La jurisprudence récente des Cours d’Appel de PARIS et VERSAILLES ont apporté un éclairage très important sur les questions liées à la territorialité de la mesure de protection et le maintien ou non du MJPM dans un département où il ne serait pas inscrit, en cas de déménagement du majeur protégé.
Alors que les juges des tutelles se dessaisissent automatiquement des mesures dont ils ne sont plus territorialement compétents, il n’en vas pas nécessairement de même s’agissant des MJPM désignés.
Selon l’article 1211 du Code de Procédure Civile : « Le juge des tutelles territorialement compétent est celui de la résidence habituelle de la personne à protéger ou protégée ou celui du domicile du tuteur ».
La résidence ce n’est pas le domicile. La résidence est juridiquement définie comme le lieu où une personne physique demeure effectivement d’une façon stable, mais qui peut n’être pas son domicile. Est considérée comme la résidence, la maison de retraite où habite le majeur protégé même si son logement principal a été conservé dans un autre département.
Il faut y voir bien entendu une règle pragmatique liée à la proximité géographique du juge des tutelles du lieu où réside réellement la personne protégée.
Lorsqu’en revanche le majeur protégé déménage et fixe sa résidence dans un département ne relevant plus de la compétence territoriale du juge des tutelles saisi, alors celui-ci peut, en vertu de l’article 77 du Code de Procédure Civile, relever d’office son incompétence territoriale, sur simple ordonnance de dessaisissement.
Cette ordonnance a pour effet de saisir automatiquement le nouveau juge des tutelles territorialement compétent.
Jusqu’ici, il n’y a pas de difficulté particulière puisque nous sommes dans une logique juridique.
Qu’en est-il en revanche du Mandataire Judiciaire à la Protection du Majeur qui exerce la mesure où moment du dessaisissement du juge des tutelles ?
Les Mandataires judiciaires à la Protection des Majeurs, une fois agrées par le Préfet dont ils dépendent, peuvent exercer sur plusieurs départements.
Bien entendu, la proximité géographique du mandataire avec le lieu de résidence du majeur protégé est une condition importante mais pas essentielle, au même titre que le juge des tutelles compétent est celui géographiquement le plus proche de la résidence du majeur protégé.
Le dessaisissement du juge des tutelles entraîne-t-il automatiquement le dessaisissement du MJPM, si celui-ci n’est pas inscrit dans le nouveau département de résidence du majeur dont il avait la charge ?
Deux cas se présentent :
1) Le juge des tutelles se dessaisit territorialement mais maintient le MJPM désigné
Ce cas est le plus simple et le plus rapide.
Le majeur protégé habite Paris. Il déménage à Asnières. Le MJPM désigné sur la mesure est inscrit sur les départements 75 et 92. Le juge des tutelles de PARIS de dessaisit au profit du juge d’Asnières sans modification du mandataire.
En région parisienne, les mandataires judiciaires sont souvent inscrits sur plusieurs départements limitrophes. Ainsi le déménagement du majeur protégé dans un département où est inscrit le MJPM ne pose donc aucune difficulté. Le MJPM pourra poursuivre son mandat devant le nouveau tribunal géographiquement désigné. Le changement est simplement administratif sans conséquence sur l’exercice de la mesure de protection.
2) Le juge se dessaisit territorialement et dessaisit le Mandataire Judiciaire car non inscrit dans le nouveau département de résidence du majeur protégé
Si a priori, ce double dessaisissement peut apparaître de prime abord logique, il a été retoqué à plusieurs reprises par la Cour d’appel de PARIS en raison du non-respect d’une part, du principe du contradictoire, et d’autre part, de l’intérêt du majeur protégé.
Dans un arrêt du 14 février 2023, la Cour d’Appel de PARIS était saisie par une mandataire judiciaire qui contestait sa décharge d’un dossier qu’elle suivait depuis plusieurs années, au seul motif qu’elle n’était pas inscrite dans le nouveau département de résidence du majeur protégé.
La Cour d’Appel a d’abord rappelé que les décisions en matière de tutelles devaient toujours être prises dans l’intérêt supérieur du majeur protégé.
Or, le juge des tutelles qui a dessaisi la mandataire n’a procédé à aucune audition, ni de la mandataire ni de la majeure protégée, et n’a donc pu constater le lien de confiance établi depuis des années entre elles. En outre, la mandataire avait noué de bonnes relations avec la famille de la majeure protégée. Son dessaisissement a donc engendré un grand désarroi tant du côté de la majeure protégée que de sa famille.
La Cour a donc considéré que le seul motif de non inscription de la mandataire dans le nouveau département de résidence, au demeurant limitrophe de celui dans lequel elle exerçait, était irrecevable au regard de l’intérêt supérieur de la majeure protégée qui était de conserver cette relation.
La Cour d’Appel a donc mis en avant deux principes essentiels :
Le dessaisissement du mandataire, même pour des raisons objectives telles qu’une modification territoriale, ne peut intervenir sans audition de l’intéressé et du majeur protégé (quand cela est possible)
Les liens établis entre le majeure protégé et le mandataire sont déterminants pour décider ou non du maintien du mandataire dans un département où il n’est pas inscrit.
