La Cour de Cassation dans son rapport 2009 publié en mars 2010 fait une large place à la jurisprudence des différentes chambres civiles en matière de tutelles.
C'est ainsi qu'elle rappelle les fondamentaux en matière d'ouverture de mesures de protection appuyé d'exemples jurisprudentiels qui permettent d'illustrer le propos.
I - La réunion impérative de deux conditions
Le placement sous tutelle ou curatelle nécessite la réunion de deux conditions :
- une altération des facultés mentales ou corporelles du majeur
- et le besoin d’être assisté ou représenté de manière continue dans les actes de la vie civile.
Or, la Cour de Cassation indique avoir censuré en 2009 beaucoup de jugements qui omettent de constater l'une ou l'autre de ces conditions
Une hospitalisation, même pour trouble du comportement, ne suffit pas à démontrer une altération des facultés mentales (1re Civ., 8 avril 2009). De même, le fait de relever que l’état de santé d’une personne n’est pas suffisamment consolidé ne peut valoir constat de l’existence d’une altération des facultés mentales (1re Civ., 13 mars 2007, pourvoi n° 06-14.489).
L'altération des facultés mentales ou corporelles doit impérativement être constatée par le médécin spécialiste désigné sur la liste du procureur de la république. Le médecin traitant peut également donner son avis et se trouve dès lors déchargé du secret médical.
S'agissant de la seconde condition à savoir le besoin d’être assisté ou représenté de manière continue dans les actes de la vie civile, elle doit également être formellement constatée par le juge.
Un jugement a été censuré par la Cour de Cassation alors que le juge avait pourtant constaté une altération des facultés corporelles et la nécessité pour le majeur d'être assisté ou représenté de manière continue.
La Cour de cassation a jugé que dans le cas où une altération corporelle est constatée, pour pouvoir ouvrir une mesure de protection, il faut en outre que cette altération empêche le majeur d'exprimer sa volonté e/ou si la communication avec l'entourage s'avère impossible ou très difficile. A titre d'exemple, il a été jugé qu'une personne atteinte d'une sclérose en plaques, bien que privée de toute autonomie, n'en demeurant pas moins capable d'exprimer sa volonté et qu'en conséquence, une mesure de protection ne pouvait être ouverte à son encontre.
L'article 425 du Code Civil issu de la réforme de 2007 a d'ailleurs transposé cette jurisprudence en prônant de façon très clair le principe de la nécessaire expression de volonté : "toute personne dans l'impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d'une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l'expression de sa volonté peut bénéficier d'une mesure de protection juridique prévue au présent chapitre".
II - La curatelle renforcée fréquemment prononcés mais rarement motivée par les juges des tutelles
La Cour de Cassation a par ailleurs constaté à de multiples reprises la mise en place de curatelles renforcées. Cette mesure, moins forte que la tutelle puisque le majeur conserve sa capacité juridique, est toutefois très contraignante et bien plus forte qu'une curatelle simple (qui impose au majeur d'être assisté uniquement pour les actes de disposition) puisque c'est le curateur qui gère les revenus et les dépenses du majeur protégé. Le majeur est donc "dépossédé" de ses moyens de paiement et de la liberté de gérer son budget.
Il appartient au juge des tutelles de prendre cette décision en application de son pouvoir souverain. La gravité de la décision nécessite alors du juge qu'il motive les raisons pour lesquelles il prive le majeur de la gestion financière de son budget et son patrimoine.
Or, la Cour de Cassation constate trop souvent que les juges n'hésitent pas à prononcer une curatelle renforcée au seul motif « qu’il était opportun de faire application de l’article 512 (nouvel article 472 issu de la réforme de 2007) du code civil ».
Les juges des tutelles doivent en effet motiver leur décision et ne plus se contenter d'une telle formule. L'exercice peut s'avérer relativement simple. Un juge qui constaterait par exemple que le montant des dettes serait disproportionné au regard des revenus pourtant confortables, motiverait ainsi sa décision de façon claire, justifiant la mise en place de cette procédure grave. (1re Civ., 27 mars 2007).
Conclusion : il convient donc d'être particulièrement vigilant à la lecture des jugements d'ouverture de mesures de protection et ne pas hésiter, comme le rappelle la Cour de Cassation, à exercer des recours contre des jugements parfois trop peu motivés, mais aux conséquences graves.
Thierry Rouziès
Avocat au Barreau de Paris
Thierry@tr-avocat.com