Cette reconnaissance d’une nouvelle forme de faute propre aux paris sportifs pose question quant à la façon dont elle produira ses effets.
La faute sportive stricto sensu :
Traditionnellement, la faute en matière civile s’apprécie eu égard au comportement qu’aurait eu, dans la situation que le juge est amené à trancher, le bon père de famille. Celui-ci doit notamment faire preuve de prudence et de diligence dans les actes de la vie courante qu’il accomplit, et veiller à préserver les intérêts des tiers qu’il est amené à rencontrer.
En matière sportive, toutefois, cette approche de la responsabilité civile doit nécessairement être assouplie. Pour ce faire, les tribunaux recourent à la théorie dite de l’acceptation des risques. Elle consiste à dire que les participants à un sport engageront moins aisément leur responsabilité civile en cas de coups ou blessures portés à leurs adversaires, ceux-ci étant réputés avoir accepté les risques inhérents à la pratique de leur sport. Ainsi, il sera normal de ne pas sanctionner un sportif pratiquant les arts martiaux pour les coups volontairement portés à son adversaire, ou encore un rugbyman pour avoir volontairement fait tomber son adversaire durant un match, dans le cadre d’un plaquage.
Cette théorie a toutefois ses limites, et il est des hypothèses dans lesquelles le sportif pourra engager sa responsabilité civile, quand bien même son comportement se serait manifesté dans le cadre de la pratique de son sport. En la matière, le critère le plus pertinent pour apprécier l’engagement de la responsabilité civile du sportif sera celui de la violation des règles du jeu. Celle-ci n’est toutefois pas suffisante en soi, puisque la faute commise dans la pratique du sport devra être caractérisée par sa gravité, donc par l’imprudence ou la maladresse excessive dont aura fait preuve le sportif. Autrement dit, s’il est vrai que les sportifs participant à une activité commune acceptent les risques liés à leur activité, leur acceptation ne porte que sur les risques prévisibles. Dès lors, tout risque exceptionnel résultant d’un comportement imprévisible de l’adversaire eu égard au déroulement normal du jeu, sera indemnisable.
Ainsi, le joueur commettant une faute sportive que la règle du jeu avait anticipé ne devrait normalement pas encourir le risque de voir sa responsabilité civile engagée vis-à-vis des tiers. Une récente évolution jurisprudentielle introduit pourtant un tempérament majeur à ce principe.
Une extension de la faute sportive en matière de paris
Un arrêt de la Cour de cassation du 14 juin 2018[1] a récemment élargi de façon notable le spectre des fautes sportives susceptibles d’engager la responsabilité civile d’un joueur.
Un parieur sportif agissait en responsabilité civile à l’encontre d’un joueur de football qui s’était rendu coupable d’une faute de hors-jeu durant un match. La faute, qui n’avait pas été sanctionnée par l’arbitre, avait abouti à la validation d’un but ayant faussé le score du match. Le parieur, qui avait avec justesse prédit les scores de neuf matchs précédents, avait donc perdu sur ce dixième match un pari qu’il aurait dû gagner si la faute de hors-jeu n’avait pas eu lieu. Imputant donc directement à l’auteur de cette faute la perte de son dixième pari et donc, d’un très gros gain, il entendait obtenir réparation.
Dans cet arrêt, la Cour de cassation énonce qu’« un fait ayant pour objet de porter sciemment atteinte à l'aléa inhérent au pari sportif est de nature à engager la responsabilité d'un joueur et, le cas échéant, de son club, à l'égard d'un parieur ». Ainsi, si la Cour de cassation rejette ici l’indemnisation du parieur déçu, elle ne ferme toutefois pas totalement la porte à une telle action en justice, la rendant envisageable dès lors qu’il serait établi que le joueur ayant commis la faute aurait agi délibérément, en vue de fausser un pari sportif.
Cette règle nouvelle, qui renvoie à la notion de paris truqués, paraît délicate à mettre en œuvre. Comment, en effet, prouver qu’un joueur avait délibérément l’intention de truquer un pari, au moment où il a commis une faute de jeu ? En effet, de telles fautes sont monnaie courante dans le cadre de la pratique sportive, et rien ne permet de déterminer avec certitude, dans le comportement d’un joueur, que sa volonté soit orientée vers la recherche d’un tel résultat, au moment où il commet une faute. Cette remarque est d’ailleurs tout autant justifiée dans l’hypothèse où la commission de la faute avantagerait un parieur qui lui serait proche.
Par sa jurisprudence, la Cour de cassation impose donc aux parieurs de mener une véritable enquête en vue de rapporter un ensemble de preuve complexes à la charge du joueur en cause.
L’on peut par ailleurs s’interroger sur les conséquences de cette jurisprudence du point de vue de la responsabilité civile d’un joueur. Si une faute classique commise dans le cadre d’un jeu est susceptible, dans certaines circonstances spécifiques, de nuire à des parieurs sportifs, ne peut-on pas envisager qu’une telle faute puisse pareillement nuire aux joueurs de l’équipe adverse ? Le parieur sportif sera recevable à agir en justice si l’atteinte à l’aléa des paris est délibérée de la part du joueur ayant commis la faute. Il aura alors un intérêt certain et direct à agir, ayant subi un préjudice personnel résultant de la perte du pari.
Mais les joueurs adverses ainsi que leur club devraient, en toute logique, pouvoir eux aussi se prévaloir des conséquences préjudiciables de la faute survenue dans le cadre du déroulement normal de la partie. Ayant perdu le match et devant en subir toutes les conséquences en termes de récompenses et de notoriété, leur préjudice est certain. Reste à savoir si la Cour de cassation acceptera que les troisièmes mi-temps se jouent devant les tribunaux.
Karim Jakouloff
Docteur en droit
Source :
[1] Civ. 2ème, 14 juin 2018, n° 17-20.046, D. 2018, p. 1784, note J.-S. Borghetti ; ibid p. 2048, chron. O. Becuwe et N. Palle ; RTD Civ. 2018, p. 908, obs. P. Jourdain ; AJ Contrat 2018, p. 399, obs. B. Néraudau ; RCA 2018, Comm. 224 et Focus 18, par L. Bloch ; Gaz. Pal. 25 sept. 2018, p. 29, obs. J. Traullé