Rappel des principes en matière de rémunération
Les principes guidant la rémunération des mandataires judiciaires à la protection des majeurs sont fixés aux articles 419 et 420 du Code civil. Le Code de l'action sociale et des familles en précise les modalités.
Lorsque la mesure judiciaire de protection est exercée par un MJPM, son financement est à la charge totale ou partielle de la personne protégée, en fonction de ses ressources, avec de manière subsidiaire un financement de l'Etat. Pour tenir compte des différences en terme de charge de travail, les tarifs perçus par les mandataires individuels varient en fonction de la nature de la mesure, du lieu de vie et du niveau de ressources de la personne protégée.
Si les services mandataires sont financés sous la forme de dotation globale de financement, les mandataires individuels sont quant à eux tarifés à la mesure, la participation des personnes protégées intervenant pour eux en complément de rémunération.
Cette rémunération couvre l’exercice « courant » de la mesure de protection, c’est-à-dire les actions nécessaires à cet exercice comme procéder à l'inventaire de ses biens, rencontrer régulièrement le majeur protégé, gérer le budget, régler les dettes, remettre un argent de vie lorsque cela est médicalement et financièrement possible, échanger avec l'ensemble des organismes administratifs et bancaires, rendre compte de sa gestion, déposer des rapports de situation à l'attention du Juge des tutelles…
L’indemnité complémentaire ou l’émolument exceptionnel
En complément de cette rémunération classique, lorsque la situation financière du majeur protégé le permet, le MJPM peut demander au juge des tutelles l’octroi d’une indemnité complémentaire, que l’on désigne couramment comme « émoluments exceptionnels ».
Ce complément de rémunération est prévu par les articles 419 du Code civil, L471-5 et D471-6 du Code de l’action sociale.
En application de ces articles, le juge des tutelles saisi d’une demande d’indemnité complémentaire doit vérifier que les conditions suivantes sont remplies :
1)- les diligences doivent être particulièrement longues OU complexes ; (article L471-5 alinéa 2 précité)
2) - la rémunération perçue est insuffisante au regard des diligences exceptionnelles réalisées ; article D471-6 précité alinéa 2)
Même s’il n’existe aucune liste exhaustive de diligences exceptionnelles, l’article D471-6 alinéa 1 indique tout de même que la vente d’un immeuble, le suivi d’une procédure et la gestion de conflits familiaux sont des diligences entrainant une charge de travail exceptionnelle.
Comment formuler sa demande sur le fond
Chaque fois qu’un MJPM sollicite l’octroi d’une indemnité complémentaire, il doit procéder aux vérifications préalables suivantes :
- les diligences concernent-elles une vente immobilière, le suivi d’une procédure (ce peut-être le suivi d’une succession longue non contentieuse) ou la gestion de conflits familiaux. En général, ce sont dans ces trois thématiques que des diligences exceptionnelles sont réalisées ;
- une fois identifiées comme étant exceptionnelles au regard d’une gestion courante de la mesure, ces diligences ont-elles été exceptionnellement longues, ou complexes, ou longues et complexes ?
Très souvent, les décisions des juges des tutelles refusant l’octroi d’une indemnité complémentaire motivent leur décision en indiquant que les diligences invoquées ne sont ni longues et complexes. Le juge considère souvent que la complexité des diligences serait un pré-requis pour octroyer une indemnité complémentaire.
Or, les textes de loi sont très précis : les diligences doivent être longues OU complexes.
En clair, une procédure qui aurait durer plusieurs mois voire des années, mais sans grande complexité, entre dans le champ des diligences exceptionnelles, du fait de sa durée.
Pour pouvoir invoquer cette condition de durée, les MJPM devront toutefois tenir une feuille de temps et diligences attestant du caractère exceptionnel du temps passé. J’y reviendrai sur la forme.
La vente d’un bien immobilier entre dans le champ des diligences exceptionnelles chaque fois que la charge de travail aura dépassé une charge « classique ». La vente d’un bien immobilier peut rencontrer de nombreux obstacles : promesse de vente annulée, remise en vente du bien, gestion de conflits familiaux en rapport avec la vente, expertises liées à l’état du bien, procédures judiciaires sur le bien (charges de copropriété, squat, loyers impayés…).
D’une manière générale, on remarque que c’est de la durée de certaines diligences plus que de leur complexité, que découle leur caractère exceptionnel. D’où l’importance de la forme dans la présentation des demandes.
