Quel était le grief invoqué par le requérant ?
Le requérant était un majeur placé sous curatelle. Il estimait qu’à partir du moment où la réalité de son consentement était vérifiée, l’article 460 alinéa 1 du Code Civil qui impose l’autorisation du curateur ou à défaut celle du juge des tutelles pour se marier, serait donc contraire au principe constitutionnel de liberté du mariage, acte, selon lui, strictement personnel et privé.
La question à résoudre est double :
- la liberté de mariage qui est un principe constitutionnel dont la valeur juridique est supérieure à la loi peut-elle être restreinte par la loi ?
- si oui, quelles sont les garanties exigées pour qu’une loi limite une liberté constitutionnelle ?
La liberté de mariage est un principe constitutionnel depuis 1993. Cette protection constitutionnelle a été d’abord rattachée à la liberté individuelle puis à la liberté personnelle au titre des articles 2 et 3 de la Déclarations des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.
Toutefois, dans une décision du 28 janvier 2011, le Conseil a jugé que « la liberté du mariage ne restreint pas la compétence que le législateur tient de l’article 34 de la Constitution pour fixer les conditions du mariage dès lors que dans l’exercice de cette compétence, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ».
En clair, cela signifie que la loi peut porter atteinte à la liberté de mariage dès lors que ces atteintes ne sont pas disproportionnées et sont légitimes.
Dans notre cas d’espèce, les atteintes de la loi du 5 mars 2007 à la liberté de mariage du majeur protégé sont-elles proportionnées et légitimes ?
Le Conseil Constitutionnel répond par l’affirmative en relevant que les restrictions suivantes apportées par la loi du 5 mars 2007 sont légitimes :
1°) contrairement à ce qu’affirme le requérant, le mariage n’est pas un acte strictement personnel, qui par définition ne peut être consenti que par le majeur seul, sans assistance ni représentation
Le mariage n’est pas cité dans les cas d’actes strictement personnels énumérés par la loi.
Aux termes de l’article 468 du Code Civil sont des actes strictement personnels, la déclaration de naissance d’un enfant, sa reconnaissance, les actes de l’autorité parentale relatifs à la personne d’un enfant, la déclaration du choix ou du changement du nom d’un enfant et le consentement donné à sa propre adoption ou à celle de son enfant.
2°) Le mariage a des conséquences non seulement personnelles mais aussi patrimoniales dans la vie du majeur
Le mariage fait partie des actes importants de la vie civile au sens de l’article 440 du Code Civil pour lesquels une assistance ou une représentation peut être décidée par le juge compte tenu des conséquences certes personnelles mais aussi patrimoniales du mariage.
En effet, sans les énumérer tous, on peut rappeler d’abord le pouvoir des époux d’agir seul pour les actes qui ont pour l’objet :
- l’entretien du ménage,
- la solidarité des dettes du ménage ou l’entretien des enfants (article 220 du Code Civil),
- la présomption de mandat entre époux (article 222 du Code Civil).
Un époux malveillant, dépourvu de revenus, peut donc engager gravement l’autre époux dans des crédits à la consommation qui seront remboursés en réalité par l’époux défaillant. C’est par exemple ce type de contrôle qu’exercera le curateur avant d’autoriser un majeur à se marier.
De même, l’impossibilité du majeur sous curatelle de signer seul un contrat de mariage en application de l’article 1399 du Code Civil, induit de plein droit que le régime matrimonial par défaut est celui de la communauté réduite aux acquêts (articles 1400 et suivants du Code Civil).
3°) le mariage a une conséquence directe sur la mesure de protection du majeur elle-même.
En effet, en vertu du principe de subsidiarité que doit appliquer le juge des tutelles, une mesure de protection ne peut être ordonnée que s’il ne peut être suffisamment pourvu aux intérêts de la personne par l’application des règles de droit commun de la représentation et en particulier de celles relatives aux droits et devoirs des époux et des règles des régimes matrimoniaux.
En d’autres termes, si le majeur sous curatelle pouvait se marier sans autorisation du curateur ou à défaut du juge des tutelles, le juge serait obligé de rechercher si, une fois le majeur marié, la mesure dont il fait l’objet ne devrait pas être confiée au conjoint.
On comprend un peu mieux pourquoi le législateur a tenu à ce que la protection du majeur soit assurée également dans le cadre du mariage compte tenu de l’exposition du majeur, dont les facultés mentales sont nécessairement altérés, à de possibles abus.
4°) contrairement à ce que soutient le requérant, la loi ne pose pas un principe général d’interdiction de se marier pour un majeur sous curatelle, mais l’obligation de recueillir l’accord du curateur ou à défaut du juge.
C’est en cela par exemple que la loi est tout à fait proportionnée et ne prive pas le majeur de sa liberté de se marier.
Chaque situation est toujours analysée au cas par cas par le juge des tutelles qui doit rendre une décision motivée après avoir entendu toutes les parties.
En outre, le majeur dispose toujours de la faculté de faire appel d’une décision. Même si l’assistance d’un avocat n’est pas obligatoire, elle est toujours préférable aux côtés du majeur pour appréhender des enjeux aussi complexes devant une Cour d’Appel.
On ne peut que se féliciter d’une telle décision. La liberté a des limites que commande la protection d’une personne et de ses intérêts tant personnels que patrimoniaux.
La pratique montre combien nombre de majeurs protégés sont abusés quotidiennement et qu’il est important de veiller à ce que des décisions aussi importantes que celles de se marier soient encadrées.
Le Conseil Constitutionnel a tenu à rappeler l’objectif de protection de la loi du 5 mars 2007, dont les dispositions légitimes restreignent certes la liberté du majeur de se marier mais qui pour autant ne sont pas insurmontables.
Cette décision du Conseil permet de rappeler, s’il le fallait encore, que l’objectif de la loi de 2007 et les contrôles qu’elle institue ne sont pas établis contre le majeur mais dans son seul intérêt.