Bataille de Cours d'Appel sur l'exécution d'un mandat de protection future

Publié le Modifié le 10/10/2019 Vu 3 125 fois 0
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Le 7 juin 2013, la Cour d'Appel de Douai a rendu un arrêt fort critiquable et contraire à la position de la Cour d'Appel de Paris quant à l'application du principe de subsidiarité en présence d'un mandat de protection future. Controverse ou véritable défiance des juges de Douai à l'égard du mandat de protection future?

Le 7 juin 2013, la Cour d'Appel de Douai a rendu un arrêt fort critiquable et contraire à la position de la

Bataille de Cours d'Appel sur l'exécution d'un mandat de protection future

Les faits de l'espèce - Par requête datée du 9 mai 2012, Mme Marie-Pierre P. avait saisi le juge des tutelles d’une demande d’ouverture d’une mesure de protection pour sa tante.

A cette requête était joint un certificat médical circonstancié concluant à l’ouverture d’une mesure de curatelle renforcée.

La requête précisait que la tante de la réquérante était veuve et sans enfant et y était joint la première page d’un mandat de protection future notarié daté du 11 juin 2009 désignant comme mandataires Mme Marie-Pierre P. et Mme Irène B., fille de Mme Marie-Pierre P.

La requête indiquait qu’était également désignée comme mandataire une autre nièce de la majeure à protéger, Mme R., et sollicitait la désignation de tous ces mandataires pour exercer la mesure de protection sollicitée.

Le mandat de protection future avait bien été signé mais n’avait pas été activé par le mandataire désigné.

Par jugement en date du 17 décembre 2012, le juge des tutelles a placé la majeure sous tutelle, a désigné Mme Marie-Pierre P. en qualité de tutrice et Mme G. B.-H. et M. F. H. en qualité de subrogés tuteurs.

Mme Marie-Pierre P. et sa tante ont demandé à la Cour d’infirmer le jugement et de dire que le mandat de protection future du 11 mai 2009 produirait pleinement ses effets.

Ce que dit la Cour d'Appel de Douai :

"La Cour n’a pas le pouvoir de faire produire effet à ce mandat de protection future, s’agissant d’une compétence exclusive du greffier du tribunal d’instance, en application des articles 481 al. 2 du code civil et 1258 et suivants du code de procédure civile.

Cette prise d’effet n’est possible, en application de l’article 1258-1 du Code de procédure civile, que sur présentation au greffier d’un certificat médical émanant d’un médecin inscrit sur la liste mentionnée à l’article 431 du code civil datant de deux mois au plus. 

Mme M.-T. H. veuve L. et de Mme Marie-Pierre P invoquent par ailleurs la subsidiarité de l’ouverture éventuelle d’une mesure de protection judiciaire par rapport au mandat de protectionfuture, en application de l’article 428 du code civil.

Cependant, cette subsidiarité ne peut jouer que pour autant que le mandat de protection future a pris effet, et non pas au seul motif que ce mandat a été conclu ; à défaut, il existerait un risque certain que la personne à protéger se retrouve sans aucune protection alors qu’il n’est pas contesté qu’elle en a besoin. Ce principe de subsidiarité ne pourra être utilement invoqué qu’une fois que le mandat de protection future aura pris effet, dans le cadre d’une demande de mainlevée de la mesure de protection judiciaire".

Ce qu'il faut retenir de cet arrêt :

1) La Cour d'Appel rappelle les principes de mise en oeuvre du mandat :

Le mandat de protection future est une des grandes innovations de la loi du 5 mars 2007.

Ingénieux, ce contrat doit permettre à chacun d’entre nous, de régler à l’avance, en possession de notre pleine capacité, les conséquences de notre propre vulnérabilité et de notre incapacité future.

Ce contrat, véritable testament de vie, est censé désengorger les tribunaux d’instance et laisser le champ libre à l’autonomie de la personne et à la liberté contractuelle.

Plutôt que de figurer au chapitre du "mandat" dans le Code Civil, le législateur de 2007 a inséré le mandat de protection future dans la rubrique « mesures de protection ».

Ainsi l’article 477 du Code Civil qui institue le mandat de protection future s’appuie expressément sur l’article 425 du Code Civil qui prévoit les causes d’ouverture d’une mesure de protection.

 

En clair, le mandat de protection future est donc une mesure alternative aux autres mesures de protection que sont la tutelle, la curatelle ou la sauvegarde de justice.

