Le titulaire d’un droit exclusif est détenteur de droit de propriété intellectuelle qui peut se traduire soit par un droit de propriété littéraire et artistique, soit par un droit de propriété industrielle qui regroupe les trois droits majeurs que sont le droit des marques, le droit des dessins et modèles et le droit des brevets.
Cet article développera juste l’aspect du droit des marques, en l’occurrence la licence de marque et la cession de marque. Il s’agira de montrer les deux mécanismes juridiques majeurs qui permettent à un tiers de partager le droit du détenteur exclusif ou encore de le déposséder de son droit exclusif de propriété intellectuelle.
Le droit des marques est un composant de l’ensemble appelé propriété industrielle qui, elle-même est une composante du grand ensemble appelé propriété intellectuelle.
L’expression « propriété intellectuelle » désigne toutes les catégories de droits exclusifs qui sont accordés pour l’exploitation des créations intellectuelles. Elle recouvre d’un côté la propriété littéraire et artistique, de l’autre la propriété industrielle.
La propriété industrielle a plus spécifiquement pour objet la protection et la valorisation des inventions, des innovations et des créations.
Quant à la marque, elle est définie par l’article L.711-1 du Code de la Propriété Intellectuelle comme suit : « La marque de produits ou de services est un signe servant à distinguer les produits ou services d'une personne physique ou morale de ceux d'autres personnes physiques ou morales.
Ce signe doit pouvoir être représenté dans le registre national des marques de manière à permettre à toute personne de déterminer précisément et clairement l'objet de la protection conférée à son titulaire ».
Ainsi, pour bénéficier de la protection au titre des droits de propriété intellectuelle, le détenteur exclusif du droit de marque devra l’enregistrer auprès de l’office chargé de cette protection. Seul l'enregistrement confère au titulaire de la marque un droit de propriété (Cass. com., 12 juin 1956 : JCP G 1956, II, 9484). Ce qui lui permet d’écarter le tiers.
Toutefois, le titulaire d'une demande d'enregistrement simplement publiée peut, néanmoins, agir en contrefaçon contre un tiers. Le Tribunal saisi devra toutefois surseoir à statuer jusqu'à la publication de l'enregistrement. Il en va mutatis mutandis de même pour une procédure d’opposition engagée sur la base d’une demande d’enregistrement.
Il faut ajouter que l'enregistrement produit ses effets à compter de la date de dépôt de la demande pour une période de dix ans indéfiniment renouvelable (CPI, art. L. 712-1, al. 2).
En outre, il peut arriver que le titulaire des droits de marque veuille autoriser l’exploitation de sa marque en totalité pour tous les produits et services ou partiellement pour certaines classes. Dans ce cas, il devra conclure soit un contrat de licence totale ou partielle de sa marque, soit une cession totale ou partielle de celle-ci.
Ces deux mécanismes permettent en effet, de ne plus être détenteur exclusif sur son droit de propriété intellectuelle. Ils permettent de partager ce droit avec un tiers qui devient cocontractant ou de passer de détenteur exclusif à tiers par le contrat de cession totale de son droit de marque.
La licence de marque est un contrat synallagmatique par lequel le titulaire d'une marque autorise un ou plusieurs tiers (licencié(s)) à utiliser la marque (CPI, art. L. 714-1, al. 4). À la différence de la cession, la licence n'affecte pas la propriété de la marque : le donneur de licence reste, en effet, le propriétaire de la marque. La licence est soumise au régime du contrat de louage de chose (Code civil, article 1709 et s.).
Quant à la cession de marque c’est un accord de volontés entre deux ou plusieurs personnes consistant et matérialisé en un contrat synallagmatique à titre onéreux par lequel le(s) titulaire(s) d'une marque transfère(nt) tout ou partie de ses (leurs) droits sur ladite marque à un (des) tiers en contrepartie de et pour un prix convenu entre les parties (CPI, art. L. 714-1. Et Code civil, article 1001, 1102, 1106 et 1107, 1135 et 1169). La cession est dite partielle lorsqu’elle porte sur une partie des produits et/ou services pour lesquels la marque est protégée.
La cession s'apparente à une vente (C. civ., art 1582 s.).
I) Le contrat de licence de marque
A) Conditions et modalités de la licence
La licence ne doit pas, pour être valable, être constatée par écrit. L'écrit est néanmoins vivement conseillé, tant comme moyen de preuve des droits et obligations respectifs des parties que pour rendre le contrat opposable aux tiers.
