Sans rentrer dans une approche analytique des plus profondes, il peut être important et intéressant, pour tout esprit juridique d'aborder la distinction qu'il peut exister entre la "disposition" et la "norme", ainsi que pour toute personne qui, au demeurant, s'intéresse un tant soit peu au sens des mots.
Tant il est fréquent pour certains d'entendre, de voir, ou d'utiliser ces termes, que ce soit pour communiquer ou faire des travaux comme l'interprétation ou la qualification juridique, ... cette disctinction porte tout son intérêt, en premier lieu afin de ne pas en faire la confusion. En effet, certaines personnes emploient à tort le terme "norme" pour désigner à la fois le texte, et son contenu, sa signification. Ceci revêt un évident abus de langage.
Ainsi, le but est de faire apparaître la ligne de démarcation entre la disposition et la norme.
Il est d'ailleurs aussi fait la même distinction en Droit international entre la "source formelle" en tant que contenant, et la "norme" en tant que contenu.
I. Définition
La disposition peut se définir comme tout énoncé écrit, faisant partie d'un texte normatif; tout énoncé appartenant aux sources du Droit. En d'autres termes, la disposition est donc un objet matériel composé de mots donc, et relevant du "monde du sensible": un acte, un texte, un énoncé,...
De l'autre côté de cette ligne donc, se trouve la norme, qui peut être définie comme la signification d'un énoncé prescriptif; elle est donc une règle, une signification, une interprétation. Relevant du "monde de l'intelligible", elle est immatérielle, elle est la pensée, et le sens d'un message véhiculé.
En outre, cette norme fera nécessairement l'objet d'une préhension intérieur, et d'une recherche de la compréhension. Dès lors, pour être extraite d'un texte, il faudra avoir recours à une opération intellectuelle: l'interprétation.
En effet, la disposition, fera l'objet d'une interprétation, et la norme sera l'interprétation(comprendre "signification") ou le résultat de cette interprétation (comprendre "opération intellectuelle").
*Le terme interprétation comprend en effet deux sens:
- la "signification" d'une chose, le sens, l'interprétation en tant que résultat de l'action d'interpréter.
- "l'action d'interpréter", c'est à dire l'opération intellectuelle qui va permettre de dégager une signification, une interprétation.
Selon Riccardo Guastini dans son ouvrage Leçons de théorie constitutionnelle, la disposition est aussi le texte non interprété, dénué de toute normativité tant qu'elle n'a pas fait l'objet d'une interprétation. Donc c'est bien en faisant ce travail d'interprétation que l'on obtient en résultat une norme, et donc une portée normative à une disposition.
La disposition aurait donc pour signification la norme, mais cela ne doit en aucun cas laisser penser qu'une disposition ne correspond qu'à une seule et même norme, et vice-versa.
II. Les rapports réciproques existants entre norme/disposition
Effectivement, les rapports entre la norme et la disposition donnent lieu à plusieurs hypothèses, plusieurs cas de figures, permettant de nuancer la distinction et mieux en comprendre le sens, mais aussi de voir clairement que cette relation n'est en rien cantonnée au schéma selon lequel une disposition aurait pour signification une seule et même norme.
Ces rapports sont les suivants:
Une disposition exprime forcément des normes disjointes:
En effet, une disposition plus ou moins vague et ambigüe, elle aura une pluralité de significations. Mais même un texte clair et précis peut générer des imprécisions, et cela du fait que le language humain soit limité. L'interprète aura alors la tâche de choisir entre plusieurs significations.
Une disposition peut exprimer des normes conjointes:
C'est le cas lorsqu'une disposition à plusieurs normes, plusieurs significations, mais qui sont non concurrentes, compatibles entre elles. Ex: article 1109 du Code civil : Il n'y a point de consentement valable si le consentement n'a été donné que par erreur ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol.
Plusieurs dispositions peuvent exprimer une même norme:
C'est le cas quand deux dispositions sont des synonymes étant répétition, cela reste tout de même assez rare.
Plusieurs dispositions combinées peuvent exprimer une seule norme:
Ici, il y a plusieurs dispositions combinées entre elles, plusieurs fragments de dispositions, car une seule ne serait pas suffisante pour exprimer la norme complète. Ex: une disposition contenant une définition + d'autres dispositions.
Une disposition peut n'exprimer aucune norme:
C'est le cas lorsque une disposition ne prescrit rien, telle les Lois mémorielles, ou autres. Ex: une définition, description, information,...
*Toutefois, en 2004[1] le Conseil Constitutionnel à censuré les énoncés déclaratifs, et à assuré que toute disposition devait revêtir une portée normative.
Une norme peut naître sans disposition:
L'exemple le plus concret ici est la coutume, qui est naît, et existe sans disposition, elle pourra d'ailleurs être codifiée après, et se retrouvera donc dans une disposition. L'on peut aussi tout simplement penser à la jurisprudence qui peut être créatrice de droit.
Autre remarque intéressant cette distinction: lors d'un contrôle de constitutionnalité, le contrôle est porté sur la norme, en vérifiant sa conformité avec la Constitution, mais ce qui sera censuré, ce sera la disposition. Toutefois, si le Conseil des Sages utilise ce que l'on appelle la technique de décision interprétative, la censure portera non pas sur la disposition mais sur l'interprétation qui en est faite, sur son contenu
Conclusion:
En somme, une telle distinction apparaît comme importante, intéressante et nécessaire.
Ainsi, puisque le présent "billet" ne reste qu'une approche, il serait intéressant d'appronfondir une telle analyse et de la poursuivre sur le travail même de l'interprétation.
A ce titre les ouvrages de Riccardo Guastini, "Interprétation et description de normes" et "Leçons de théorie constitutionnelle" pourraient être de bons supports. De plus, se pencher sur certains écrits d'auteurs comme Kelsen, Michel Troper, Ronald Dworkin, et Michel van de Kerchove pourrait s'avérer intéressant.
[1] Décision n° 2004-500 DC du 29 juillet 2004