Les faits :
Madame X, 80 ans, était propriétaire d'un appartement insalubre qui constituait son logement.
Le Centre d'Action Sociale a signalé la situation de Madame X au juge des tutelles qui s'est auto-saisi (NB : avant l'entrée en vigueur de la loi du 5 mars 2007, le juge des tutelles pouvait s'auto-saisir sur signalement d'un tiers) et a diligenté une expertise psychiatrique.
Les conclusions de l'expert ayant démontré que Madame X souffrait d'une altération de ses facultés mentales, celle-ci a été placée sous tutelle par jugement du 29 mars 2006.
Madame X, hospitalisée plusieurs mois, a été placée en maison de retraite sans son consentement.
La tutrice de Madame X a ensuite obtenu l'autorisation du juge des tutelles de débarrasser le logement et d'entreprendre des travaux de rénovation en vue d'un éventuel retour à domicile, puis de vendre le bien.
Par jugement du 7 mai 2008, Madame X a obtenu la mainlevée de la mesure de tutelle. Cette mainlevée a permis d'empêcher la vente du logement qui était en cours.
Madame X a ensuite saisi le Tribunal de Grande Instance d'une action en responsabilité contre la tutrice et l'Etat, en invoquant des fautes de gestion qui ont conduit, selon elle, à son placement sans son consentement en institution et à la vente abusive de son logement.
Elle a été déboutée une première fois, puis une seconde fois devant les juges d'appel qui ont considéré que compte tenu de son état de santé et de l'insalubrité de son logement au moment de son placement en institution, aucune faute ne pouvait être retenue contre la tutrice ou le juge des tutelles.
Madame X s'est pourvue devant la Cour de Cassation laquelle a rejeté également ses prétentions.
Ce que dit la Cour de Cassation :
1) l'hébergement en maison de retraite avait été rendu nécessaire pour réhabiliter l'appartement devenu insalubre, mais aussi en raison de l'état de santé déficient. Ainsi, cet hébergement ne pouvait être considéré comme contraire aux intérêts de la majeure protégée
2) aucune faute de gestion ne peut être retenue contre la tutrice qui avait fait des travaux rendus nécessaires par le très mauvais état et l'insalubrité de l'appartement
Ce qui pose problème dans l'argumentation de la Cour de Cassation :
Si l'on comprend les circonstances d'espèce et qu'il apparaît évident que Mme X ait eu besoin à un moment de sa vie d'une mesure de protection, il convient toutefois de s'interroger sur les conditions dans lesquelles son placement en institution puis la vente de son logement sont intervenus.
Le principe sacro-saint de maintien du logement et des meubles meublants à disposition du majeur protégé aussi longtemps que possible a été limité par des considérations d'ordre matérielle sans que les aspects tenant à la personne de la majeure protégée et à l'expression de sa volonté n'aient été prises suffisamment pris en compte.
Le principe édicté par l'article 490-2 ancien du Code Civil a été repris pratiquement mots pour mots par l'article 426 institué par la loi du 5 mars 2007.
S'il apparaissait nécessaire de déplacer provisoirement Mme X et de faire des travaux de rénovation dans son appartement, il semble que le retour à domicile n'ait jamais vraiment été envisagé.
L'analyse de l'affaire montre que des médecins s'étaient prononcés contre le retour à domicile de Mme X pendant son hospitalisation, mais la mainlevée totale de la tutelle, intervenue 2 ans plus tard, démontre une amélioration spectaculaire de l'état de santé de la majeure protégée, qui ne semble pas avoir été prévue ou envisagée par les médecins.
Le juge des tutelles a autorisé la vente du bien et confirmé que le placement en institution était définitif. Or, il semble qu'aucune audition de la majeure protégée ne soit intervenue ni même la mention que cette audition n'aurait pas été possible compte tenu de l'état de santé de la majeure.
La décision est critiquable en ce sens qu'il aurait fallu :
1° : s'assurer de l'incapacité totale de la majeure d'exprimer son consentement et de faire valoir son droit à choisir son lieu de vie; le juge aurait dû apporter la preuve que l'audition de la majeure protégée n'était pas envisageable à chaque étape : placement en institution puis vente du logement
2° : s'assurer d'obtenir au moins deux expertises médicales de médecins experts pour déterminer si le retour à domicile était envisageable à court ou moyen terme. On voit bien dans le cas d'espèce, que la psychiatrie est une science très complexe puisque la majeure protégée a obtenu une mainlevée complète de sa tutelle. Le juge des tutelles aurait dû s'assurer avant d'autoriser la vente du bien, que le retour à domicile était clairement impossible;
3° : les travaux réalisés dans l'appartement étaient certes nécessaires mais n'ont pas été réalisés enn considération d'un éventuel retour à domicile.
L'analyse du dossier montre que les travaux entrepris notamment dans la salle de bains n'étaient pas adaptés au handicap de la majeure protégée, mais avaient été réalisés dans l'optique de vendre le bien.
La tentation est en effet grande de considérer qu'il est dans l'intérêt du majeur protégé de vendre au mieux son bien immobilier lorsque l'on a la certitude d'un non retour à domicile.
Toutefois, et il est regrettable que cet arrêt rendu en mai 2014 donc plus de 5 après l'entrée en vigueur de la nouvelle loi qui a fait de la protection de la personne un des principaux enjeux du nouveau régime de protection juridique, n'ait pas considéré que le principe de maintien du logement aussi longtemps que possible passe aussi par un contrôle des travaux éventuels réalisés dans le but de réaliser cet objectif.
Dans le cas d'espèce, le retour à domicile était rendu impossible par des travaux non adaptés au handicap de la majeure protégée, ce qui ne donnait pas d'autre solution que de confirmer le maintien en institution.
En conclusion, cette jurisprudence s'oppose à la jurisprudence actuelle de la Cour d'Appel de Paris qui considère, au contraire et parfois de façon excessive, que le souhait exprimé du majeur doit être entendu quelles que soient les circonstances.
Cet arrêt apporte un bémol et une solution pragmatique pour les tuteurs, souhaitable dans bien des cas, en considérant qu'à partir du moment où l'intérêt du majeur semble toujours avoir été respecté, aucune faute ne peut être retenue contre le tuteur, lequel a été autorisé par le juge des tutelles,
S'il ne fait aucun doute sur le fait que la tutrice n'a commis aucune faute, il convient de s'interroger sur les conclusions médicales du non retour à domicile et l'absence d'audition du majeur par le juge des tutelles.
Où placer le curseur entre, d'une part, l'intérêt du majeur qui commande de le placer en institution et de vendre son logement et, d'autre part, sa parole exprimée, nécessairement altérée compte tenu de la mesure de protection, et qui peut être contraire à ses intérêts, défi quotidien des tuteurs,
Si l'autorisation donnée par le juge des tutelles au tuteur pour disposer du logement du majeur et le placer en institution n'exonère pas ce dernier de toute responsabilité, elle doit en revanche être obligatoirement assortie d'un contrôle préalable par le juge sur le respect des dispositions légales.
Le juge est garant des libertés individuelles et le sens de l'autorisation qu'il donne en matière de protection du logement du majeur protégé doit être, à mon sens, interprétée comme une validation de la décision du tuteur.
Thierry Rouziès
Avocat au Barreau de Paris
Arrêt de la Première Chambre Civile de la Cour de Cassation du 14/05/2014: