Sommaire de l’article
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Contexte
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État de lieu
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Critiques
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Perspectives
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Conclusions
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Contexte
La tragédie survenue au Centre pénitentiaire de rééducation de Kinshasa (CPRK), également connu sous le nom de prison centrale de Makala, dans la nuit du 1er au 2 septembre 2024, a révélé l'urgence d'une réforme numérique du système pénitentiaire en République Démocratique du Congo[1]. En effet lors d'une tentative d'évasion des détenus, un incendie a causé des pertes humaines et détruit les archives du greffe. Cet incident met en évidence des lacunes majeures dans la gestion des données et la sécurité des informations relatives aux prisonniers.
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État de lieu
La République Démocratique du Congo se confronte à des défis majeurs dans son système judiciaire, qui se caractérise par une administration désuète fondée sur des traitements manuels des données [2]. Cette méthode non seulement retarde le processus judiciaire, mais contribue également à l’obsolescence des informations.
Avant de présenter l'état des lieux actuel, il est essentiel de comprendre les deux concepts évoqués précédemment : « numérisation » et « digitalisation »[3].
Bien que ces termes soient parfois utilisés de manière interchangeable, ils ne renvoient pas à la même réalité. La numérisation désigne la conversion des informations physiques en format numérique. Dans le contexte de notre étude, cela implique, par exemple, le fait de scanner les dossiers pénitentiaires.
En revanche, la digitalisation va au-delà de cette simple conversion de formats. Elle implique une transformation des processus grâce à l'utilisation des technologies numériques c’est-à-dire la mise en place des technologies dans tous les aspects d’une entreprise. Ainsi dans le cadre de notre étude , cela signifierait l’établissement d’un système de gestion intégrée pour l’ensemble des données du système carcéral comme par exemple l’utilisation des logiciels pour gérer les dossiers des détenus.
Ayant clarifié les deux concepts de base de cette étude, il convient de noter que, depuis 2016, le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), en partenariat avec divers acteurs techniques et financiers, a initié des projets stratégiques visant à moderniser le secteur judiciaire par la numérisation.
L'approbation, en 2021, du projet « BOYE NDE MALAMU » par le PNUD, en collaboration avec le Conseil Supérieur de la Magistrature et le Ministère de la Justice, a permis de mobiliser des ressources financières pour une mise en œuvre à grande échelle dans six prisons et dix-neuf juridictions à travers plusieurs villes, telles que Kinshasa, Matadi, Lubumbashi, Goma et Kananga.
Ce projet a été lancé en novembre 2022 par le président du Conseil Supérieur de la Magistrature, avec l'objectif de tester l'expansion des logiciels de gestion élaborés par le PNUD en coopération avec le Conseil Supérieur de la Magistrature et le Ministère de la Justice, pour les juridictions, bureaux et établissements pénitentiaires de la RDC.[4] Cette initiative ouvre la voie à une transformation numérique durable, apportant une valeur ajoutée pour les utilisateurs et garantissant une justice plus efficace, transparente et équitable.
Parmi ces initiatives, plusieurs outils numériques ont été développés, notamment [5] :
- Le SIGAJ : Système d’Information de Gestion des Activités Judiciaires, destiné aux parquets et tribunaux.
- Le SIGM : Système d'Information de Gestion des Magistrats, au service du Conseil Supérieur de la Magistrature.
- Le SIGE : Système d’Information de Gestion des Écrous pour les prisons.
Il convient de rappeler que le PNUD joue un rôle prépondérant dans le développement d’initiatives stratégiques et innovantes, cherchant à répondre efficacement aux défis de développement, notamment à travers la digitalisation et la numérisation du secteur judiciaire.
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Critiques
Malgré l’initiative du programme expérimental « Boye Nde Malamu », il est impératif de mettre en place un cadre numérique opérationnel et concret pour encadrer le système carcéral congolais. Ce cadre doit prendre en compte non seulement la numérisation des dossiers pénitentiaires, mais également une digitalisation globale qui englobe l'ensemble des processus de fonctionnement des établissements pénitentiaires. Cela inclut, entre autres, l'enregistrement numérique des visiteurs et des personnes incarcérées, ainsi que l’installation d’un dispositif de surveillance numérique efficace.
À l’aube de l'ère numérique en RDC, il est inconcevable de ne pas disposer d'établissements pénitentiaires modernes, équipés de divers outils technologiques. Ces outils doivent non seulement permettre la numérisation des dossiers, mais aussi garantir une sécurité maximale du système carcéral. Il est de triste mémoire de rappeler l’évasion survenue à la prison de Makala le 17 mai 2017, où plusieurs détenus se sont échappés à la suite d’un assaut mené par des membres de Bundu Dia Kongo, une organisation politique et religieuse. Cette évasion visait à libérer leur leader, alors en détention. La recherche des évadés a ensuite constitué un défi considérable pour l’administration pénitentiaire.
