L’action de groupe, outil juridique très attendu avant sa consécration, ne semble pourtant pas faire que des heureux. Pire, elle déçoit au plus haut point les professionnels du droit, comme les justiciables.
Annoncée comme une arme redoutable confiée par le législateur aux mains des consommateurs, susceptible de leur rapporter des milliards d’euros, l’action de groupe promettait de faire trembler les professionnels du commerce, de la banque, du crédit et, plus généralement, de l’entreprenariat, de par son caractère particulièrement dissuasif.
Il faut dire qu’elle avait de qui tenir, sa grande sœur américaine, la « class action », s’étant avérée, dans le passé, d’une efficacité sans appel, ayant fait plier des géants de l’industrie. Parmi eux, nous pouvons citer en premier lieu la Pacific Gas and Electric Company, dont la condamnation à 333 millions de dollars a donné lieu à un film oscarisé. Citons encore Ferrero, qui pour son pot de Nutella trop calorique, a été condamné à dédommager les consommateurs américains à hauteur de 3,05 millions de dollars. Ou encore Vivendi Universal, qui pour avoir masqué ses difficultés financières, a écopé d’une condamnation dont le montant est estimé à plusieurs milliards d’euros.
Loin de ces chiffres, l’action de groupe du droit français peine non seulement à fédérer, mais aussi à rapporter. Ainsi, en 4 ans, seules 12 actions de groupe ont été intentées dans le secteur de la consommation, dont plusieurs ont échoué. Quant aux secteurs de l’environnement et de la santé, où les actions de groupe ont également été admises[2], seule une poignée de procédures ont été intentées.
Un échec présagé
Cet échec n’est pourtant pas une surprise. Aux Etats-Unis, les avocats ont la capacité de fédérer les consommateurs autour de causes communes, ce qui n’est pas sans susciter certaines interrogations d’ordre déontologique. En France, toutefois, les associations de consommateurs agréées sont seules habilitées à introduire les actions de groupe auprès des tribunaux français. Au nombre de 15, ces associations ont donc toute latitude pour décider qu’une action de groupe vaut ou non la peine d’être intentée. Or, outre l’amélioration de leur image de marque en cas de victoire déterminante pour les consommateurs, ces associations n’ont que peu d’intérêt à intenter une procédure extrêmement lourde et coûteuse, n’ayant pas la possibilité d’être elles-mêmes indemnisées au-delà des frais engagés. Pire, le juge n’a, au terme de la procédure, aucune obligation de faire supporter à la partie succombant la totalité des frais engagés.
Quant aux consommateurs, les sommes escomptées au terme d’une procédure particulièrement longue et contraignante ne comblent en rien l’entièreté du préjudice potentiellement subi. La loi ne leur permet en effet d’obtenir, à l’issue de l’action de groupe, qu’une indemnisation de leur préjudice économique, à l’exclusion de tout autre poste de préjudice – notamment moral.
Une procédure dissuasive
Ainsi, une association de consommateurs doit accepter de se lancer dans une procédure bien plus lourde et onéreuse qu’une procédure classique, sans garantie de pouvoir récupérer toutes les sommes investies en cas de victoire, si tant est qu’il y ait victoire, et sans savoir combien de consommateurs se joindront à son action collective.
Le consommateur, quant à lui, doit avant tout suivre de façon suffisamment assidue l’actualité des associations de consommateurs afin de rester informé de toutes les actions de groupe qui seront susceptibles d’être intentées et de l’intéresser. Une fois qu’il aura identifié une action de groupe susceptible de l’intéresser, il sera confronté à un choix crucial. Y souscrire reviendra à accepter de n’obtenir réparation que de son préjudice économique, ce qui ne sera pour lui qu’une maigre consolation. D’autant plus qu’il sera loisible à l’association de consommateurs de ne pas attendre que soit rendu le jugement définitif et d’accepter les propositions amiables formulées par la partie adverse qui, elle, cherchera à minimiser le plus possible l’impact financier et médiatique de la procédure.
Il pourra également choisir d’intenter une action individuelle classique et affronter seul son adversaire juridique, sans l’aide de l’association de consommateurs, pour espérer obtenir réparation intégrale de son préjudice. Ce choix pourra se faire en lieu et place de son adhésion à l’action de groupe, auquel cas il demandera alors réparation de tous ses préjudices personnels. Il pourra aussi ce faire à l’issue de l’action de groupe, en cas de condamnation de la partie adverse. Dans cette seconde hypothèse, il agira alors pour obtenir un complément d’indemnisation, dans le cadre d’une nouvelle procédure. En revanche, au titre de son préjudice économique, il ne pourra rien obtenir de plus que ce qu’il a déjà obtenu dans le cadre de l’action de groupe.
Digne d’un parcours du combattant avec, à la clé, une récompense plus que symbolique pour le consommateur, l’action de groupe du droit français cherchera donc encore son public durant quelques années, jusqu’à ce que le législateur se décide peut-être à la rendre plus attractive qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Karim Jakouloff
Docteur en droit
Sources :
[1] JORF n° 0065 du 18 mars 2014, p. 5400 ; C. Aubert de Vincelles et N. Sauphanor-Brouillaud, Loi du 17 mars 2014 : nouvelles mesures protectrices du consommateur, D. 2014, p. 879 ; D. Ferrier et A.-C. Martin, Loi relative à la consommation en faveur des consommateurs… et de certains professionnels. A propos de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014, JCP 2014, AR 376 ; J. Julien, JULIEN, Présentation de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, Contrats, conc. Consom. 2014, dossier n° 2 : S. Piedelièvre, La loi du 17 mars 2014 relative à la consommation, JCP E 2014, p. 1176 ; G. Raymond, loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation. Inventaire des mesures relatives au droit de la consommation, JCP E 2014, actu. p. 213.
[2] En matière de santé, par la Loi de modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016, n° 2016-41, JORF n° 0022 du 27 janvier 2016 et, en matière environnementale, par la Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, JORF du 19 novembre 2016 et son décret d’application n° 2017-888 du 6 mai 2017.
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