Notre hypothèse de départ évoque une situation s’étant déjà présentée sur les réseaux sociaux : une personne disposant d'une réserve d'argent suffisante souhaite la mettre à profit en prêtant à des particuliers ou des professionnels, moyennant des intérêts à un taux imbattable. Le prêteur se voit ainsi garantir un rendement financier supérieur à celui des placements bancaires actuels. Quant à l'emprunteur, il y trouve également son compte à travers la garantie d'obtenir un prêt facilement, y compris dans l'hypothèse où les banques le lui auraient déjà refusé. Cette opération, quoique tentante, est-elle légale ?
Une atteinte au monopole des établissements de crédit
Les prêteurs proposant ce genre de services opèrent peut-être une confusion dans la lecture qu'ils font de la loi qui, bien qu'ayant été assouplie récemment, ne sanctionne pas moins fermement ce genre de pratique.
Le droit bancaire français reconnaît en effet à l'article L. 511-5 du Code monétaire et financier un monopole des opérations de banque aux établissements de crédit, dont la définition est posée à l'article L. 511-1 du Code monétaire et financier. Ceux-ci sont ainsi définis comme des personnes morales qui effectuent de manière répétée des opérations de banque. Cette définition, assez riche, mérite que l'on s'y arrête.
En premier lieu, elle impose en effet que les établissements de crédit protégés par le monopole bancaire soient nécessairement des personnes morales, donc des sociétés, condition qui n'est manifestement pas remplie par le particulier proposant ses services sur internet.
En second lieu, elle réserve la qualification aux établissements effectuant les opérations de banque de manière répétée. C'est là un point important de la définition, puisqu'elle implique, par exemple, qu'une entreprise qui prêterait ponctuellement de l'argent à son dirigeant, ou qu'un individu ne s'adonnant qu'à une unique opération de banque, ne sombrera pas dans l'illégalité.
En dernier lieu, le monopole bancaire réservé aux établissements de crédit concerne les opérations de banque. Reste encore à savoir ce que recouvre cette notion.
L'article L. 511-5 du Code monétaire et financier le fait négativement, réservant notamment aux établissements de crédit, pour ce qui nous concerne, le monopole des opérations de banque réalisées à titre habituel. Or, parmi elles, figurent notamment les opérations de crédit.
Ainsi, qu'un particulier décide de prêter une fois de temps en temps un peu d'argent à un proche pour l'aider à financer un achat ne pose guère de problème. En effet, si l'habitude, qui caractérise la violation du monopole bancaire, est constatable dès le second prêt, la jurisprudence considère qu'elle n'est pas caractérisée dès lors que les deux prêts sont consentis à une même personne.
En revanche, qu'un particulier propose à qui le veut – éventuellement par l'intermédiaire d'un tiers – ses services sur internet, rentre définitivement dans le champ d'une violation du monopole bancaire. Reste alors à connaître la sanction, tant pour le particulier à l'initiative de l'offre que pour l'individu prenant l'initiative de relayer son annonce en public.
Un prêt entre particuliers strictement encadré
S'il existe un monopole bancaire réservé aux établissements de crédit, c'est pour s'assurer que les opérations de banque soient réalisées par des sociétés présentant toutes les garanties requises pour garantir la bonne exécution du service qu'elles proposent. Ainsi, afin de réaliser lesdites opérations bancaires, l'établissement de crédit doit être nécessairement et préalablement agréé par l'autorité de contrôle prudentiel, qui a pour rôle de s'assurer qu'il présente bien tous les gages de sécurité nécessaires à l'activité.
La violation du monopole bancaire est donc sanctionnée pénalement par l'article L. 571-3 du Code monétaire et financier, qui prévoit, pour le prêteur s'adonnant à l'exercice illégal de la profession de banquier, une peine de trois ans d'emprisonnement et une amende pouvant aller jusqu'à 375 000 euros. Notons que dans pareille circonstance, tout individu qui s'entremettrait en vue de rapprocher prêteur et emprunteur – un tiers relayant le message du prêteur sur les réseaux sociaux – encourt la même peine en sa qualité de complice de l'infraction.
Dès lors, est-il réellement impossible de prêter son argent à des tiers lorsque l'on n'a pas le statut d'établissement de crédit ? Depuis 2014, la loi n'est plus si tranchée que cela. Une ordonnance du 30 mai 2014 a ainsi consacré dans notre droit bancaire le mécanisme du financement participatif, autrement appelé crowdfunding. Le financement participatif peut ainsi se définir comme le fait de financer un projet spécifique, la particularité étant qu'il ne nécessite pas le recours à un établissement de crédit détenteur du monopole bancaire.
Depuis le 1er octobre 2014, cette activité, auparavant prohibée, fait l'objet d'une exemption à l'article L. 511-6 du Code monétaire et financier, en vertu duquel « l'interdiction relative aux opérations de crédit ne s'applique pas (…) aux personnes physiques qui, agissant à des fins non professionnelles ou commerciales, consentent des prêts dans le cadre du financement participatif de projets déterminés, conformément aux dispositions de l'article L. 548-1 et dans la limite d'un prêt par projet (...) ».
De là provient peut-être la confusion aujourd'hui opérée par bon nombre de particuliers souhaitant prêter leur argent à des tiers. Un tel prêt est admissible à condition de le faire par le biais d'un intermédiaire en financement participatif, entité dotée de la personnalité morale ayant pour mission de rapprocher porteurs de projets et prêteurs ou donateurs. Il doit par ailleurs être consenti à des fins non professionnelles ou commerciales. Autrement dit, il doit demeurer très occasionnel et est plafonné par l'article D. 548-1 du Code monétaire et financier à 2000 euros par projet pour un prêt à titre onéreux et 5000 euros par projet pour un prêt à titre gratuit.
Il est dès lors fortement déconseillé de proposer de tels services en dehors de ce cadre légal, l'infraction d'exercice illégal de la profession de banquier étant toujours d'actualité.
Karim Jakouloff
Docteur en droit
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