être invoquée, alors même que ces décisions seraient devenues définitives, à l'appui de conclusions dirigées contre un acte ultérieur.
Le premier alinéa n'est pas applicable aux décisions prises par décret.
II. La demande en appréciation de régularité est formée dans un délai de trois mois à compter de la notification ou de la publication de la décision en cause. Elle est rendue publique dans des conditions permettant à toute personne ayant intérêt à agir contre cette décision d'intervenir à la procédure.
La demande est présentée, instruite et jugée dans les formes prévues par le code de justice administrative, sous réserve des adaptations réglementaires nécessaires. Elle suspend l'examen des recours dirigés contre la décision en cause et dans lesquels sont soulevés des moyens de légalité externe, à l'exclusion des référés prévus au livre V du code de justice administrative.
Le tribunal statue dans un délai fixé par voie réglementaire. Il se prononce sur tous les moyens de légalité externe qui lui sont soumis ainsi que sur tout motif d'illégalité externe qu'il estime devoir relever d'office, y compris s'il n'est pas d'ordre public.
III. La décision du tribunal n'est pas susceptible d'appel mais peut faire l'objet d'un pourvoi en cassation.
Si le tribunal constate la légalité externe de la décision en cause, aucun moyen tiré de cette cause juridique ne peut plus être invoqué par voie d'action ou par voie d'exception à l'encontre de cette décision.
Par dérogation à l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration, l'autorité administrative peut retirer ou abroger la décision en cause, si elle estime qu'elle est illégale, à tout moment de la procédure et jusqu'à l'expiration d'un délai de deux mois après que la décision du juge lui a été notifiée.
IV. L'expérimentation est menée, pour une durée de trois ans à compter de la publication du décret en Conseil d'Etat prévu au V, dans le ressort des tribunaux administratifs, au nombre maximal de quatre, désignés par ce décret. Elle fait l'objet d'une évaluation dans les conditions fixées par le même décret.
V. Un décret en Conseil d'Etat précise les décisions entrant dans le champ du deuxième alinéa du I et pouvant faire l'objet d'une demande en appréciation de régularité, en tenant compte notamment de la multiplicité des contestations auxquelles elles sont susceptibles de donner lieu.
Le décret prévu au premier alinéa du présent V fixe également les modalités d'application du présent article, notamment les conditions dans lesquelles les personnes intéressées sont informées, d'une part, des demandes tendant à apprécier la régularité d'une décision et de leurs conséquences éventuelles sur les recours ultérieurs et, d'autre part, des réponses qui sont apportées à ces demandes par le tribunal ».
Le législateur s’est ainsi directement inspiré du rapport du Conseil d'Etat de 2013 consacré au rescrit, lequel envisageait une forme de « prédécision » ou de « purge juridictionnelle » permettant, en dehors de tout litige, d'obtenir un brevet de légalité interdisant toute contestation ultérieure de la décision ainsi sanctuarisée[1].
Le Conseil d’Etat définit ainsi le rescrit comme une « prise de position formelle de l'administration, qui lui est opposable, sur l'application d'une norme à une situation de fait décrite loyalement dans la demande présentée par une personne et qui ne requiert aucune décision administrative ultérieure ».
Pour l’instant à l’état expérimental, l'expérimentation doit durer trois ans à compter de la parution du décret d’application[2].
Sept types d'actes pourront faire l'objet d'un tel recours :
- Les déclarations d'utilité publique (DUP) et leurs prorogations ;
- Les arrêtés d'ouverture de l'enquête publique préalable à une DUP ;
- Les arrêtés d'ouverture d'une enquête parcellaire ;
- Les DUP en matière d'opérations de restauration immobilière (C. urb., art. L. 313-4-1) ;
- Les arrêtés préfectoraux créant une zone d'aménagement concerté ;
- Les arrêtés déclarant insalubres des locaux d'habitation (CSP, art. L. 1331-25) ;
- Les arrêtés déclarant un immeuble insalubre à titre irrémédiable (CSP, art. L. 1331-28).
Ce nouveau mode de recours permettra au bénéficiaire ou à l’auteur de certaines décisions administratives non réglementaires de saisir la juridiction administrative d’une demande tendant à apprécier la légalité externe de cette décision. Si le tribunal constate la légalité externe de la décision en cause, aucun moyen tiré de cette cause juridique ne pourra plus être invoqué par voie d’action ou par voie d’exception à l’encontre de cette décision.
Par conséquent, afin que les Tiers puissent intervenir à l’instance, le décret prévoit un mécanisme qui ne manquera pas de nourrir un nouveau contentieux. En effet, l'auteur de la décision doit procéder à la publicité de son recours, dans les mêmes conditions que celles applicables à l'acte en cause, sous peine d'inopposabilité aux tiers de la décision du juge.
La publicité par l’auteur du recours comprend :
1° L’objet, la date et l’auteur de la décision faisant l’objet de la demande en appréciation de régularité ;
2° L’identité de l’auteur de la demande, le tribunal administratif compétent, la date du dépôt de la demande et son numéro d’enregistrement ;
3° L’indication de la possibilité, pour les tiers ayant intérêt à agir, d’intervenir à la procédure dans un délai de deux mois à compter de la date de l’information ;
4° L’indication selon laquelle, dans l’hypothèse où la juridiction constate la légalité externe de la décision en cause, aucun moyen tiré de cette cause juridique ne pourra plus être invoqué par voie d’action ou par voie d’exception à l’encontre de cette décision.
En outre, le décret d’application prévoit que la demande en appréciation de régularité est présentée dans un mémoire distinct et limité à cette demande.
Les tiers eux, auront deux mois pour intervenir aussi par mémoire distinct et limité à l'appréciation de la légalité externe. Le tribunal dispose quant à lui d’un délai de six mois pour statuer et sa décision n'est susceptible que d’un pourvoi en cassation.
Donc, par dérogation au Code des relations entre le public et l’administration, l’autorité administrative pourra retirer ou abroger la décision en cause, si elle estime qu’elle est illégale, à tout moment de la procédure et jusqu’à l’expiration d’un délai de deux mois après que la décision du juge lui a été notifiée.
Pour l’instant limité à l’expropriation, à l’urbanisme opérationnel et au droit de la santé publique, ce dispositif pourrait bien, à plus long terme et en se généralisant, transformer le contentieux administratif: il permettrait une fois la déclaration de régularité obtenue de décourager les recours dilatoires sur le fonds en exposant leurs auteurs à des amendes pour recours abusifs.
Pour autant, il y a un vrai risque que cette « pré-décision » devienne la norme, comme l’est, toute chose égale par ailleurs, le référé préventif en droit de la construction.
Pierre Castéra
Avocat
Docteur en droit
06.70.62.33.23.