1. L’essence de la protection judiciaire. Une mesure de protection judiciaire a vocation, et c’est l’honneur de notre Droit, à protéger les personnes que l’affaiblissement de leurs aptitudes rendent vulnérables, cette protection devant toujours être nécessaire, proportionnée, et révisable dans le temps.
Ainsi, contrairement à l’axe principal donné au reportage, une curatelle ou une tutelle ne constitue pas en soi une privation de liberté, mais une protection de la liberté, grâce à l’assistance d’un curateur ou au mandat de représentation confié à un tuteur – la personne protégée n’ayant pas la capacité de prendre sans risque pour elle-même des décisions concernant ses deniers ou sa santé, par exemple.
L’écueil majeur de ce reportage est ainsi de glisser sur la cause, voire de l’éluder, pour ne s’attacher qu’à certaines de ses conséquences : la dépossession des moyens de paiement classiques (chéquier et carte de paiement), la remise d’une carte de retrait plafonnée, ou d’un pécule hebdomadaire, alors même que ces mesures, pour lesquelles il est difficile d’attendre une adhésion enthousiaste des intéressés[1], servent précisément leur intérêt.Â
2. Le certificat médical détaillé, condition préalable à tout placement sous protection. Le reportage omet de rappeler (il faudra attendre les commentaires furtifs en plateau) qu’une personne ne peut être placée par un Juge des tutelles sous protection judiciaire (sauvegarde de justice, curatelle, tutelle) qu’en raison d’une altération, constatée par un médecin expert, de ses facultés mentales[2].
Pour être complet, ajoutons qu’il peut arriver qu’un certificat médical comporte des insuffisances ou des inexactitudes, ou soit dépassé compte tenu du retour à meilleure santé de la personne. Il faut alors plaider le non-lieu à mesure de protection, mais aucune des personnes suivies par le reportage n’est présentée comme ayant critiqué avec raison, devant le Juge des tutelles, le certificat médical établi par un médecin expert.
3. La nécessaire information délivrée au majeur concerné. Contrairement à l’impression laissée par le reportage et aux commentaires en plateau[3], il est important de souligner que le majeur concerné par l’éventuelle mesure de protection est nécessairement informé de la saisine du Juge des tutelles, puisque le Juge des tutelles a l’obligation de le convoquer à une audition par lettre recommandée A.R. La personne est libre de s’y rendre, seule ou assistée par un avocat, et donc de préparer avec celui-ci des observations utiles.Â
Ce n’est que dans des situations exceptionnelles qu’un médecin expert peut préconiser une dispense d’audition, en raison de la détérioration avancée de l’état de santé (une maladie d’Alzheimer à un stade sévère, par exemple) : mais dans cette hypothèse exceptionnelle, non évoquée par le reportage, c’est le souci de la dignité du majeur à protéger qui commande cette absence d’audition.
4. Il est également regrettable que le reportage se borne à déplorer qu’une personne sous protection n’ait « pas eu le réflexe de faire appel dans les quinze jours comme la loi lui permet ». Cela donne au téléspectateur l’impression erronée que la décision de curatelle renforcée, injustement prononcée, deviendrait de surcroît irrévocable passé ce délai. Il n’en est rien:
- le fait de ne pas faire appel dans le délai de quinze jours – alors même que la notification du jugement, faite à la personne protégée par LRAR mentionne expressément la voie de recours, la forme du recours, et le délai du recours –, peut être un indice de l’inaptitude de l’intéressée et donc du bien-fondé de la mesure de protectionÂ
- surtout, il est toujours possible, pour une personne sous protection, de saisir à tout moment le Juge des tutelles, en dépit de l’expiration du délai d’appel, d’une requête motivée pour demander la mainlevée ou l’allègement de la mesure de curatelle ou tutelle.
5. Dans le reportage, les témoignages des personnes exprimant leur mécontentement dans la gestion de la mesure de curatelle ou de tutelle par un mandataire professionnel donnent à penser au téléspectateur, à tort, que la situation serait sans remède, qu’aucun changement de protecteur ne serait possible. Deux observations s’imposent.
En premier lieu, la primauté familiale gouverne la matière. Autrement dit, le protecteur (curateur ou tuteur) est choisi prioritairement parmi les proches de la personne concernée, après diverses auditions. Ce n’est qu’en cas de carence du cercle de famille ou amical, ou dans le cas d’un conflit familial persistant et nuisible au majeur à protéger, que le Juge des tutelles désignera un mandataire professionnel (dénommé M.J.P.M., mandataire judiciaire à la protection des majeurs). Un enfant ayant demandé à exercer la mesure, et ne l’ayant pas obtenue, pouvant toujours faire appel du jugement.