Les parties au contrat peuvent être des personnes physiques ou morales identifiées dans le contrat.
La licence peut porter sur une demande d'enregistrement ou sur un enregistrement de marque. La (ou les) marque(s) objet de la licence doit (doivent) être précisément identifiée(s) dans le contrat. En l'absence de contenu, le contrat est nul (V. pour une marque non déposée : Cass. com., 3 mars 1987, n° 85-15.248). Il en va pareillement ainsi lorsque la marque concédée en licence est annulée (Cass. 1re civ., 1er juin 1999, n° 97-12.853). La décision d'annulation du contrat a un effet absolu et rétroactif.
Si la marque est annulée, il pourra être ordonné la restitution au profit du licencié des redevances de licence versées par lui. La restitution de l'intégralité des sommes n'est toutefois pas obligatoire lorsque le licencié a pu jouir paisiblement de la marque pendant un certain temps et qu'il a tiré les avantages escomptés de la convention.
La marque peut faire l'objet d'une licence, exclusive ou non, pour tous les produits et services couverts par elle ou pour une partie seulement. Lorsqu'il concède une licence exclusive, le donneur de licence s'interdit de consentir une autre licence portant sur la même marque, pour les mêmes produits ou services, à un tiers. Le caractère exclusif de la licence est opposable au donneur de licence sauf clause contraire figurant dans le contrat (Cass. com., 10 janv. 1995, n° 92-18.923).
La licence peut être concédée pour la totalité du territoire national ou pour une partie seulement.
Selon les termes du contrat, le licencié peut être autorisé à reproduire la marque, à l'apposer sur les produits qu'il fabrique, à l'utiliser en commercialisant les produits fabriqués par lui-même ou par des tiers, à l'utiliser en proposant ses services au public.
Les parties doivent s'entendre de manière aussi précise que possible sur chacun de ces points dans le contrat.
Les parties déterminent dans le contrat la date d'entrée en vigueur de la licence ainsi que sa durée. Elles peuvent, le cas échéant, convenir d'une clause de reconduction tacite.
Le licencié exclusif ou non exclusif peut avec le consentement du titulaire et sauf stipulation contraire du contrat, agir en contrefaçon (au civil) à l'encontre de tiers. La licence exclusive doit être inscrite dans le registre antérieurement à l'assignation pour être opposable aux tiers (CPI, art. L. 716-4-2).
Le licencié exclusif ou non peut, en tout état de cause, intervenir à l'action en contrefaçon qui aurait été engagée par le donneur de licence pour obtenir réparation de son propre préjudice. Il peut intervenir à une telle action, que la licence ait été inscrite ou non dans le registre national des marques (CPI, art. L. 714-7, al. 3).
La licence constitue un contrat à caractère personnel. Elle ne peut être transférée à un tiers qu'avec le consentement express, écrit et préalable du donneur de licence.
Le licencié peut être autorisé par le donneur de licence, à concéder des sous-licences à des tiers. Seule une mention expresse dans le contrat permet au licencié de concéder des sous licences. Les conditions et modalités d'octroi de sous licence sont définies dans le contrat de licence.
Le prix de la licence est fixé par les parties au contrat. Il doit être déterminé ou déterminable. À défaut, le contrat est nul.
Les parties au contrat définissent le droit applicable en cas de litige ainsi que la juridiction compétente.
B) Les effets du contrat de licence de marque
Le donneur de licence conserve la propriété de la marque. Le licencié est autorisé à exploiter la marque. À compter de l'inscription de la licence dans le registre national des marques, le licencié peut opposer ses droits aux tiers. Les parties peuvent, en outre, convenir que le licencié (exclusif) sera investi, dans certaines circonstances, du droit de poursuivre les faits de contrefaçon.
Le concédant est tenu de délivrer la chose au licencié et d'entretenir cette chose (Code civil, article1719). Il doit également garantir la jouissance paisible du licencié. À ce titre, il est tenu d'assurer au licencié une garantie d'éviction (Code civil, article1719). Il doit notamment maintenir la marque en vigueur pendant la durée de la licence - CA Aix-en-Provence, 1er mars 2016, n° 15/00063). La garantie d'éviction du fait personnel est due au licencié, en toute hypothèse (garantie d'ordre public).
