Quand le tribunal distingue iphone et ipad

Publié le Modifié le 27/06/2011 Vu 5 139 fois 0
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La cession des droits de l’auteur obéit à un formalisme particulier imposant d’adopter une rédaction particulièrement précise. Comme l’illustre un récent jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris relatif aux terminaux mobiles Apple, la précision dans la rédaction peut toutefois avoir pour conséquence de limiter le champ de la cession, ce qui peut s’avérer particulièrement problématique lorsqu’un nouveau support apparaît, à l’instar des tablettes tactiles.

La cession des droits de l’auteur obéit à un formalisme particulier imposant d’adopter une rédaction pa

Quand le tribunal distingue iphone et ipad

Le succès de l’iPhone et de son « appstore » ont encouragé le développement de très nombreuses applications dédiées à ce smartphone. Naturellement, certains éditeurs d’applications mobiles ont vu dans son grand frère, l’iPad, un nouveau relais de croissance tout aussi porteur, et susceptible d’accroître à peu de frais les ventes de leurs applications. Bénéficiant d’un écosystème tout à fait similaire (même système d’exploitation, même interface tactile, même connectique, compatibilité poussée), certains ont vu dans la tablette de la marque à la pomme un « gros iPhone ».

Peut-on pour autant considérer, au regard des règles strictes encadrant la cession des droits de l’auteur, que les deux produits sont équivalents, de sorte que la cession des droits d’exploitation d’une œuvre sur iPhone emporterait autorisation d’exploitation sur iPad ?

Telle était la question à laquelle devait répondre le Tribunal de Grande Instance de Paris dans le cadre d’une affaire opposant l’auteur du personnage « Carl » à l’éditeur de l’application « Talking Carl ». Tous deux avaient en effet conclu un contrat de cession de droits portant sur ledit personnage, qui prévoyait la cession des droits de l’auteur « exclusivement et uniquement en vue de la création, de la commercialisation et de l’utilisation du logiciel sur les smartphones ». Or, l’éditeur de « Talking Carl » avait par la suite proposé son application aux utilisateurs de l’iPhone, mais également aux utilisateurs d’iPads et d’iPods Touch.

Une telle exploitation, visiblement non couverte par le contrat de cession de droits, semble de prime abord se heurter aux dispositions de l’article L.131-3 du Code de la Propriété Intellectuelle, selon lequel « la transmission des droits de l'auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l'objet d'une mention distincte dans l'acte de cession et que le domaine d'exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée ».

L’auteur a donc assigné l’éditeur, notamment sur le fondement de l’article L.122-4 du Code de la Propriété Intellectuelle, aux termes duquel toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droits ou ayant cause est illicite.

L’éditeur, pour sa défense, soulevait notamment que l’iPad constitue un smartphone, ou « téléphone intelligent », dans la mesure où sa fonction wifi permet à son utilisateur de téléphoner.  Sa position était similaire s’agissant de l’iPod Touch, puisqu’il indiquait qu’un accessoire chinois permettrait d’ajouter la fonction « téléphone » à l’iPod Touch. Selon lui, l’iPhone, l’iPad et l’iPod Touch (nous les appellerons les trois « i ») appartenaient donc à une seule et même famille de produits, à savoir les « smartphones ».

Reste qu’il soutenait également que la référence, dans le contrat de cession de droits, au « smartphone » était une erreur  du rédacteur du contrat. Dernier argument, et non des moindres : l’éditeur soulevait que le mode de distribution de l’application litigieuse, à savoir la distribution en ligne via l’iTunes Store d’Apple, ne permet pas d’interdire l’achat d’une application iPhone en vue de son installation sur un iPad ou un iPod Touch.

Une explication s’impose, ne serait-ce que pour les lecteurs qui ne seraient pas familiers avec l’écosystème Apple : les applications pour les terminaux mobiles Apple (iPad, iPhone, iPod) sont présentées et commercialisées au moyen de deux logiciels Apple, l’iTunes Store et l’App Store. Or, l’un comme l’autre, pas plus que le système d’exploitation iOS, ne prévoient de restriction à l’exécution sur un iPad ou un iPod Touch d’une application développée pour un iPhone.

Par ailleurs, il est important de rappeler que l’intégralité des applications développées pour iPhone fonctionne indifféremment sur iPad et iPod Touch. La rédaction de la clause de cession de droits est indifférente à cet égard.

Ceci ne résulte pas d’une volonté délibérée des éditeurs, mais de l’utilisation d’un système d’exploitation quasi-identique pour les trois « i » et de la volonté d’Apple de garantir une certaine interopérabilité entre ses produits. De fait, Apple distingue dans son « guide du développeur IOS » deux familles de produits : iPhone et iPad. La famille de produits « iPhone » comprend de facto les applications dédiées à l’iPod Touch, de sorte que la mise à disposition, via l’iTunes Store ou l’App Store d’Apple, d’une application pour iPhone la rendra inévitablement téléchargeable par des utilisateurs d’iPod Touch. Par ailleurs, l’iPad intègre un émulateur lui permettant de faire fonctionner l’intégralité des applications développées pour iPhone. Par conséquent, un utilisateur d’iPad peut y installer n’importe quelle application développée pour iPhone, en ce compris l’application objet du litige tranché par le Tribunal de Grande Instance de Paris.

Reste que le Tribunal a vraisemblablement manqué d’explications sur ce point, puisque dans son jugement du 16 novembre 2010, il a considéré d’une part, que ni l’iPad ni l’iPod ne constituent des « smartphones » (ce qui ne semble pas critiquable) et d’autre part, qu’il n’est pas démontré qu’il serait impossible d’empêcher l’achat par un utilisateur d’iPad ou d’IPod d’une application iPhone (ce qui est pourtant un état de fait).

Le Tribunal a donc considéré que l’éditeur s’est rendu coupable de contrefaçon et l’a condamné à verser à l’auteur la somme de 8.000 euros à titre de dommages et intérêts.

Il ne serait guère surprenant que l’éditeur interjette appel de ce jugement et, devant la Cour d’Appel de Paris, peaufine son argumentation reposant sur l’impossibilité technique d’empêcher l’utilisation d’une application pour iPhone sur un iPad ou un iPod Touch. En tout état de cause, le jugement du 16 novembre 2010, comme d’autres auparavant, invite tout à la fois à la précision et à l’imagination dans la rédaction des clauses de cession de droit, qui, faut-il le rappeler sont d’interprétation stricte.

 

Benjamin JACOB

Cabinet PDGB

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A propos de l'auteur
Blog de Maître Benjamin JACOB

Benjamin JACOB, avocat associé au sein du cabinet PDGB, département Propriété Intellectuelle et Nouvelles Technologies

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