En second lieu, en cas de dysfonctionnements sérieux constatés dans l’exercice de la mesure par le mandataire professionnel, il est toujours possible de saisir le Juge des tutelles aux fins de changement de curateur. Le reportage n’indique pas les raisons pour lesquels les griefs formulés par tel ou tel n’ont pas donné lieu à une requête déposée au siège du Juge des tutelles.
6. En ce qui concerne le contrôle des comptes des majeurs protégés, le reportage se contente de véhiculer l’idée qu’un grand nombre de dossiers de protection ne peut être contrôlé efficacement par le greffier en chef de chaque Tribunal d’Instance, habilité à cet effet, en raison de la charge de travail que cette tâche représente, et focalise l’attention du téléspectateur sur deux faits divers – datés et marginaux – liés à la carence du contrôle des comptes, dans lesquels un ancien tuteur a été condamné à sept ans d’emprisonnement, un second, condamné en première instance, a fait appel de sa condamnation.
Si l’insuffisance des moyens du greffier en chef – en termes de temps ou d’expertise – est réelle, il existe néanmoins plusieurs mécanismes légaux permettant à la fois d’empêcher que de tels faits divers ne se produisent désormais (a), et de renforcer le contrôle des comptes (b).
(a) En premier lieu, la loi du 05 mars 2007 qui a réformé le droit des majeurs vulnérables, a mis fin à une ancienne pratique dite du « compte pivot », qui aboutissait à ce que sur un même compte apparaissent les ressources et les dépenses de l’ensemble des personnes protégés par un même mandataire professionnel. Désormais, chaque majeur protégé dispose d’un compte bancaire autonome, géré par son protecteur. Cela rend le contrôle infiniment plus lisible, et réduit à néant les confusions comptables.
(b) En second lieu, la désignation par le Juge des tutelles d’un subrogé protecteur (subrogé curateur ou subrogé tuteur), choisi parmi les membres de la famille et le cercle des proches, permet d’adjoindre au greffier en chef un contrôleur, dans la mesure où ce subrogé protecteur reçoit obligatoirement du curateur ou du tuteur, une copie des comptes annuels. Il peut donc exercer un premier contrôle et alerter le greffier en chef et le Juge des tutelles en cas d’anomalie.
Plus encore, le Juge des tutelles peut, avec l’accord du majeur protégé, autoriser un autre proche de celui-ci à recevoir une copie des éléments comptables. Ce qui permet de démultiplier les contrôles.
Enfin, il est encore possible au Juge des tutelles de confier la mission de contrôle et d’approbation des comptes à un technicien agréé, dont l’expertise remplace alors celle du Greffier en chef.
De lege ferenda, l’avocat du majeur protégé devrait également pouvoir être destinataire d’une copie des éléments comptables.
7. Un mot pour conclure. Interviewer des personnes placées sous curatelle ou tutelle, c’est donner la parole à des personnes qui peuvent être diminuées, qui vivent douloureusement leur altération lorsqu’elles en ont conscience, et peuvent de surcroît être partagées entre le déni et la peine. Inverser les valeurs en posant même la question de savoir si la tutelle constitue une privation ou une protection, ne pas relativiser une parole fragilisée, critiquer l’institution de la protection judiciaire des majeurs en assénant des vérités incomplètes et donc des contre-vérités, élever quelques dysfonctionnements marginaux en règle de principe, est évidemment dommageable pour chacun.
   Valéry MONTOURCY                             Thierry ROUZIÈS  Â
Avocat au Barreau  de Paris                    Avocat au Barreau de ParisÂ
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[1] De nombreux majeurs vulnérables n’ayant de surcroît pas conscience de leurs troubles.
[2] … ou de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté (Art. 425 du code civil).
[3] Question (29’47’’) : « Une des révélations de votre reportage […] c’est le mécanisme de la mise sous tutelle : on se rend compte que l’on peut être mis sous tutelle sans le savoir, sans en être averti. Comment c’est possible ? » Réponse : « Effectivement, on le voit dans le reportage, c’est ce qui est arrivé à […] qui se retrouve placée sous curatelle sans rien avoir demandé, sans savoir qui a lancé la procédure. Et c’est tout à fait légal […] Ensuite la Juge des tutelles prendra sa décision à partir d’un rapport d’un expert médical […] »