Lorsque deux véhicules entrent en collision, des dispositions spécifiques de la loi du 5 juillet 1985 tendent à être mises en œuvre afin de déterminer le régime de responsabilité applicable. Une fois caractérisé l’accident de la circulation à proprement parler, sera donc à rechercher la faute du conducteur responsable, qui sera tenu de réparer les préjudices de la victime dès lors que sa responsabilité est retenue.
Le législateur a toutefois souhaité fixer des règles permettant aux conducteurs responsables de l’accident de s’exonérer de leur responsabilité et, dès lors, d’être dispensés de la réparation des préjudices corporels de la victime. A l’analyse, ces règles apparaissent clairement orientées vers la poursuite d’un objectif de prévention des accidents de la circulation.
La qualification de la faute de la victime conducteur
L’hypothèse est celle d’un accident de la circulation impliquant deux VTM et causant, à au moins l’un d’eux, un dommage corporel, dont elle demande désormais réparation. L’article 4 de la loi dispose alors que toute faute de la victime conducteur est de nature à limiter, voire à exclure totalement, la responsabilité du conducteur auteur de l’accident de la circulation.
La faute de la victime constituera donc une cause d’exonération partielle ou totale de responsabilité lorsqu’elle est en relation de causalité avec le dommage. Ce critère de l’exigence d’une faute en relation avec le dommage est déterminant, car il est à distinguer de l’hypothèse d’une faute en relation avec l’accident. Le législateur va en effet rechercher si la victime a pu, par sa faute, aggraver son dommage, peu important que celle-ci ne soit pas la cause exclusive de l’accident.
Du point de vue de la prévention des accidents de la circulation, cette distinction apparaît fondamentale, d’autant que la Cour de cassation fait une appréciation particulièrement large du lien de causalité entre la faute de la victime et son dommage.
L’appréciation du lien de causalité entre la faute et le dommage survenu
Pour la Cour de cassation, il n’est pas nécessaire de rechercher si la faute de la victime a été la cause exclusive de l’accident[2]. Ainsi, certaines fautes commises par la victime, tel que le franchissement à grande vitesse d’un feu rouge protégeant un carrefour, sont de nature à exonérer totalement le conducteur auteur de l’accident de la circulation[3]. Leur appréciation nécessite de « [faire] abstraction du comportement de l’autre conducteur »[4].
Certaines décisions s’inscrivent parfaitement dans la logique d’un tel raisonnement. Ainsi, contribue à son dommage et doit se voir privé de tout droit à indemnisation la victime d’un accident de trottinette thermique qui s’est abstenu de porter les équipements de protection individuelle préconisés[5]. La décision est aisée à comprendre, puisqu’il est possible d’affirmer que le port de tels éléments de protection aurait assurément permis de limiter considérablement le dommage corporel dont la victime entend se prévaloir.
Toutefois, la conduite sous l’empire d’un état alcoolique assortie de la réalisation de manœuvres dangereuses constitue également des fautes de la victime causes d’exonération du conducteur auteur du dommage, « sans qu'il y ait lieu de rechercher si elles en avaient été la cause exclusive »[6]. Autrement dit, un comportement grave tel que la conduite en état d’ébriété est de nature à exclure le droit à réparation des préjudices corporels du conducteur victime, quand bien même l’ébriété ne serait pas la cause de l’accident. Ainsi, l’autre conducteur aura beau avoir lui-même commis une faute dont résultera l’accident, il se verra tout de même exonéré en totalité ou en partie de sa responsabilité, dès lors que l’alcoolisme sera toujours considéré comme étant l’une des causes du dommage, au même titre que la conduite sous l’emprise de drogues, ou sans permis.
Par ailleurs, l’article 6 de la loi de 1985 prévoit que les limitations ou exclusions d’indemnisation des préjudices corporels, opposables à la victime directe, le sont également aux victimes par ricochet. Ainsi, les familles des victimes, directement impactées par le décès ou le handicap d’un proche, et qui pourraient prétendre à réparation de la part du conducteur dont la faute aura contribué à l’accident, n’obtiendront qu’une indemnisation limitée de leur préjudice moral, dès lors que le comportement de la victime au moment de l’accident aura contribué à la survenance de son dommage. La victime directe, de par son comportement, sera donc susceptible de priver ses proches d’une indemnisation totale, voire de tout droit à indemnisation, lorsque son décès ou son handicap résultera d’une conduite à risque.
Ces règles, qui ne valent plus dès lors qu’il s’agit d’obtenir la réparation des préjudices matériels, sont d’autant plus importantes que selon une étude de l’Association française des sociétés d’autoroutes parue en juillet 2019, l’alcool, la drogue et les médicaments étaient la cause de près d’un quart des accidents mortels en 2018.
Karim Jakouloff
Docteur en Droit
Sources :
[1] Civ. 2ème, 10 juin 2004, n° 03-13.345, Bull. civ. II, n° 277 ; RCA 2004, comm. 257, obs. H. Groutel.
[2] Civ. 2ème, 10 juin 2004, préc.
[3] Civ. 2ème, 22 novembre 2012, n° 11-25.489, Bull. civ. II, n° 190.
[4] Civ. 2ème, 17 mars 2011, n° 10-14.938, Inédit.
[5] Civ. 2ème, 7 avril 2011, n° 10-17.096, Inédit.
[6] Civ. 2ème, 7 avril 2011, n° 10-17.096, Inédit.
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