Contrairement au droit français , en Algérie la preuve de la propriété immobilière n’est pas libre.Le principe est que cette preuve doit être rapportée par la production d’un acte authentique publié à la conservation foncière.Néanmoins il y a lieu de faire une distinction suivant l’époque où la propriété a été acquise : avant la promulgation de l’ordonnance n°70-91 du 15/12/1970 portant organisation du notariat ou après .
La production de la preuve de la propriété immobilière n’est pas chose aisée et ce au regard de la législation et à la jurisprudence fluctuante en la matière.La pratique judiciaire en matière de preuve immobilière n’a été stabilisée que récemment après que la Cour suprême ait posé des règles plus ou moins claires.
Bien que le principe de l’assujettissement à la forme authentique de tout acte de mutation d’immeuble ou de droits immobiliers ait été posé dès 1970 par l’article 12 de l’ordonnance n°70-91 du 15/12/1970 portant organisation du notariat et repris intégralement par l’article 324 bis 1 du code civil en vertu de la loi n° 88-14 du 03/05/1988 ,la jurisprudence continuait à valider les transactions immobilières contractées par des actes non authentiques notamment par des actes sous seing privé.Le contexte d’alors notamment la pratique de l’acte sous seing privé dans les transactions entre les algériens de confession musulmane avant l’indépendance ,le recours exceptionnel aux services des notaires qui étaient des fonctionnaires et en nombre réduit aux premières années de l’indépendance , et la réglementation très généreuse instaurée durant les années 1980 tendant à la régularisation des indus occupants de biens publics ou privés ou des constructions non conforme ont conforté les magistrats dans leur lecture biaisée mais assumée des dispositions de l’ordonnance du 15/12/1970 qui imposa l’authenticité dans toute transaction portant sur un immeuble. Ce n’est qu’en 1997 qu’un arrêt des chambres réunies de la Cour suprême a mis fin à cette jurisprudence « illégale » et pose le principe de l’obligation de l’acte notarié publiée pour toute mutation immobilière.De ce principe découle celui de la preuve de la propriété immobilière par acte authentique.
Si la preuve de la propriété immobilière passe par la production d’un titre authentique , ce dernier peut prendre plusieurs formes suivant la nature de l’acte auquel veut recourir le propriétaire.S’il s’agit d’un transfert de propriété immobilière de quelque nature qu’il soit ( vente,donation,échange…) seule la détention d’un livret foncier ,s’il s’agit d’un immeuble cadastré , ou la détention d’un acte de propriété notarié publié s’il s’agit d’un immeuble non cadastré, permet ce transfert.Mais s’il s’agit de revendiquer un immeuble dans un litige porté devant une juridiction,la preuve de la propriété peut être apportée même en l’absence des actes sus-mentionnés.Dans cette dernière hypothèse , il est possible sous certaines conditions d’exciper d’un titre établi avant 1970 ou avant l’indépendance de l’Algérie quant bien même il n’a pas été publié. Enfin il est possible de revendiquer la propriété d’un immeuble par voie de prescription acquisitive.
La preuve de la propriété immobilière par le livret foncier
Dans les communes ou les portions de communes où les opérations cadastrales ont été clôturées , les immeubles qui s’y trouvent sont censés avoir été recensés et inscrits sur le fichier immobilier et les propriétaires mis en possession du livret foncier .Dans ce cas la propriété d’un immeuble ne peut être prouvée que par la production du livret foncier. L’article 19 de l’ordonnance n° 75-74 du 12/11/1975 portant établissement du cadastre général et institution du livre foncier dispose que :« Le livret foncier forme titre de propriété ».
La Cour suprême s’est prononcée sur la question et a jugé que :« le livret foncier est le seul acte qui constitue titre de propriété »( CS 28/06/2000 , arrêt n° 197920) et que : « le livret foncier a force probante » ( CS 21/04/2004 , arrêt n° 259635) .Une fois le livret foncier établi et remis au propriétaire,la propriété de l’immeuble en rapport ne peut plus être contestée.Mais cela ne veut pas dire que le livret foncier est immuable et ne peut être remis en cause.Il peut arriver que le livret foncière ait été établi sur la base de faux documents , de fausses déclarations ou par erreur.Il n’est pas bien sûr dans les compétences du conservateur foncier de procéder par lui-même à l’annulation ou à la modification des fiches immobilières reproduites sur le livret foncier mais il revient à celui qui a intérêt , à saisir le juge à cet effet. C’est ce que prévoit expressément l’article 24 de l’ordonnance n° 75-74 du 12/11/1975 : « Les décisions du conservateur foncier sont susceptibles de recours devant la juridiction territorialement compétente ».