La garantie d'éviction du fait des tiers est due par le cédant (troubles juridiques : contrefaçon de la marque par des tiers, action en contrefaçon, action en revendication de propriété engagées par des tiers : Cass. com., 5 oct. 1993, n° 90-19.068).
Le donneur de licence doit garantir les vices cachés sauf clause contraire contenue dans le contrat (Code civil, article1721).
Le licencié est tenu de verser au donneur de licence le prix convenu entre les parties (Code civil, article1728). Le contrat peut prévoir une obligation d'exploitation de la marque par le licencié, notamment lorsque la licence est exclusive ou que le prix consiste en une redevance d'exploitation. Les conditions dans lesquelles la marque sera utilisée par le licencié peuvent également être déterminées dans le contrat (charte graphique, qualité et quantité des produits, contrôle par le donneur de licence…).
Les droits attachés à la marque peuvent être invoqués par le titulaire de la marque à l'encontre du licencié qui enfreint certaines limites de la licence (durée, forme sous laquelle la marque peut être exploitée, nature et qualité des produits et services, territoire : CPI, art. L. 714-1, al. 3).
Il est de l'intérêt du donneur de licence que la marque soit exploitée sous la forme exacte sous laquelle elle est protégée.
Les parties peuvent définir dans le contrat les hypothèses et modalités de résiliation du contrat. La résiliation peut être prévue en cas d'inexécution des obligations des parties ou de manquement, de disparition du licencié (TGI Paris, 3e ch., 1re sect., 30 mars 2017, n° 16/01481).
II) La cession de marque
A) Forme, conditions et modalités de la cession
La cession doit, pour être valable, être constatée par écrit (CPI, art. L. 714-1, al. 6 et Cass. com., 20 déc. 1988, n° 87-13.118).
Les parties au contrat peuvent être des personnes physiques ou morales identifiées dans le contrat. Aucune qualité n'est requise quant à l'activité des parties. Il est suffisant qu'elles puissent contracter (Code civil, article 1594).
La cession peut porter sur une demande d'enregistrement ou sur un enregistrement de marque. La (ou les) marque(s) cédée(s) doit (doivent) être précisément identifiée(s) dans le contrat.
La cession est nulle lorsqu'elle est dépourvue de « contenu » (Code civil, article 1128, 1184, 1601). Il en va notamment ainsi d'un contrat portant sur une marque non déposée, si la marque est ultérieurement rejetée ou en cas d'annulation de la marque, laquelle emporte celle du contrat sauf si les parties avaient prévu que la cession se faisait aux risques et périls du cessionnaire. Il en va pareillement de la cession d’une marque dont la déchéance partielle avait été prononcée à une date antérieure à celle de la cession.
Les parties ont la possibilité, si le contrat ne satisfait pas aux conditions de validité, de prononcer elles-mêmes l’annulation du contrat (en lieu et place du juge : Code civil, article 1178).
Les effets de l'annulation du contrat sont absolus et rétroactifs (Cass. 3e civ., 2 oct. 2002, n° 01-02.924).
Si la marque est annulée, le prix de la cession sera restitué au cessionnaire. La partie de bonne foi au contrat peut demander la condamnation de l'autre partie, lorsqu'elle est fautive, à réparer le préjudice qu'elle a subi (Cass. ch. mixte, 9 juill. 2004, n° 02-16.302).
La marque peut faire l'objet d'une cession, pour tous les produits et services couverts par elle ou pour une partie seulement – « cession partielle ». Les droits sont cédés pour la totalité du territoire national (CPI, art. L. 714-1, al. 1).
Le prix de la cession est fixé par les parties au contrat. Il doit être déterminé ou déterminable (Code civil, article1591). En outre, le prix doit être réel et sérieux (par opposition au vil prix : CA Paris, Pôle 5, ch. 1, 22 janv. 2019, n° 17/11458) sauf si la preuve de l'intention libérale du cédant peut être rapportée, auquel cas la cession pourra être requalifiée en donation déguisée ou indirecte.
Les parties au contrat définissent le droit applicable en cas de litige ainsi que la juridiction compétente.
B) Les effets de la cession de marque
Le cessionnaire se trouve, par l'effet de la cession, subrogé dans les droits du cédant dans l'état dans lequel ils se trouvent à la date de la cession. À ce titre, il peut du fait de la cession exploiter la marque et autoriser des tiers à en faire usage.
