La Loi du 5 mars 2007 portant réforme du régime de la Tutelle en France a introduit un nouvel article dans le Code Civil : l’article 477 prévoit que « toute personne majeure ou mineure émancipée ne faisant pas l'objet d'une mesure de tutelle peut charger une ou plusieurs personnes, par un même mandat, de la représenter pour le cas où, pour l'une des causes prévues à l'article 425, elle ne pourrait plus pourvoir seule à ses intérêts ».
La Loi a ainsi consacré la naissance du mandat de protection future en vigueur depuis le 1er janvier 2009.
Un outil juridique pour anticiper l’avenir
En 2012, on dénombrait près d'un million de personnes sous tutelle/curatelle ou mesure de sauvegarde. Un chiffre qui ne fait qu'augmenter compte tenu de l’allongement de la durée de la vie. On sait que le nombre de personnes seules, âgées, de plus de 80 ans, touchées notamment par la maladie d’Alzheimer, va sensiblement s'accroître dans les 10 prochaines années.
Organiser sa future protection doit devenir un acte responsable et aussi banal que celui d’organiser sa succession. Il est vrai que la mort, inéluctable et bien qu’encore tabou, amène la plupart des personnes au soir de leur vie à organiser leur succession pour notamment éviter les malentendus ou les conflits familiaux qui pourraient surgir après leur disparation. Une façon de mettre les choses en ordre avant de partir.
Il est en revanche beaucoup plus difficile d’envisager et prévoir l’altération ou la perte de ses facultés mentales, qui peut survenir à la suite d’une maladie ou d’un accident. Malheureusement, l’allongement de la vie est certes une victoire de la médecine mais a d’ores et déjà pour corollaire de voir augmenter un grand nombre de personnes vulnérables, ayant perdu le contrôle de leur vie et placées sous protection légale.
Aujourd’hui, le choix du protecteur se pose au moment où la personne vulnérable, dans la majorité des cas, âgée, n’est plus en mesure d’exprimer un souhait quant à la personne qui devra administrer sa vie, toute sa vie.
Bien sûr, les juges des tutelles saisis d’une demande de mise sous tutelle ou curatelle doivent en priorité rechercher si le conjoint, un membre de la famille peut être désigné en qualité de curateur ou tuteur, dans l’intérêt du protégé.
Cependant, la charge est souvent lourde, trop lourde, pour le futur tuteur. Outre le poids émotionnel lié à la perte des facultés mentales de l’être cher à protéger,  le tuteur membre de la famille devra administrer la vie du protégé dans les moindres détails (paiement des factures, réparation, contrats d’aide à domicile, placement en établissement spécialisé, plaintes de tiers etc.) et rendre compte de sa gestion. Il devra toujours agir dans l’intérêt du protégé, notamment toujours prendre les bonne décisions quant à la gestion de son patrimoine.
Parfois, une telle charge ne peut être assumée par un membre de la famille, soit parce qu’il n’y a plus de conjoint ou même de famille proche, soit parce qu’aucun proche n’a la capacité d’une telle prise en charge (éloignement, problèmes personnels, incapacité intellectuelle…). Plus tristes mais malheureusement de plus en plus fréquents, sont les cas où la valeur du patrimoine du protégé va entraîner des conflits entre les membres de la famille.
C’est notamment pour éviter ces situations difficiles que le législateur a souhaité mettre en place le mandat de protection future.
2 types de mandat
Par mandat de protection future, il faut entendre deux types de mandat : le mandat pour soi-même et le mandat pour autrui.
Du point de vue juridique, comme tout mandat, ce mandat spécifique obéit également aux règles du mandat de droit commun telles qu’énoncées aux articles 1984 à 2010 du Code civil, dans la mesure toutefois où ces règles ne sont pas incompatibles avec celles, nombreuses, qui régissent le mandat de protection future.
1) Le mandat pour soi-même
Article 425 du Code Civil : « Toute personne dans l'impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d'une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l'expression de sa volonté peut bénéficier d'une mesure de protection juridique prévue au présent chapitre.