Sur ce point, la Cour d'Appel de Douai rappelle de façon judicieuse qu'il n'appartient pas au juge de faire produire effet au mandat de protection future.

Les règles de mise en oeuvre sont clairement exposées aux articles 1258 et suivants du Code de Procédure Civile qui imposent au mandataire désigné de se présenter au greffe du tribunal d'instance accompagné d'un certificat médical émanant d'un médecin expert inscrit sur la liste du Procureur de la République, constatant l'altération des facultés mentales du mandat.

Dans le cas d'espèce, le mandat avait été simplement conclu mais non encore mis en oeuvre auprès du greffe du tribunal d'instance par la mandataire désignée.

2) les Juges de Douai refusent d'appliquer le principe de subsidiarité en présence d'un mandat de protection future qui n'a pas été activé

La Cour d'Appel est connue pour ses positions dissidentes et très souvent avant-gardistes.

Pour autant, dans le cas d'espèce, la position des juges de Douai est critiquable en ce qu'elle ajoute une condition non prévue par la loi.

La loi du 5 mars 2007 a consacré trois grands principes applicables aux mesures de protection : nécessité, proportionnalité et subsidiarité.

Par nature, une mesure de protection juridique limite à plus ou moins grande échelle l'autonomie de la personne. La mesure de protection, quand elle est prononcée, doit donc être la plus adaptée possible à l'individu, à sa santé, à son environnement familial et social.

Le principe de subsidiarité est consacré à l'article 428 du Code Civil : "La mesure de protection ne peut être ordonnée par le juge qu'en cas de nécessité et lorsqu'il ne peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par l'application des règles du droit commun de la représentation, de celles relatives aux droits et devoirs respectifs des époux et des règles des régimes matrimoniaux, en particulier celles prévues aux articles 217, 219, 1426 et 1429, par une autre mesure de protection judiciaire moins contraignante ou par le mandat de protection future conclu par l'intéressé.

 

La mesure est proportionnée et individualisée en fonction du degré d'altération des facultés personnelles de l'intéressé".

L'article 440 du Code Civil illustre très bien le mécanisme de la subsidiarité : 

"La curatelle n'est prononcée que s'il est établi que la sauvegarde de justice ne peut assurer une protection suffisante.

 

La personne qui, pour l'une des causes prévues à l'article 425, doit être représentée d'une manière continue dans les actes de la vie civile, peut être placée en tutelle.

 

La tutelle n'est prononcée que s'il est établi que ni la sauvegarde de justice, ni la curatelle ne peuvent assurer une protection suffisante".

Le mandat de protection future, lorsqu'il a été conclu, est une mesure de protection qui s'impose au juge des tutelles en vertu du principe de subsidiarité.

Les juges de Douai auraient dû, en présence d'un mandat de protection future, infirmer le jugement en ce qu'il a prononcé une mesure de protection juridique.

C'est la position des juges de la Cour d'Appel de Paris qui dans un arrêt du 14 janvier 2013 (n°12/03648 AJ Fam.2013) ont décidé qu'il n'y avait pas lieu d'organiser une tutelle en raison du principe de subsidiarité et de l'existence d'un mandat de protection future.

La Cour de Paris, dans son arrêt, a simplement renvoyé le mandataire désigné dans le mandat à mettre à exécution le mandat.

La Cour d'Appel de Paris en jugeant ainsi est fidèle à la lettre de l'article 428 du Code Civil qui renvoie à l'existence d'un mandat simplement conclu.

Alors pourquoi la Cour d'Appel de Douai s'oppose à cette jurisprudence?

Il faut y voir sans doute une volonté des juges de Douai de toujours s'assurer de la protection du majeur.

S'ils avaient adopté la position des juges parisiens, ils n'avaient aucune garantie que le mandataire désigné dans le mandat aurait mis en oeuvre le mandat. Or, il était prouvé dans le cas d'espèce, qu'une mesure de protection était nécessaire. En n'activant pas le mandat et sans mesure de protection prononcée judiciairement, la majeure protégée n'aurait donc bénéficié d'aucune protection.

Pour autant, cette omniprésence du juge alors que le mandat de protection future avait notamment pour objectif de désengorger les tribunaux me semble fort critiquable.

Tout d'abord, le mandat de protection de future reflète les souhaits du mandant quant à l'organisation de sa protection et le choix de son protecteur.