L’action en annulation ou en modification du livret foncier doit être portée devant le tribunal administratif et dirigée contre le conservateur foncier avec mise en cause du détenteur du livret foncier ( CS 14/07/2011 ,arrêt n° 666056 ; Tribunal des conflits 12/06/2012 , arrêt n° 000128).Mais il faut distinguer entre le cas où le livret foncier reproduit une immatriculation définitive et le cas où il mentionne une immatriculation provisoire.Dans la deuxième hypothèse et si le litige concerne des personnes de doit privé , la compétence revient à la section foncière du tribunal de droit commun et ce conformément à l’article 516 du Code de procédure civile et administrative ( CS 29/10/2009 , arrêt n° 049444).Même s’il s’agit d’un litige portant sur une immatriculation provisoire d’un immeuble mettant en cause deux personnes de droit privé,il faut éviter d’appeler à l’instance le conservateur foncier ou le cadastre et ce au regard d’une jurisprudence du Tribunal des conflit qui attribue à la justice administrative compétence dans toute action mettant en cause ces deux entités administratives ( T.C 16/05/2011, arrêt n° 000102).En outre le même Tribunal des conflits a jugé que l’action en annulation du livret foncier est considérée comme une demande d’annulation de l’immatriculation définitive qui y est reproduite, et cette immatriculation ayant le caractère d’une décision rendue par une administration publique, elle relève de ce chef de la compétence du tribunal administratif ( TC 09/04/2012, arrêt n° 000117).
L’acte de notoriété prouvant reconnaissance de propriété
Avant loi n° 07-02 du 27 février 2007 portant institution d’une procédure de constatation du droit de propriété immobilière et de délivrance de titres de propriété par voie d’enquête foncière , toute personne ayant une possession réunissant les conditions lui permettant d’exciper d’une prescription acquisitive pouvait se faire établir par un notaire un acte de notoriété portant reconnaissance de propriété et ce en application du décret n° 83-352 du 21/05/1983 instituant une procédure de constatation de la prescription acquisitive et d’établissement d’acte de notoriété prouvant reconnaissance de propriété.
L’acte de notoriété établi par le notaire et publié à la conservation foncière constitue une preuve de la propriété immobilière.A l’instar du livret foncier,ce titre de propriété n’est pas un moyen de preuve absolue mais entraîne simplement une présomption de propriété qui peut être combattue.Si au cours d’une instance judiciaire la partie excipe d’un acte de notoriété pour revendiquer un immeuble ,l’autre partie peut toujours le faire écarter.La Cour suprême s’est prononcée sur la valeur relative de l’acte de notoriété à plusieurs occasions.Ainsi elle a jugé que l’acte de notoriété prouvant reconnaissance de propriété prévu par le décret du 21/05/1983 , bien qu’il soit un acte authentique, il conserve son caractère d’ acte déclaratif établi sur les seules déclarations de son bénéficiaire aussi il peut être combattu par la preuve contraire ( CS 24/09/2003 ,arrêt n° 251665).Si au cours d’une instance l’une des parties produit un acte de notoriété pour prouver la propriété d’un immeuble , l’autre partie peut contester la validité de cet acte en prétendant être le possesseur effectif de cet immeuble.Dans cette hypothèse ,le juge doit chercher qui des deux partie a la meilleur possession en application de l’article 818 du code civil et il en est de même si les deux parties opposent un acte de notoriété sur le même immeuble (CS 10/12/2009 ,arrêt n° 565212 ; 23/06/2004 , arrêt n° 274758 ).
constatation du droit de propriété par voie d’enquête foncière
La procédure de constatation du droit de propriété immobilière et de délivrance de titres de propriété par voie d’enquête foncière a été institué par la loi n° 07-02 du 27 février 2007.Elle remplace et abroge la procédure de l’acte de notoriété régie par loi n° 07-02 du 27 /02/ 2007.