S'il n'en est disposé autrement, la mesure est destinée à la protection tant de la personne que des intérêts patrimoniaux de celle-ci. Elle peut toutefois être limitée expressément à l'une de ces deux missions ».
Précisons qu’un majeur sous curatelle peut conclure un tel mandat avec l’assistance de son curateur.
2) Le mandat pour autrui
Le cas le plus fréquent sera celui où les parents ou le dernier vivant des parents, non placés en tutelle ou curatelle, et qui exercent l’autorité parentale sur leur enfant mineur ou assument la charge matérielle et affective de leur enfant, peuvent désigner un ou plusieurs mandataires, pour le cas où cet enfant ne pourrait plus pourvoir seul à ses intérêts en raison d’une altération de se facultés. Ce mandat est obligatoirement notarié
Quel mandataire choisir ?
Le mandataire est une personne physique ou morale choisie librement par le mandant. Ce peut-être un proche comme un professionnel (mandataire judiciaire à la protection des majeurs, avocat, conseil en gestion de patrimoine…).  Dans le cas de désignation d’une personne morale, celle-ci devra nécessairement figurer sur la liste des mandataires à la protection des majeurs établie par le préfet et disponible dans les tribunaux d’instance et les préfectures.
Le mandat est très souple et permet de choisir plusieurs mandataires dans un seul et même acte. Ainsi, on peut très bien imaginer la désignation d’un proche pour s’occuper de la personne du mandant dans ses actes quotidiens, et un ou plusieurs professionnels pour s’occuper de la gestion de son patrimoine. Cela permettrait d’éviter ainsi la naissance de conflits familiaux trop nombreux sur la gestion du patrimoine du protégé tout en garantissant une protection de ses intérêts par un professionnel tiers de confiance.
Aujourd’hui, le mandataire judiciaire à la protection des majeurs, profession consacrée par la loi du 5 mars 2007, véritable professionnel de la tutelle tant sur le plan de la gestion de la personne que de son patrimoine, garant intègre des intérêts des protégés,  et qui a l’obligation de rendre compte de sa gestion de façon détaillée auprès du juge des tutelles qui l’a désigné, pourrait constituer un excellent mandataire professionnel en charge des intérêts patrimoniaux du protégé.
Acte notarié ou acte sous-seing privé ?
Le mandat de protection future pour soi-même, bien que souvent passé devant notaire, peut également être dressé et contresigné par un avocat (art.492 al.1 du Code civil). Le mandat est qualifié alors d’acte d’avocat  et doit être daté et signé de la main du mandant. L'avantage du mandat sous seing privé est que le mandataire ne peut faire seul que les actes d'administration (actes courants) et qu'en revanche les actes de disposition (ventes de biens immobiliers par ex) seront autorisés et donc contrôlés par le juge des tutelles.
Si le mandat est notarié, le mandataire pourra être autorisé à conclure des actes de disposition sans contrôle du juge. Seul le notaire pourra signaler au juge les actes éventuellement contraires à l'intérêt du majeur. Mais le notaire exercera t-il cette mission de contrôle?
Lorsque l'acte est notarié, le notaire qui a reçu l'acte ne peut bien entendu pas être désigné en qualité de mandataire. En effet, le notaire ne pourrait exercer sa mission de contrôle sur la bonne exécution du mandat telle que la vérification du compte de gestion par le mandataire.
Le contenu du mandat
Le mandat de protection future peut porter sur la protection du patrimoine et/ou sur la protection personnelle.
1) La protection du patrimoine
La mandant peut librement définir l’étendue de la mission du mandataire quant à la gestion de son patrimoine. La protection peut porter sur l’ensemble du patrimoine comme sur un seul bien ou une catégorie de biens.
On relèvera pour l’anecdote que le modèle de mandat sous seing privé tel que fourni par le Ministère de la Justice prévoit dans la rubrique relative à la gestion du patrimoine par le mandataire, l’option « mon mandataire veillera sur mes animaux domestiques (précisez) » (Cliquez ici pour accéder au formulaire proposé par la Chancellerie :
https://docs.google.com/viewer?url=http://www.vosdroits.justice.gouv.fr/art_pix/form13592v02.pdf)
2) La protection de la personne
La désignation de cette personne est bien entendu la plus délicate en ce qu’elle sera en charge de gérer la vie personnelle du mandant, étant précisé que, dans la mesure où son état le permet, le mandant prendra seul les décisions relatives à sa personne comme le choix de son lieu de résidence ou le choix des personnes avec lesquelles il souhaite entretenir des relations.