Inversement, la complexité de certaines diligences, (par exemple : des expertises d’assurance sur un bien immobilier) entraîne généralement une durée longue, donc la preuve est moins difficile à apporter sur ce point.
La seconde condition pour obtenir une rémunération complémentaire, est de démontrer que la rémunération courante est insuffisante au regard du temps passé sur la mesure.
Cette condition est assez simple à établir dans la mesure où l’indice « coût de référence » de la mesure de protection est gelé depuis plusieurs années.
Comment présenter sa demande sur la forme
Très souvent, les décisions de rejet des juges tutelles sont fondées sur l’absence de preuve des diligences exceptionnelles invoquées par le mandataire.
Si en revanche, le remboursement de frais, justifiés par des factures, est accordé sans trop de difficultés, la preuve des diligences exceptionnelles souffre d’un problème de forme dans la présentation.
Pour convaincre le juge de la réalité des diligences effectuées et/ou de leur complexité et/ou de leur durée, il convient d’établir des feuilles de temps et diligences par thématiques.
Ainsi, pour une vente immobilière complexe, il conviendra d’établir un tableau comportant la nature des diligences effectuées, leur date et leur durée.
De même, pour la gestion des conflits familiaux, il conviendra de lister chronologiquement les rendez-vous, appels, emails, auditions devant le juge etc…
Ces documents complets et détaillés établis par le mandataire constituent des justificatifs au même titre que des factures. Le juge ne remet a priori jamais en cause la bonne foi de ces tableaux dans la mesure où il aura eu forcément connaissance de la complexité de telle affaire et/ou de sa durée, via des rapports de situations ou auditions qu’il aura lui-même sollicités.
Récemment en avril 2024, devant la Cour d’appel de Versailles, j’ai assisté une mandataire judiciaire qui avait interjeté appel d’une décision de rejet d’une indemnité complémentaire. Le juge lui reprochait de ne pas justifier des diligences qu’elle invoquait.
Grace à un travail très important de recollection des diligences qu’elle avait effectuées, dans plusieurs thématiques et en établissant et produisant un tableau par thématique, nous avons pu ainsi démontrer à la Cour, que les diligences avaient bien été réalisées, qu’elles étaient longues voire complexes pour certaines.
La Cour, au vu tableaux remis par la mandataire, lui a donné immédiatement quitus et a infirmé l’ordonnance du juge des tutelles, en ces termes :
« La mandataire judiciaire justifie à suffisance des heures employées aux diligences dont elle demande indemnisation par la production d’un tableau détaillé des démarches qu’elle a effectuées et du temps qu’elle y a consacré. Ce tableau est corroboré par des éléments de procédure, des documents figurant au dossier du juge des tutelles et des pièces produites aux débats par la mandataire judiciaire, notamment des échanges de courriels avec l’une ou l’autre des filles de Mme XXX »
Ces tableaux par thématiques, réalisés en appel, s’ils avaient été produits devant le juge des tutelles, auraient sans doute permis l’octroi de l’indemnité sollicité et éviter un appel.
La forme de la présentation de la demande d’indemnité complémentaire est donc aussi essentielle que le fond, même s’il est vrai que de réaliser de tels tableaux de diligences représente un travail minutieux et une charge supplémentaire de travail…Ce travail fastidieux est souvent à l’origine de la résignation de certains mandataires qui abandonnent toute idée de solliciter une indemnité complémentaire.
Pour autant, les indemnités, lorsqu’elles sont octroyées, représentent souvent des sommes importantes, indispensables pour compléter la rémunération du MJPM et amortir des charges toujours plus importantes chaque année. La déjudiciarisation et l'accroissement de la responsabilité décisionnelle des MJPM ont alourdi le coût de la mesure sans pour autant être revalorisé.
Il faut peut-être en déduire que c’est sur le terrain de l’indemnité complémentaire qu’il faut envisager l’espoir d’une juste rémunération du MJPM
Textes applicables in extenso :
Article 419 du Code civil :
Les personnes autres que le mandataire judiciaire à la protection des majeurs exercent à titre gratuit les mesures judiciaires de protection. Toutefois, le juge des tutelles ou le conseil de famille s'il a été constitué peut autoriser, selon l'importance des biens gérés ou la difficulté d'exercer la mesure, le versement d'une indemnité à la personne chargée de la protection. Il en fixe le montant. Cette indemnité est à la charge de la personne protégée.