Les juges parisiens en renvoyant le mandataire désigné à ses responsabilités c'est à dire en lui demandant de mettre un oeuvre le mandat qu'il a accepté s'inscrivent dans cette liberté d'autonomie. 

Les juges de Douai imposent quant à eux un parcours du combattant au futur mandataire.

Non seulement, il devra faire prendre effet au mandat pour pouvoir se prévaloir du principe de subsidiarité mais surtout il devra ensuite faire une demande de main-levée de la mesure de protection qui aura été prononcée.

Ainsi, deux procédures seront nécessaires au lieu d'une pour mettre en oeuvre un mandat qui devait rester en dehors du champ de compétence du juge des tutelles quant à son ouverture.

En outre, pourquoi les juges n'ont ils pas imposé un délai pour la mise en oeuvre de ce mandat aux termes duquel une mesure de protection s'appliquerait ? ainsi, si le mandataire ne s'exécutait pas dans le délai imparti par le juge, la mesure de protection prononcée deviendrait automatiquement applicable.

Enfin, n'oublions qu'une mesure de protection est prononcée à l'issue d'un délai d'instruction au cours de laquelle le juge des tutelles procède aux auditions et à la collecte de tous les éléments lui permettant de se déterminer sur la nécessité ou non d'une mesure.

Au cours de cette instruction, le juge ayant eu connaissance de l'existence d'un mandat de protection future, devrait s'assurer, avant de prononcer une mesure de protection, si les termes du mandat conclu avant sa saisine sont suffisamment protecteurs des intérêts du majeur.

Il faut regretter la position des juges de Douai en ce qu'ils ajoutent des obstacles à la mise en oeuvre d'un mandat qui devient toujours plus inaudible auprès du grand public.

Comment promouvoir ce formidable outil si les juges eux-mêmes émettent une défiance systématique à son égard.

Souhaitons que la Cour de Cassation intervienne rapidement pour trancher la position opposée de deux Cours d'Appel aux jurisprudences influentes.

 

MISE A JOUR : 10/10/2019

 

La Cour de Cassation s'est prononcée en faveur du principe de subsidiarité du mandat de protection sur les mesures judiciaires. Elle énonce qu'un mandat de protection future, même non encore activé, doit s'appliquer quand bien même le juge des tutelles aurait été saisi d'une demande de mise sous curatelle ou tutelle.

La Cour de Cassation rappelle que : "Attendu qu'il résulte de la combinaison des articles 483, 2°, et 477, alinéa 2, du code civil que seul le mandat de protection future mis à exécution prend fin par le placement en curatelle de la personne protégée, sauf décision contraire du juge qui ouvre la mesure ; que la cour d'appel, qui a constaté que le mandat de protection future n'avait pas été mis à exécution lors de l'ouverture de la curatelle, en a déduit à bon droit que cette mesure n'avait pas eu pour effet d'y mettre fin ";

En clair, le juge des tutelles peut révoquer un mandat qui est en cours d'exécution mais ne peut mettre fin à un mandat qui n'a pas été exécuté.

Ainsi les rôles sont clairs entre les juridictions et leurs compétences :

- le mandat qui est un contrat peut être annulé par le juge civil. S'il ne l'est pas, il demeure valable, même non activé. Aucune mesure judiciaire de protection ne peut donc le remplacer.

- si le mandat a été activé, alors le juge des tutelles est compétent pour le révoquer s'il constate des irrégularités dans la gestion du mandataire. Tout personne intéressée peut déposer une demande de révocation.

Concrètement, si le juge des tutelles est saisi d'une demande de mise sous curatelle ou tutelle, et qu'il a connaissance de l'existence d'un mandat de protection future non activé, il devra prononcer un non-lieu à mesure et laisser le mandat s'exécuter.

Ce n'est qu'une fois que le mandat sera activé, qu'il sera possible de saisir le juge des tutelles d'une demande en révocation. Ce sera plus rapide pour anéantir un mandat et obtenir la décharge du mandataire que de saisir le juge judiciaire civil d'une demande d'annulation de mandat.

Référence : Cour de cassation, civile, Chambre civile 1, 4 janvier 2017, 15-28.669, Publié au bulletin

https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?idTexte=JURITEXT000033845548

Thierry Rouziès

Avocat au Barreau de Paris

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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A propos de l'auteur
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Me Thierry Rouziès, Avocat au Barreau de Paris depuis 1999, est expert en Droit de la Protection des Majeurs. Il conseille et assiste tant des particuliers que des Professionnels (MJPM).

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