Que dit l’arrêt du 29 juin 2011 de la Cour de Cassation ?
Deux choses :
La Cour rappelle tout d’abord le principe fondamental découlant de l’article 431 du Code Civil aux termes duquel : « La demande (de mise sous protection) est accompagnée, à peine d'irrecevabilité, d'un certificat circonstancié rédigé par un médecin choisi sur une liste établie par le procureur de la République » ;
Et en tire la conséquence suivante : un juge des tutelles ne peut en aucun cas prononcer une décision de mise sous protection en se fondant sur un certificat médical de carence.
Une question de définitions mais pas seulement
Dans l’affaire jugée par les juges de la Haute Cour, la requête de mise sous protection était en réalité accompagnée d’une simple lettre d’un médecin agréé attestant du refus par Mme X... de se soumettre à un examen médical et non d’un véritable certificat médical.
Employer le terme de « certificat médical de carence » est impropre car un certificat médical est par définition destiné à constater ou à interpréter des faits d'ordre médical. Il en résulte que le médecin ne peut le rédiger qu'après examen de la personne concernée.
Par conséquent, un médecin qui n’aura pas été en mesure d’examiner la personne objet de la demande de mise sous protection ne peut qu’attester ou constater cette impossibilité sans que cela ne puisse prendre la forme d’un certificat médical.
Stricto sensu, l’attestation de carence n’étant pas un certificat médical, la requête de mise sous protection est donc irrecevable aux termes de l’article 431 du Code Civil. C’est ce que dit la Cour de Cassation et cela n’appelle a priori aucune objection ou discussion.
La loi impose par ailleurs que le certificat médical soit circonstancié et permette d’établir d’une part si la personne a une altération de ses facultés mentales et d’autre part (condition impérative) que cette altération empêche l’expression de sa volonté.
En clair, la réforme de 2007 a posé le principe d’une constatation médicale pour prononcer, selon le degré d’altération mentale, une mesure de sauvegarde, de curatelle ou de tutelle.
Le certificat ou l’attestation de carence du médecin ne peut donc constater cette déficience. Un refus de se laisser examiner ne peut certainement pas s’interpréter comme une preuve automatique d’altération mentale.
D’autant que la psychiatrie est une science qui est sujette des interprétations très diverses d’un médecin à l’autre.
Combien de mesures de protection ont pu être évitées par des contre-expertises médicales ?
Comme l’a très bien rappelé le docteur Pierrick Cressard au cours des Assises de la Tutelle organisées à Paris les 9 et 10 février 2012 par les fédérations d’associations tutélaires, Président de la section éthique et déontologie de l'Ordre des Médecins, une personne âgée de 85 ans à qui l’on demande de se connecter sur Internet pour régler des affaires quotidiennes ou d’utiliser une carte bancaire, serait jugée comme mentalement altérée alors que si elle était replacée dans son « époque » serait parfaitement apte.
D’où l’importance encore une fois de rencontrer, examiner, entendre la personne avant de déterminer si elle doit effectivement être protégée.
C’est également ce certificat médical qui va éclairer le juge des tutelles et lui permettre d’apprécier la nécessité ou non d’une mesure.
Seulement voilà, certains magistrats, et des plus éminents comme ceux de la Cour d’Appel de Douai dont la jurisprudence en matière de mesures de protection fait autorité auprès des juges des tutelles, désapprouvent la position de la Cour de Cassation en la matière.
Ainsi, au cours des Assises de la Tutelle organisées à Paris les 9 et 10 février 2012, les magistrats de la Cour d’Appel de Douai ont indiqué qu’ils étaient favorables à la recevabilité du « certificat » de carence au nom de la protection de la personne et affichaient clairement leur dissidence à l’égard de la Jurisprudence de la Cour de Cassation.
Faut-il protéger une personne contre son gré ?
La Cour d’Appel de Douai définit elle-même sa jurisprudence en matière de tutelle comme « libérale ». Libérale certes mais dans le cas du certificat de carence, très critiquable.