Le protecteur mandataire se trouve soumis aux obligations prévues par les articles 457-1 à 459-1 du Code civil). Ainsi, il doit donner au mandant toutes informations sur sa situation personnelle, les actes concernés, leur degré d’urgence, leur utilité et les conséquences d’un refus de sa part.
La mandant peut et doit anticiper toutes les situations personnelles dans le mandat si celui-ci devait être exécuté.
Ainsi, le mandant doit préciser, dans la mesure du possible, quel sera son lieu de vie, s’il envisage la possibilité ou non d’aller en maison de retraite. En cas de refus d’être placé en établissement spécialisé, il conviendra de préciser les conditions de financement de son maintien à domicile.
De la même façon, même si cela est plus délicat, le mandat pourra préciser qui de son entourage pourra le visiter, ou connaître de sa situation médicale.
Toutes ces directives sont autant d’informations précieuses qui permettront au mandataire d’exécuter sa mission en demeurant fidèle à la volonté exprimée par le mandant.
Le mandant peut également prévoir en sus des obligations ci-dessus, que son mandataire exercera les missions prévues le code de la santé publique et le code de la sécurité sociale.
Ainsi le mandataire pourra exercer la mission de « représentant d’une personne en tutelle » : cela signifie que la mandataire pourra consentir à la place du mandant à certains actes médicaux importants.
Le mandant pourra également envisager que le mandataire exercera la mission de personne de confiance. Ainsi, le mandataire sera consulté pour avis à l’occasion de tout acte médical mais le mandant conservera le pouvoir de décision. En pratique, la personne de confiance est celle qui accompagne le mandant chez le médecin ou à lors d’une hospitalisation. Il s’agit nécessairement d’une personne susceptible d’être disponible à tout moment en cas d’urgence.
Effet – exécution du mandat
S’agissant du mandat pour soi-même, le mandat prend effet à la date à laquelle est établi que le mandant ne peut plus pourvoir seul à ses intérêts (article 481 al.1 du Code civil). Le mandataire doit alors produire un certificat médical auprès du Greffe du Tribunal de Grande Instance du lieu de résidence. Ce certificat médical doit émaner d’un médecin choisi sur une liste établie par le Procureur de la République.
Concernant le mandat pour autrui, la désignation du mandataire prend effet au décès du mandant (dernier des deux parents si le mandat a été donné par les deux) ou à compter du jour où il n’est plus en mesure de s’occuper de son enfant. Le mandataire doit simplement présenter au greffe du tribunal d’instance le certificat de décès.
Dans le cas où le mandat s’ouvrirait parce que les parents ne peuvent plus s’occuper de leur enfant handicapé, il faut s’attendre à ce que les greffes exigent la délivrance d’un certificat médical constatant l’incapacité du ou des parents à prendre en charge leur enfant.
A RETENIR : le mandat fonctionne comme une procuration. Ce qui veut dire que le mandant conserve sa capacité juridique et peut contracter des actes. S’il est établi que le mandant n’avait pas toutes ses facultés mentales au moment de la passation de ces actes, alors le mandataire pourra agir en rescision pour lésion ou en réduction en cas d’excès.
Quelles sont les obligations du mandataire ?
1) Le respect de sa mission
Le mandataire doit exécuter personnellement sa mission. C’est une charge personnelle, au même titre que la curatelle ou la tutelle. Cette règle est d’autant plus justifiée que le mandataire est choisi pour ses qualités personnelles, notamment dans le cadre de la protection de personne.
Pendant la durée du mandat, seul le juge des tutelles peut décharger le mandataire de ses fonctions.
