Actuellement débattu à l’Assemblée Nationale, le Projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice est fortement contesté.
De nombreux Barreaux de France sont mobilisés contre ce projet afin de protéger les droits des justiciables et leur accès à une justice de proximité.
Le projet de loi justice prévoit d'expérimenter l'attribution d'une nouvelle compétence à des caisses d'allocations familiales (CAF) : la réévaluation du niveau des pensions alimentaires.
- Un transfert de compétence du Juge vers le directeur de la CAF
L’article 6 du Projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice prévoit :
"Dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution et afin de permettre l’obtention d’un titre exécutoire relatif à la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants dans des délais brefs, selon une procédure simplifiée et plus efficace, et d’alléger la charge des juridictions judiciaires, le Gouvernement est autorisé à prendre par ordonnance dans un délai de neuf mois à compter de la publication de la présente loi, à titre expérimental et pour une durée de trois ans à compter de la publication de l’ordonnance, dans les départements dont la liste est fixée par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, et du ministre chargé de la sécurité sociale, les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires pour :
1° Confier aux organismes débiteurs des prestations familiales, dans le respect des garanties de compétence et d’impartialité, ou à des officiers publics et ministériels, la délivrance de titres exécutoires portant exclusivement sur la modification du montant d’une contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants, sur la base d’un barème national, lorsque les conditions suivantes sont cumulativement réunies :
a) La contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants a antérieurement fait l’objet d’une fixation par l’autorité judiciaire, d’une convention homologuée par elle, ou d’une convention de divorce par consentement mutuel par acte sous signature privée contresigné par avocats et déposé au rang des minutes d’un notaire ;
b) La demande modificative est formée par un créancier résidant ou ayant élu domicile dans l’un des départements désignés ou par un débiteur à l’égard d’un créancier résidant ou ayant élu domicile dans l’un de ces départements ;
c) La demande modificative est fondée sur l’évolution des ressources des parents ou sur l’évolution, par accord des parties, des modalités d’exercice du droit de visite et d’hébergement, les documents ou pièces produits à l’autorité mentionnée au 1° devant être portés à la connaissance de chacune des parties ;
d) Aucune instance portant sur les modalités d’exercice de l’autorité parentale à l’égard des enfants concernés par la contribution à l’entretien et à l’éducation n’est pendante devant le juge aux affaires familiales ;
2° Permettre à l’autorité mentionnée au 1°, en cas de carence d’un parent de produire les renseignements et documents requis, de moduler forfaitairement le montant de la contribution à l’entretien et à l’éducation ;
3° Organiser un recours devant le juge aux affaires familiales, en cas de contestation du titre.
Un projet de loi de ratification est déposé devant le Parlement dans un délai de quatre mois à compter de la publication de l'ordonnance. L'expérimentation fait l’objet d’une évaluation dont les résultats sont transmis au Parlement au plus tard six mois avant son terme. »
Si la loi était adoptée, la Caisse aux allocations famialiales (CAF) serait désormais compétente pour effectuer les modifications du montant de la pension alimentaire en cas de parents séparés.
A l’heure actuelle, seul le juge aux affaires familiales peut décider de modifier le montant de cette part contributive à l’entretien et à l’éducation des enfants.
Il est saisi par l’un des parents en cas de désaccord sur le montant ou par le deux parents afin de faire homologuer un accord, notamment par le biais de la convention parentale homologuée (présentée dans un précédent article).
Le directeur de la CAF serait désormais compétent pour fixer le montant, délivrer un titre exécutoire et d’accompagner les parties en cas de recours.
La promesse voulue par cette réforme serait de simplifier, faciliter et raccourcir les délais de procédures.
En effet, en France, chaque année se sont 17.000 dossiers qui sont examinés par les Juges aux affaires familiales.
Une belle promesse, en apparence, qui présente néanmoins un danger pour le justiciable et l’intérêt supérieur des enfants.
II. Les dangers pour les parents et les enfants ?
Si l’annonce de procédures simples, rapides et efficaces laisse, l’ensemble des justiciables et professionnels de la Justice, rêveurs, l’envers du projet de loi n’est pas aussi glorieux.
Les premières victimes de cette réforme seront les parents et les enfants, qui n’auront plus de contacts humains afin d’évaluer leurs situations.
- Juge et partie ?
Actuellement, en cas de non paiement de la pension ou si le parent débiteur n’est plus en mesure de régler la part contributive à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, la CAF verse une allocation soutien familial à l’autre parent. (ASF).
L’allocation soutien familial d’un montant de 115,30€/ mois / enfant vient également compléter le montant de pension alimentaire versée si celle-ci est inférieure au montant.
Il arrive fréquemment que le parent débiteur de la pension alimentaire n’est que de faibles capacités financières et que la pension mis à sa charge soit inférieure à 115,30€.
Avec une fixation du montant de la pension par le CAF, il est fort à craindre que les montants ne soient pas inférieurs au montant de l’ASF, ce qui limitera les dépenses de l’état.
Par exemple, un parent qui avait été condamné à verser une pension de 50€/ mois pour son enfant par un juge ayant analysé sa situation sociale, familiale et financière, pourrait se voir condamner à payer à minima 115,30€/ mois.