Dans un arrêt du 20 novembre 2018, la Cour d’Appel de PARIS avait également écarté l’éloignement géographique (et la non inscription du mandataire dans le département du lieu de résidence du majeur protégé) au profit du lien de confiance établi avec le majeur protégé.
Dans cette affaire, le mandataire résidait à Béziers alors que la majeure protégée habitait PARIS. La Cour a relevé que la majeure, sous curatelle, avait clairement exprimé son souhait de maintien de ce mandataire en qualité de curateur.
Certes, la proximité géographique est toujours souhaitable mais la Cour avait relevé que dans ce dossier, la majeure protégée était très autonome et voyageait régulièrement seule, ce qui ne posait donc aucune difficulté pour visiter si besoin son curateur.
L’intérêt du majeur prime toujours sur des considérations géographiques.
La Cour d’Appel de VERSAILLES partage la même position que sa rivale parisienne, à savoir que l’intérêt du majeur protégé est supérieur à toute autre considération.
Toutefois, dans un arrêt récent en date du 12 mai 2023, elle a malgré tout fait droit à un dessaisissement d’un mandataire qui soutenait son droit d’être maintenu dans un département dans lequel il n’était pas inscrit.
Dans ce dossier, le juge des tutelles s’est dessaisi territorialement et dessaisi automatiquement le mandataire en place.
Le mandataire a interjeté appel aux motifs que certes il n’était pas inscrit dans le nouveau département de résidence du majeur protégé, mais que ce département était limitrophe et que surtout il avait travaillé sur cette mesure pendant 7 années et qu’un lien de confiance était établi.
La mandataire nouvellement désignée a indiqué pour sa part qu’elle s’en remettait à la décision de la Cour mais a tenu toutefois à informer la Cour du nombre de démarches qu’elle avait entreprises depuis sa désignation notamment dans l’adaptation du nouveau lieu de vie en EPHAD de la majeure protégée et la gestion de son patrimoine en résultant.
Comme la Cour de Paris, la Cour de VERSAILLES a d’abord retenu que le principe du contradictoire n’avait pas été respecté dans ce dossier.
La Cour de VERSAILLES a rappelé que tout dessaisissement d’un mandataire impliquait une audition de l’intéressé, qui n’avait pas eu lieu en l’espèce en raison du caractère trop automatique du dessaisissement territorial.
Ensuite, la Cour a rappelé que le dessaisissement d’un mandataire doit toujours être clairement motivé.
En l’espèce, le motif tiré de l’incompétence territoriale n’est pas un motif prévu par la loi et doit donc être motivé. Ce que n’a pas fait le juge des tutelles.
La Cour de VERSAILLES reprend donc en tous points les motivations édictées par la Cour d’Appel de PARIS.
La différence toutefois est que dans ce dossier, la Cour de VERSAILLES a maintenu la nouvelle mandataire désignée dans ses fonctions.
Elle justifie cette décision, non pas aux motifs que le mandataire précédant avait démérité, mais parce que la nouvelle mandataire désigné depuis août 2022 (donc près de 9 mois avant que la Cour ne rende sa décision) avait noué une relation solide et de confiance avec la majeure protégée, sa famille et le personnel de l’EPHAD. En d’autres termes, la Cour a considéré que l’intérêt de la majeure protégée était de conserver une organisation actuelle qui convenait à tous.
C’est donc ici une solution pragmatique prise au nom de l’intérêt du majeur protégé et non en raison de la situation géographique de sa nouvelle résidence.
Il convient de préciser que le délai entre le dessaisissement du mandataire (et désignation du nouveau) et la date de la décision de la Cour d’appel a eu un impact majeur sur la décision. Devant l’excellent travail de 8 mois de la nouvelle mandataire et les résultats positifs sur la vie de la majeure protégée, la Cour a considéré que l’intérêt de la majeure protégée était de maintenir cette situation nouvelle.
Nous savons tous par expérience qu’au cours de ces mois qui s’écoulent avant que la Cour d’appel de ne rende sa décision, des changements importants (changement de résidence, aggravation de la mesure, renoncer à poursuivre la procédure) peuvent remettre en cause les raisons mêmes d’avoir interjeter appel.
En conclusion, au-delà de ces questions de territorialité, Mesdames, Messieurs les Mandataires, retenez bien le message que les juges d’appel prennent soin de rappeler :
- ne vous laissez jamais dessaisir d’un dossier de façon arbitraire, quel que soit le motif, sans avoir été préalablement auditionné par le juge des tutelles ; à défaut, faites appel de la décision. La Cour d’appel retoquera toujours le non-respect du principe du contradictoire. Surtout, faire appel, vous permettra de faire valoir vos arguments devant Cour d’Appel.
- assurez-vous que, quel que soit le motif de dessaisissement envisagé par le juge des tutelles, le majeur protégé soit auditionné (bien entendu quand son état le permet, sous curatelle notamment)