Cet exemple souligne une fois de plus l’urgence de procéder à la numérisation des établissements pénitentiaires, car ces lieux sont censés accueillir des individus considérés comme des dangers pour la société. Il est donc crucial d'agir rapidement pour moderniser notre système carcéral.
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Perspectives
Le problème étant identifié, il est essentiel de proposer des solutions concrètes et durables. Notre étude s’inscrit dans la vision de l’État congolais, qui ambitionne d’informatiser l’ensemble de l’administration publique et les services spécialisés des postes frontaliers d’ici 2030, telle qu’évoquée dans le plan national du numérique, Horizon 2025, élaboré en 2019 par des experts du secteur numérique réunis au sein du Cadre de Concertation établi par le Cabinet du Chef de l’État [6].
Bien que des efforts notables aient été réalisés allant dans le sens du numérique en général , notamment avec l'adoption et la promulgation du code du numérique congolais[7], il est crucial de passer de l'étape d'expérimentation à celle de l'effectivité. À cet égard, nous proposons les perspectives suivantes :
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La formation d’un personnel qualifié qui permettra la gestion efficace des technologies numériques, car cela ne servirait à rien de doter les différents centres pénitentiaires d’outils technologiques sans procéder à la formation des personnes devant les gérer.
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La création d’une plateforme numérique qui centralisera toutes les informations relatives aux détenus, y compris leur statut judiciaire et leur historique.
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Le développement d’une application mobile qui permettra le suivi des libérations conditionnelles et des mouvements des détenus.
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L’intégration d’outils modernes tels que l’utilisation de drones et de capteurs pour améliorer la surveillance et la gestion des informations.
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La mise en place d’une politique de protection contre les cyberattaques. En effet, la création d’un organe au sein des centres pénitentiaires dédié à la cybersécurité est essentielle pour protéger les données sensibles contre les risques de vol ou de manipulation, car il est de principe que la sécurité, c’est prévoir.
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Conclusion
En conclusion, nous pouvons dire que la modernisation du système pénitentiaire en République Démocratique du Congo grâce à la digitalisation et à la numérisation représente une avancée majeure vers une justice plus moderne et efficace. Bien que des défis persistent, les initiatives du PNUD et de ses partenaires ouvrent la voie à une réforme essentielle du système judiciaire, indispensable pour la consolidation de la paix et le renforcement des institutions démocratiques.
L’appel du ministère de la Justice pour identifier les corps des détenus décédés lors de l’incident de Makala souligne l’urgence de réformer le système pénitentiaire en RDC. L’établissement de la digitalisation et de la numérisation apportera donc des solutions pertinentes pour résoudre des problèmes chroniques et améliorer la gestion des prisons ainsi que la sécurité des données. Il est crucial que le gouvernement et les parties prenantes prennent des mesures concrètes pour intégrer ces technologies dans le fonctionnement du système pénitentiaire, afin de prévenir de telles tragédies à l’avenir.
Sources :
[1] : Actualité.cd.«Makala : Le ministère de la Justice appelle les familles à identifier les corps des détenus»,6 septembre 2024,
[2] : Lire utilement NTETIKA MBAKATA.P. « L’avocat et le numérique : Les usages de l’Internet aux frontières du secret professionnel». Tribune, Kinshasa, octobre 2021,p.7
[3] : MBA City(2023). Numérisation ou digitalisation : de quoi parle-t-on ? MBA City. https://mbacity.com/nos-actualites/numerisation-ou-digitalisation-de-quoi-parle-t-on/#:~:text=La%20numérisation%20est%20la%20“traduction,processus%20afin%20de%20l’améliorer
[4] : Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). (2024). Le PNUD et la révolution numérique dans le secteur de la justice en RDC.Consulté,à à partir de :
[5] : Olivier, M.(2024). «Initiative Boye Nde Malamu »: Projet de renforcement de la lutte contre la corruption à travers la mise à l’échelle des outils numériques innovants de système d’information dans le secteur de la justice en RDC. A consulter sur [https://www.e-justiceconference.ma/wp-content/uploads/2024/03/M.-Olivier.pdf](https://www.e-justiceconference.ma/wp-content/uploads/2024/03/M.-Olivier.pdf)
[6] : Plan national du numérique : Horizon 2025 pour une RDC connectée et performante. Kinshasa, septembre 2019,p.25
[7] : L’ORDONNANCE- LOI N° 23 / 010 DU 13 MARS 2023 PORTANT CODE DU NUMÉRIQUE
KANYUKA KANTOLE Reagan
Avocat, chercheur en droit des ressources naturelles, droit du numérique et droit des affaires.