Une économie non négligeable pour la CAF mais une mise en difficulté pour le parent qui ne sera pas en mesure de régler un tel montant.
D’autre part, ce montant peut également venir attiser les tensions entre les parents, l’un étant sur de ce qui lui est du et l’autre incapable d’y faire face.
Au milieu du conflit parental : l’enfant….
- Le barème, une fixation robotisée ?
L’article 371-2 du code civil précise :
« Chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant.
Cette obligation ne cesse pas de plein droit lorsque l'enfant est majeur. »
Ainsi le Juge doit prendre en considération pour fixer la part contributive :
- Les ressources des deux parents
- Les charges
- Les besoins de l’enfant.
Chaque situation familiale étant unique, le Juge étudie chaque situation en fonction des éléments définis par l’article susvisé.
C’est le principe de l’individualisation.
Le projet de loi prévoit quant à lui que la pension alimentaire sera désormais fixée selon un barème national en fonction des ressources du parent débiteur.
Ainsi :
-quelques soient les ressources de l’autre parent : pension alimentaire unique que l’autre parent perçoive 1200€/mois ou 12.000€/mois
- quelques soient les besoins de l’enfant : pension alimentaire unique que votre enfant ait 18 mois ou 18 ans
- quelques soient les charges et les disparités financières liées au territoire : une pension unique même si vous résidez un petit studio a Paris avec un loyer de 1300€ ou une maison à la campagne avec un loyer de 550€
Il n’existera plus d’analyse de la situation familiale et d’individualisation.
Ce barème risque de générer les conflits et tensions entre les deux parents et d’aggraver des situations où le juge et les avocats pouvaient tenter la médiation.
En cas de désaccord, les parties seront renvoyées devant le Juge, dans une situation plu litigieuse et conflictuelle qu’ils ne l’auraient été à l’origine.
Qui patira des conflits parentaux ? L’enfant…
- Un barème contestable : exemples
Il existe un barème indicatif de la pension alimentaire tel qu’appliqué par le Juges aux affaires familiales.
Ce barème, également contestable car ne prenant en considération QUE les revenus d’un parent, est simplement indicatif à l’heure actuelle.
Le site de la CAF vous permet également d’évaluer le montant de la pension alimentaire selon les revenus des parents.
Les montants proposés à titre indicatif sont très divergeant et ne prennent nullement en considération la situation individuelle :
Exemple 1 :
Un père gagne environ 24000€/an (2.000€/mois), son fils réside chez sa mère et il bénéficie d’un droit de visite et d’hébergement dit classique.
Il devra verser selon :
Barème Ministère de la Justice : 196€/mois
Barème CAF : 280€/mois
Soit une différence mensuelle de 84€/mois
Exemple 2 :
La résidence des deux enfants est fixée chez le père et la mère ne bénéficie que d’un droit de visite et d’hébergement réduit, ayant du déménager pour contraintes professionnelles.
Son salaire est d’environ 14.400€/ an (1.200€/mois)
Elle devra verser selon :
Barème Ministère de la Justice : 101€/mois et par enfant soit 202€/mois
Barème CAF : 189€/mois et par enfant soit 378€/mois
Soit une différence mensuelle de 176€
Exemple 3 :
Un couple séparé décide de fixer une résidence alternée pour leurs 3 enfants, une semaine sur deux chez chacun des parents. Le premier parent gagne environ 36.000€/ an et l’autre 14.400€/ an.
Le premier parent devra verser selon :
Barème Ministère de la Justice : 164€/mois et par enfant soit 492€/mois
Barème CAF : 202€/mois et par enfant soit 606€/mois
Soit une différence mensuelle de 114€/mois.
Ainsi, comme il l’a été démontré, les barèmes ne permettent pas une appréciation claire de la part contributive à l’entretien et l’éducation de l’enfant, alors que les deux barèmes issus de deux administrations.
Au surplus, le barème ne prend pas en considération les accords amiables qui pourraient intervenir entre les parents comme par exemple la prise en charge des frais de scolarités, des frais médicaux éventuels , de garderie ou autre qui viendraient en déduction du montant fixé.
Ainsi, plus aucun accord parental ou évaluation de la situation particulière ne pourra intervenir.
La déjudiciarisation de la fixation de la pension est un risque pour les deux parents de se retrouver avec un titre exécutoire qui ne correspond ni à leurs attentes, ni à leurs situations.
En cas d’accord entre les parents, il reste préférable de recourir à la convention parentale homologuée qui s’adaptera à votre situation, vos choix par exemple en modulant le montant de la part contributive mais en y ajoutant une prise en charge de certains frais et surtout, en préservant l’intérêt de l’enfant.
Dans l’attente de précisions sur la procédure et les mesures adoptées, n’hésitez pas à consulter votre avocat qui saura vous accompagner dans vos démarches et évaluer la part contributive à l’entretien et à l’éducation des enfants.
Pour tout complément d'information, n'hésitez pas à nous contacter.
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Le terme juridique est part contributive à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, mais il a également été fait usage du terme « pension alimentaire » . Aucune distinction n’est à opérer dans le présent article