Le titre établi par le conservateur foncier suite à l’enquête foncière et remis à son bénéficiaire constitue un titre de propriété et ce en vertu de l’article 21 de la loi du 27 février 2007 .Ce titre e de propriété doit être conforme au modèle annexé au décret exécutif n° 08-147 du 19/05/2008 relatif aux opérations d’enquête foncière et de délivrance de titres de propriété.Quid de la force probante de ce titre ?Est-il un acte déclaratif au même titre que l’acte de notoriété établi par le notaire donc pouvant être annulé par le juge du droit commun ou a-t-il la même valeur qu’un livret foncier du moment que ce titre est établi par le conservateur foncier et précédé d’une décision d’immatriculation foncière de l’immeuble objet de l’enquête foncière ? Sachant que la procédure d’immatriculation foncière est elle-même précédée d’une phase où les contestations ou oppositions peuvent être formulées c’est à dire pratiquement la même procédure pour la délivrance des livrets fonciers, le titre de propriété ainsi établi ne peut à notre avis être attaqué que devant le juge administratif et suivant les règles applicables aux actions en annulation ou modification des livrets fonciers.
Le certificat de possession
Le certificat de possession est régi par l’article 39 de la loi n° 90-25 du 18/11/1990 portant orientation foncière et le décret exécutif n° 91-154 du 27/07/1991 fixant les modalités d’établissement et de délivrance du certificat de possession.Le certificat de possession est délivré par le maire à la requête de toute personne qui a la possession depuis au moins une année d’une terre de propriété privée non titrée située dans une commune où le cadastre n’a pas été établi.Ce certificat ne peut donc être établi que s’il s’agit d’une terre à l’exclusion de tout autre immeuble.
Le certificat de possession n’est pas transmissibles aux ayants droits.En cas décès du titulaire du certificat de possession , ses héritiers doivent demander un nouveau certificat en leur nom dans un délai d’un an à compter du décès et sur la base d’une fredha ( attestation notariale détaillant les héritiers du cujus).
S’agissant ici aussi d’un acte déclaratif, le certificat de possession ,s’il fait foi en tant que preuve de la propriété , il peur être contesté devant le juge .Etant un acte émanant du maire donc d’une institution administrative,c’est le tribunal administratif qui est compétent pour toute action en annulation,modification ou réctification.Très souvent,la remise en cause d’un certificat de possession est présentée à l’occasion d’un litige entre personnes physiques porté devant la section foncière du tribunal de droit commun. En cas de contestation de la légalité du certificat de possession produit par une partie devant ce tribunal , se posera une question préjudicielle qu’il reviendra à la juridiction de trancher.Le tribunal civil devra surseoir à statuer jusqu'à ce que la question de la légalité du certifiait de possession soit tranchée par le tribunal administratif.
Le moyen de preuve par la possession acquisitive : l’usucapion.
En vertu de l’article 827 du Code civil ,celui qui exerce la possession sur un immeuble ou un droit réel immobilier sans qu’il en soit propriétaire ou le titulaire en devient propriétaire si sa possession continue sans interruption pendant 15 ans.La possession est celle qui remplit les conditions de l’article 524 du Code de procédure civile et administrative c’est à dire une possession paisible,publique,continue,non interrompue,non précaire et non équivoque. Nous avons déjà vu que c’est sur la base de cette possession qu’est établi l’acte de notoriété ou le titre de propriété par voie d’enquête foncière.A défaut d’un titre établissant cette possession ,les parties peuvent toujours invoquer la possession acquisitive devant le juge qui appréciera son bien fondé
La possession acquisitive est donc un moyen d’acquisition de la propriété immobilière .C’est là un principe maintes fois rappelé par la Cour suprême ( CS 28/02/2001,arrêt n° 205549 ; 18/05/2005,arrêt n° 300815).La possession acquisitive s’applique aussi aux droits de succession mais la possession ici est portée à 33 ans au lieu de 15 ans ( CS 12/12/2013, arrêt n° 0798374 ; 16/07/2008 ,arrêt n° 423832).