2) Dresser inventaire
S’il est en charge de l’administration des biens du mandant, le mandataire doit procéder à l’inventaire des biens, sans que la loi ne précise la forme de celui-ci. Il est à noter que contrairement au tuteur, la loi est souple en matière d’inventaire et n’exige ni délai pour le réaliser ni son actualisation au cours du mandat. Il est toutefois conseillé au mandataire de dresser inventaire à l’ouverture de la mesure et de l’actualiser pour s’éviter toute déconvenue ou mise en cause de sa gestion. Si l’acte est conclu sous seing privé, la mandataire doit conserver l’inventaire et son éventuelle actualisation. C’est en revanche le notaire qui le conserve, lorsque le mandat a été conclu par la voie notariée.
3) Rendre compte de sa gestion
Lorsqu’il administre le patrimoine, le mandataire doit chaque année établir le compte de sa gestion. Ce compte est vérifié selon les modalités prévues au contrat. Le mandat désigne le tiers qui sera chargé de vérifier cette gestion. Toutefois, le greffier en chef du Tribunal d’Instance peut vérifier le compte de gestion à la demande du juge des tutelles. Ici encore, il conviendra pour le mandant de se faire bien conseiller quant au choix de son mandataire. Suivre une gestion, gérer des biens n’est pas nécessairement à la portée d’un proche, aussi prévenant et gentil soit-il. La séparation de la gestion et de la protection de la personne entre différents mandataires prend ici tout son sens.
Si le mandat est notarié, c’est le notaire qui sera chargé de vérifier la gestion du mandataire par remise de ce dernier de tous les éléments comptables.
Le mandataire est-il rémunéré ?
Le principe est que le mandataire exerce sa mission à titre gratuit et n’est donc pas rémunéré. Seuls les frais exposés par le mandataire doivent lui être intégralement remboursés selon le principe de droit commun applicable aux mandats.
Toutefois, le mandant peut parfaitement prévoir une rémunération du mandataire selon des modalités qu’il aura choisies (forfait, pourcentage des revenus générés etc.…)
Quelle responsabilité ?
Le mandataire est responsable selon les règles de droit commun et répond notamment de ses fautes de gestion.
Et qu’en est-il du juge ?
Bien que le juge ne puisse modifier le contenu du mandat, il peut cependant être saisi d’une demande par tout intéressé, y compris le mandant, portant sur les conditions d’exécution du mandat.
Il peut également faire vérifier le compte de gestion du mandataire et même révoquer le mandant s’il est prouvé que l’exécution du mandat porte manifestement atteinte aux intérêts du mandant.
Disparition du mandat - que devient le mandataire ?
L’article 483 du Code civil prévoit 4 causes de disparition du mandat de protection future :
i) Le décès du mandant ;
ii) Le rétablissement de ses facultés mentales sur justification d’un certificat médical
iii) Le placement sous une mesure de curatelle ou tutelle ; en revanche, l’ouverture d’une mesure de sauvegarde de justice ne me pas fin au mandat mais suspend simplement les effets de celui-ci pendant la durée de la mesure (limitée en principe à 1 an);
iv) La révocation du mandant par le juge des tutelles (voir paragraphe ci-dessous).
Quelque soit la forme de cessation du mandat, le mandataire devra tenir à la disposition de la personne qui assurera la continuité de la gestion (héritier, tuteur légal etc.…) l’ensemble des pièces afférentes au mandat, tels que notamment les cinq derniers comptes de gestion.
Conclusion
Le mandat de protection future est un testament de vie, encadré juridiquement, faisant peser sur le mandataire des obligations lourdes tant morales que juridiques.
C’est un acte grave par lequel on décide un jour de confier ses intérêts et de mettre sa vie entre les mains d’un tiers qui n’aura d’autre obligation que d’être à la hauteur de l’immense confiance qui lui sera donnée. Il ne peut y avoir d’engagement à la légère.
C’est un acte de précaution qui permet d’organiser ce que ce sera peut-être sa vie avant l’ultime voyage.
Même s’il est encore trop tôt pour le déterminer, souhaitons de tout cœur que l’objectif de cet acte qui est de protéger et d’éviter des situations conflictuelles notamment familiales au moment où l’on perd le contrôle de sa propre vie, se réalise.
Thierry Rouziès
mise à jour - février 2012
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