J'ai eu l'occasion d'être saisi d'un contentieux devant le tribunal d'Instance de VILLEJUIF, mettant en cause la responsabilité d'un tuteur professionnel pour avoir accompli des actes après le décès du majeur protégé.
Les faits étaient les suivants :
Madame M. , majeure protégée sous tutelle, est décédée le 13 novembre 2012.
En l’absence de famille en capacité d’organiser les funérailles, sa tutrice s’est donc occupé des obsèques.
Après avoir vérifié le compte bancaire de celle-ci qui était au moment de son décès créditeur de 3.705 euros, la tutrice a conclu un contrat auprès de la société OGF, pour un montant de 3.083,81 TTC.
Le 18 décembre 2012, la tutrice de Madame M. a ensuite saisi un notaire pour s’occuper de la succession de la majeure protégée conformément à l'article 1216 du Code de Procédure Civile.
Il est apparu que la facture de la société OGF n’a pas été intégralement réglée et qu’un solde de 2.900,81 euros lui resterait dû.
Plutôt que d’en solliciter le versement auprès du notaire en charge de la succession, la société OGF en a réclamé le paiement à la tutrice arguant d’une faute personnelle à son encontre devant le juge judiciaire.
La société OGF a soutenu que le mandat de la tutrice avait pris fin le 13 novembre 2012, date du décès de Madame M et qu’elle ne pouvait donc pas conclure, pour le compte de la majeure protégée, le devis signé avec la société OGF pour l’organisation des obsèques.
La société OGF a également soutenu que la tutrice aurait dû obtenir une autorisation du juge des tutelles étendant son mandat pour lui permettre de signer le contrat litigieux avec la société OGF.
Devant le Tribunal, nous avons développé la défense suivante avec la tutrice de Madame M :
- l’intervention de la tutrice après le décès pour organiser les obsèques de Madame M, en l'absence d'héritiers ou de légataires envoyés en possession, constitue une gestion d’affaires au sens de l’article 1375 du Code Civil;
La gestion d'affaires s'analyse traditionnellement comme « l'acte par lequel une personne, le gérant d'affaires, s'immisce dans les affaires d'une autre, le maître de l'affaire, encore nommé géré, sans avoir reçu mandat de celle-ci et pour lui rendre service ». (F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit des obligations : Dalloz, coll. Précis, 11e éd., 2013, n° 1031).
Ainsi, les deux conditions indispensables étaient bien réunies en l'espèce : l'intention de rendre service à autrui et l'utilité de la gestion.
- si les articles 418 et 443 du Code Civil, issus de la loi du 5 mars 2007, prévoient en effet que le décès du majeur protégé met fin à la mesure de protection, il convient de se reporter aux travaux parlementaires pour comprendre que le mandat se poursuit juste après le décès, spécifiquement pour organiser les obsèques, pour répondre à une réalité de terrain.
Ces rapports indiquent en effet que « l'obligation de clôturer la mesure de protection ne [fait]... pas obstacle à l'application des règles de la gestion d'affaires, la personne chargée de la protection étant autorisée à gérer les affaires courantes ». (Rapport au nom de la Commission des lois du Sénat, H. de Richemont, session ord. 2006-2007, 7 févr. 2007, n° 212, p. 110.)
Une application stricto sensu de l’article 418 du Code Civil aurait des conséquences désastreuses et indignes si le mandataire n’organisait pas les obsèques du majeur décédé, en l’absence de famille comme c’est le cas en espèce. Il s’agit d’une obligation morale à la charge du mandataire, lequel prend un risque malgré tout de commettre une faute, sans percevoir de rémunération.
- aucune faute ne peut être retenue contre la tutrice :
- Les circonstances exceptionnelles (le décès de la majeure protégée) ont obligé la tutrice à agir dans le cadre de la gestion d’affaires ; (article 1374 du Code Civil)
- Labsence d’héritiers au moment du décès légitimait son intervention ;
- Elle a pris soin de contrôler que le compte bancaire de Madame M. était bien créditeur au moment de signer le devis ave OGF, lequel affichait un solde de 3.705,05 euros au 30/11/2012 soit plus de 15 jours après le décès de Madame M ;
- Le montant du contrat est raisonnable s’agissant de funérailles à Paris et correspond à un gestion avisée et prudente de la part de la tutrice
- Elle a clôturé sa mission en informant le notaire désigné et une des proches identifiés de Madame M ;
- la société OGF a reconnu de facto l’existence d’une gestion d’affaires et en tire profit. Elle peut difficilement prétendre que les dispositions de l’article 418 du Code Civil impose au mandataire de ne commettre aucun acte après le décès du majeur protégé, et se prévaloir ensuite d’un devis après le décès du majeur protégé…
Ce qu'a jugé le tribunal : aucune faute de la tutrice qui agissait bien dans le cadre d'une gestion d'affaires
Dans sa décision du 25 novembre 2015, le Tribunal de VILLEJUIF a accueilli favorablement et intégralement la défense qui lui était présenté et a débouté la société OGFF de sa demande.
Le tribunal relève l'absence de faute de la tutrice aux motifs :
- qu'il y avait urgence pour organiser les obsèques;
- que le compte de Madame M était bien créditeur d'un montant supérieur au moment de la signature du devis avec OGF
- que la tutrice avait nécessairement agi dans le cadre de la gestion d'affaires c'est à dire pour le compte de la majeure décédée puisqu'il n'y avait aucun héritier connu.
- que cette intervention de la tutrice a été conforme à la définition de la gestion d'affaires en ce qu'elle a été utile et dénué de tout intérêt personnel pour le gestionnaire d'affaires.
Il faut saluer cette décision, conforme aux dispositions légales applicables, qui renforce la protection des mandataires professionnels en autorisant une gestion post mortem des majeurs protégés, lorsque celle-ci est nécessaire et dénuée de tout avantage pour le mandataire.
Thierry Rouziès - Avocat au Barreau de Paris