La force probante de certains actes
Certains titres établis avant l’indépendance de l’Algérie ou avant la promulgation de l’ordonnance n°70-91 du 15/12/1970 portant organisation du notariat faisaient foi en tant que preuve de la propriété immobilière et pouvaient ainsi être invoqués devant les juridictions en tant que tels.Ainsi les actes rédigés par les anciens cadi- notaires portant transfert de propriété immobilière ont la même valeur que les actes authentique et font foi des conventions qu’elles renferment ( CS 03/06/1989 ,arrêt n° 40097 ; 25/02/2004 ,arrêt n° 264528.
Les actes sous seing privés établis à la même époque peuvent être produits devant les juridictions en tant que preuve de la propriété immobilière s’ils ont acquis date certaine et à fortiori s’ils ont été publiés.Ils peuvent en tout état de cause constituer un commencement de preuve ou conforter une possession acquisitive. ( CS 19/03/2003 arrêt , n° 246799).
Du règlement des conflits portant sur les éléments de preuve
Au regard de la diversité des preuves autorisées par la loi ou la jurisprudence pour revendiquer un droit immobilier , des conflits peuvent surgir quant les deux parties au litige excipent d’une possession ou d’un titre de même valeur.Il peut s’agir des cas où les deux plaideurs opposant l’un et l’autre la possession , ou que l’un oppose un titre contre un titre ou un titre contre une possession.
Certains conflits sont réglés par la loi mais d’autres trouve leur solution dans la jurisprudence.
Commençons par le cas ou le détenteur d’un titre ( livret foncier,acte de notoriété,certificat de possession) se voit opposer par son adversaire la possession de l’immeuble revendiqué.La détention d’un titre de propriété y compris le livret foncier ou un acte authentique publié n’empêche pas la prescription acquisitive et c’est là une position tranchée et bien assise de la Cour suprême ( CS 18/05/2005, arrêt n° 300815 ; CS 16 /07/2008 ,arrêt n° 423832 ; CS 15/10/2008, arrêt n° 479371 ).Si la possession est opposée dans une instance où l’autre partie se prévaut d’un titre et si cette possession est fondée,le titre est rejeté.Mais si le titre est antérieur à la possession, il doit prévaloir sur celle-ci.
Les deux parties peuvent aussi opposer chacun à l’autre la possession d’un immeuble litigieux.Dans cette hypothèse ,il revient au juge au vu des moyens et documents invoqués et éventuellement par voie d’enquête ou d’expertise d’apprécier qui des deux possessions est la plus caractérisée.Le code civil, après avoir posé le principe que : « le possesseur d’un droit est présumé en être titulaire jusqu’à preuve du contraire » (article 823) , dispose que : « En cas de conflit entre plusieurs personnes sur la possession d’un même droit,celui qui a la possession matérielle est présumé en être provisoirement le titulaire ». Il en est de même au cas où les deux plaideurs se prévalent chacun d’eux d’un acte de notoriété établi conformément au décret n° 83-352 du 21/05/1983.Dans cette dernière hypothèse il n’ya pas lieu de favoriser l’acte ayant date ancienne mais le juge doit rechercher qui des deux parties a la possession effective de l’immeuble litigieux et si cette possession remplit les conditions légales ( CS 10/12/2009,arrêt n° 565212)
Reste le cas où les deux belligérants se prévalent d’un titre sur le même immeuble.Il faut faire ici des distinctions.Si l’une des partie se prévaut en plus du titre de la possession , celle-ci l’emporte en vertu de l’adage latin in pari causa melior est possidentis (lorsque aucun des plaideurs ne peut faire la preuve, la préférence est donnée à celui qui tient en sa possession l'objet du litige).Si les deux plaideurs se prévalent d’un titre de propriété émanant d’un même auteur ( le vendeur ici a vendu deux fois le même immeuble à deux personnes différentes ) ,il est donné préférence au titre qui a été publié le premier à la conservation foncière même si la date de sa rédaction est postérieure à celle du titre opposé ( CS 19/03/2003 , arrêt n°243402). Si les deux titres en concurrence sont d’auteurs différents, le juge tranchera en fonction des mentions de l’acte notamment les circonstances de la vente et la possession invoquée par l’un ou l’autre des plaideurs.Si les deus titres n’ont pas été publiés, c’est le plus ancien qui a date certaine qui l’emporte.
Maitre M.BRAHIMI
Avocat à la Cour
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