À compter de l'inscription de la cession dans le registre national des marques, le cessionnaire peut opposer ses droits aux tiers qui y porteraient atteinte. Les parties peuvent, en outre, convenir que le cessionnaire sera investi du droit de poursuivre les faits de contrefaçon antérieurs à la cession, pour autant qu'ils ne soient pas prescrits – une fois la cession rendue opposable aux tiers.
Le cédant est tenu de transférer la propriété de la marque au cessionnaire (Code civil, article 1603, art. 1604). Cette obligation consiste en la remise matérielle du titre au nouveau propriétaire et en l'usage de la marque que l'acquéreur en fait du consentement du cédant (Code civil, article1607).
Il doit également garantir la possession paisible du cessionnaire. À ce titre, il est tenu d'assurer au cessionnaire une garantie d'éviction (Code civil, article1625 et 1626). La garantie d'éviction du fait personnel est due au cessionnaire, en toute hypothèse (il s'agit d'une garantie d'ordre public : Code civil, article1628).
Ainsi, le cédant ne peut poursuivre l'exploitation de la marque, la (re)déposer ou en contester la validité (Cass. com., 31 janv. 2006, n° 05-10.116). La garantie d'éviction du fait des tiers (action en contrefaçon, action en revendication de propriété de tiers) est due au cessionnaire par le cédant (Cass. com., 8 oct. 2002, n° 00-16.361). Elle peut être aménagée voire supprimée par l'accord des parties (Code civil, article1627).
Le cédant doit garantir les vices cachés, sauf clause contraire contenue dans le contrat (Code civil, article1130 à 1139, 1625 et 1641).
Les parties peuvent convenir que la cession est consentie sans autre garantie que celles de l'existence matérielle de la marque et du fait personnel du cédant.
Le cessionnaire est tenu de verser au cédant le prix convenu entre les parties, selon les modalités déterminées dans le contrat (Code civil, article1650). En sa qualité de nouveau propriétaire, il supporte depuis la date de cession les obligations (non contractuelles) de maintien en vigueur et d'exploitation de la marque.
En définitive, comme nous l’avons vu plus haut, les deux mécanismes d’exploitation de la marque sont bien distincts. Si pour la concession de marque le titulaire du droit exclusif demeure toujours propriétaire de son bien et par là-même peut engager toutes les actions nécessaires à la protection de son droit de propriété intellectuelle, tel n’est pas le cas du titulaire du droit exclusif qui cède de manière totale sa marque au tiers. Il se verra ainsi subrogé dans tous ses droits de propriété intellectuelle.
Toutefois, la cession peut être partielle et donc limitée dans une ou plusieurs autres classes de la classification de Nice. Dans ce cas, le titulaire de la marque sera toujours titulaire de son droit exclusif mais uniquement pour les classes qui n’ont pas été cédées dans le contrat.
Tout dépendra donc du projet du client que vous aurez en face de vous. Il lui reviendra après les différentes explications des deux mécanismes d’opérer son choix afin de conclure le contrat qui le sied.
Cette exploitation de la marque a fait l’objet de vives discussions entre les élus de la ville de Vendôme dont le Maire vient de conclure un contrat de cession partielle de la classe 14 de la marque « Vendôme » au géant du luxe LVMH.
III) Acquisition de la marque « Vendôme » par le groupe LVMH
La ville de Vendôme vient d’autoriser LVMH à utiliser son nom moyennant 10.000 euros. En effet le 4 Février 2021, la ville de Vendôme a accepté de céder l’exploitation de la marque « Vendôme » au géant LVMH pour les articles de joaillerie et de bijouterie. En échange, la ville récupère 10.000 euros et la promesse de nouveaux emplois en son sein.
Toutefois, les autorités expliquent que la ville n’a pas fait de cession totale du nom « Vendôme » mais seulement une cession partielle en ce qui concerne la classe 14 (classification de Nice – INPI) et qui permet simplement à la société l’utilisation du nom « Vendôme » pour toute création de collection ou de produits liés à la joaillerie de luxe.
Toujours selon les autorités, cela n’empêchera pas la ville d’utiliser le nom « Vendôme » comme elle l’entend.
Pour certains élus, la ville aurait dû négocier une concession de licence avec le géant LVMH pour rester maître de son nom.
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