Si la mesure judiciaire de protection est exercée par un mandataire judiciaire à la protection des majeurs, son financement est à la charge totale ou partielle de la personne protégée en fonction de ses ressources et selon les modalités prévues par le code de l'action sociale et des familles.
Lorsque le financement de la mesure ne peut être intégralement assuré par la personne protégée, il est pris en charge par la collectivité publique, selon des modalités de calcul communes à tous les mandataires judiciaires à la protection des majeurs et tenant compte des conditions de mise en oeuvre de la mesure, quelles que soient les sources de financement. Ces modalités sont fixées par décret.
A titre exceptionnel, le juge ou le conseil de famille s'il a été constitué peut, après avoir recueilli l'avis du procureur de la République, allouer au mandataire judiciaire à la protection des majeurs, pour l'accomplissement d'un acte ou d'une série d'actes requis par la mesure de protection et impliquant des diligences particulièrement longues ou complexes, une indemnité en complément des sommes perçues au titre des deux alinéas précédents lorsqu'elles s'avèrent manifestement insuffisantes. Cette indemnité est à la charge de la personne protégée.
Le mandat de protection future s'exerce à titre gratuit sauf stipulations contraires.
Article L471-5 du Code de l’Action Sociale
« Le coût des mesures exercées par les mandataires judiciaires à la protection des majeurs et ordonnées par l'autorité judiciaire au titre du mandat spécial auquel il peut être recouru dans le cadre de la sauvegarde de justice ou au titre de la curatelle, de la tutelle ou de la mesure d'accompagnement judiciaire est à la charge totale ou partielle de la personne protégée en fonction de ses ressources. Lorsqu'il n'est pas intégralement supporté par la personne protégée, il est pris en charge dans les conditions fixées par les articles L. 361-1, L. 472-3 et L. 472-9.
A titre exceptionnel, le juge peut, après avoir recueilli l'avis du procureur de la République, allouer au mandataire judiciaire à la protection des majeurs, pour l'accomplissement d'un acte ou d'une série d'actes requis par l'exercice de la mesure de protection et impliquant des diligences particulièrement longues ou complexes, une indemnité en complément des sommes perçues au titre du premier alinéa lorsqu'elles s'avèrent manifestement insuffisantes. Cette indemnité est à la charge de la personne et est fixée par le juge en application d'un barème national établi par décret.
Les agents des organismes de sécurité sociale sont habilités à transmettre au représentant de l'Etat dans le département les informations dont ils disposent sur les ressources de leurs allocataires et sur les prestations qu'ils leur servent afin de permettre aux services de l'Etat dans le département de vérifier le montant de la participation de la personne protégée au financement du coût des mesures prévues au présent article ».
Article D471-6 du Code de l’action sociale
« L'indemnité complémentaire prévue à l'article L. 471-5 peut être accordée pour toute diligence entraînant une charge de travail exceptionnelle et pour laquelle les sommes perçues au titre du premier alinéa de l'article précité sont manifestement insuffisantes, telles que le règlement d'une succession, le suivi de procédures judiciaires ou administratives, la vente d'un bien ou la gestion de conflits familiaux.
Le mandataire présente sa demande d'indemnité accompagnée des justificatifs nécessaires. Il doit justifier du caractère exceptionnel de la charge de travail et de l'insuffisance des sommes perçues au titre du premier alinéa de l'article L. 471-5.
Le montant de l'indemnité est fixé par ordonnance du juge ou délibération du conseil de famille selon un taux horaire de douze fois le montant brut horaire du salaire minimum interprofessionnel de croissance en vigueur au 1er janvier de l'année au titre de laquelle la rémunération est attribuée.A partir de la quinzième heure consacrée à ces diligences exceptionnelles, le taux horaire est de quinze fois le montant brut horaire du salaire minimum interprofessionnel de croissance en vigueur au 1er janvier de l'année au titre de laquelle la rémunération est attribuée. Le juge apprécie le caractère nécessaire des diligences accomplies et peut inviter le mandataire judiciaire à la protection des majeurs à fournir des explications complémentaires.
A l'indemnité prévue au présent article, s'ajoute le remboursement par la personne qui fait l'objet de la mesure de protection sur justificatifs des frais de déplacement et de séjour occasionnés par l'accomplissement des actes, calculé dans les conditions fixées par le décret n° 2006-781 du 3 juillet 2006 ».