Sur le plan juridique, la décision de la Cour de Cassation a une valeur supérieure aux arrêts de Cour d’appel. Ainsi, un majeur qui soulèverait l’irrecevabilité du certificat de carence, et donc la nullité de la requête de mise sous protection, est bien fondé à le faire et obtiendra, en principe, gain de cause.
Toujours sur le plan juridique, si le médecin expert a été dans l’impossibilité de rencontrer la personne et l’examiner, alors on se demande comment le juge, qui a l’obligation d’auditionner le majeur, sera en mesure de l’entendre.
Le juge des tutelles ne peut écarter cette audition que s’il résulte du certificat établi par le médecin agrée que l’audition du serait de nature à porter atteinte à la santé de l’intéressé ou que celui-ci est hors d’état d’exprimer sa volonté.
Là encore, un médecin qui n’aurait pas examiné le majeur ne peut bien évidemment pas se prononcer sur la question de l’audition ou non du majeur par le juge.
Un juge peut-il pour autant mettre sous protection un majeur qui n’aura pas été examiné par un médecin et qu’il n’aurait pas auditionné ?
Allons au bout du raisonnement : si un tel juge prononçait une mesure de protection dans ces conditions, comment le futur tuteur ou curateur pourra quant à lui entrer en contact avec son protégé pour obtenir les informations nécessaires à son mandat (chéquiers, informations administratives, documents détenus par le majeur) ? la mission du mandataire s’avère quelque peu compromise si avant lui ni le médecin ni le juge n’ont réussi à rencontrer le majeur…
Bref, on voit bien qu’une telle décision du juge n’est évidemment pas tenable et surtout pas souhaitable au nom justement de la protection du majeur.
Rappelons que la loi du 5 mars 2007 place le majeur au centre du dispositif. La recherche de son autonomie et de l’expression de sa volonté sont des principes fondateurs de cette loi.
La Cour de Cassation consacre cette autonomie et refuse qu’un majeur puisse être protégé contre sa volonté, tant que sa vie ou celles de tiers n’est pas en danger. Si un majeur se trouvait en danger ou mettrait en danger des tiers, il est clair qu’il pourrait être neutralisé et entrer dans un processus médical pouvant découler sur un certificat médical préconisant une mesure de protection.
Aux juges dissidents, je réponds que la décision de la Cour de Cassation du 29 juin 2011 n’est certainement pas isolée et qu’elle s’inscrit très exactement dans l’esprit de la loi tout en renvoyant à une application stricte de celle-ci.
Thierry Rouziès
Avocat au Barreau de Paris
Arrêt n° 779 du 29 juin 2011 (10-21.879) - Cour de cassation - Première chambre civile
Cassation sans renvoi
Demandeur(s) : Mme M... X... épouse Y...
Défendeur(s) : Procureur de la République près le tribunal de grande instance de Mont-de-Marsan
Sur le moyen unique :
Vu l’article 431 du code civil ;
Attendu qu’aux termes de ce texte, la demande d’ouverture d’une mesure de protection judiciaire doit, à peine d’irrecevabilité, être accompagnée d’un certificat circonstancié rédigé par un médecin choisi sur une liste établie par le procureur de la République ;
Attendu que pour déclarer recevable la requête présentée le 6 mai 2009 par le procureur de la République de Mont-de-Marsan aux fins de mise sous protection de Mme X..., le tribunal, après avoir relevé que cette requête était accompagnée d’une lettre rédigée par un médecin agréé attestant du refus par Mme X... de se soumettre à un examen médical, a estimé que celle-ci n’était pas fondée à se prévaloir de l’absence de certificat médical circonstancié dès lors que, par son propre fait, elle avait rendu impossible ce constat ;
En quoi le tribunal a violé, par refus d’application, le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, le jugement rendu le 8 octobre 2009, entre les parties, par le tribunal de grande instance de Mont-de-Marsan ;
Vu l’article L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire ;
DIT n’y avoir lieu à renvoi ;
Confirme l’ordonnance rendue le 28 mai 2009 par le juge des tutelles du tribunal d’instance de Mont-de-Marsan ;
Président : M. Charruault
Rapporteur : Mme Chardonnet, conseiller référendaire
Avocat général : M. Domingo
Avocat(s) : SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle et Hannotin