La réponse à cette question est évidente et, pourtant, la pratique judiciaire va à l’encontre de l’évidence.
C’est le mythe de Sisyphe : les victimes de viol engagent des démarches dans l’espoir d’une reconnaissance des faits et de leurs souffrances mais la justice les ramène sans arrêt à leur traumatisme en le faisant revivre à travers la répétition du récit des faits, les confrontations, les expertises, les questions intrusives et suspicieuses…
Il est temps d’améliorer le traitement judiciaire de ce crime dans une loi générale sur les violences sexuelles, comprenant, d’une part, la redéfinition du viol et de l’agression sexuelle, et, d’autre part, l’effectivité de la procédure en prenant en compte le traumatisme des victimes.
Aujourd’hui, la loi ne prévoit pas que le viol ou l’agression sexuelle soit un acte « non consenti ». La loi laisse entendre : « dans le doute, si elle ne bouge pas, si elle ne dit pas non, je peux y aller ».
Pourtant, dans notre société le « non » ne peut pas toujours être librement exprimé : on peut être dominé économiquement, subir un contexte conjugal avec prégnance d’identités et/ou de comportements de genre, ainsi que d’autres types d’emprise. Quant à l’état de sidération, il caractérise l’incapacité à réagir de la victime ; on le retrouve dans 70 % des cas, selon une étude suédoise.
Dès lors, exiger de « passer outre un refus » est inadapté pour caractériser un viol. Prouver la « violence, contrainte, menace ou surprise » exigée par le Code pénal est impossible dans certaines situations, notamment quand l’agresseur n’a pas eu besoin d’exercer une coercition active.
Le droit canadien, qui a introduit la notion de consentement dans sa définition du viol depuis plus de trente ans, nous ouvre la voie.
Concrètement, il ne s’agit pas de passer un contrat ; le consentement peut s’exprimer de multiples manières, y compris tacite. Mais dans la procédure canadienne, la personne mise en cause est questionnée sur les mesures raisonnables qu’elle a prises pour s’assurer du consentement de son partenaire. Si le mis en cause se contente de répondre qu’il l’a lu dans son regard par exemple, on peut en déduire qu’il ne s’est pas suffisamment assuré que la victime était consentante.
Cette interrogation supplémentaire sur le consentement laisse les magistrats se focaliser plus précisément sur la stratégie et le passage à l’acte de l’agresseur, sans pour autant écarter l’examen des circonstances entourant l’acte sexuel à savoir « violence, contrainte, menace ou surprise ».
Précisons que la France est signataire de la Convention d’Istanbul du 11 avril 2011[1], de portée obligatoire, qui prévoit que : « Le consentement doit être donné volontairement comme résultat de la volonté libre de la personne considérée dans le contexte des circonstances environnantes. » mais n’a pas pour autant adapté son droit interne.
C’est pourquoi une redéfinition du viol et de l’agression sexuelle, ajoutant la notion de consentement ou d’accord volontaire, est nécessaire.
Mais cette redéfinition, bien que nécessaire, ne suffit pas ; elle doit s’intégrer dans une loi générale sur le traitement des violences sexuelles. Evidemment, les moyens mis en œuvre dans les enquêtes préliminaires pour les violences sexuelles devraient être augmentés. Actuellement certaines procédures peuvent durer 7 à 8 ans jusqu’à la mise en accusation, ce qui affaiblit le poids des preuves et des témoignages qui deviennent fragiles avec le temps. La recherche des éléments probants est aussi, souvent insuffisante.
Il ne s’agit bien évidemment pas de mettre à mal la présomption d’innocence ni les droits de la défense, mais d’interroger l’équilibre de notre procédure pénale au regard de l’obligation de mener une enquête effective (telle que rappelée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme - arrêt CEDH De Giorgi c. Italie, 16 juin 2022) avec un autre principe : la protection des victimes, souvent malmenées par la procédure (arrêt CEDH c Russie 7 févr. 2023).
Une loi générale sur les violences sexuelles s’impose pour une véritable amélioration du traitement judiciaire dans le respect de la personne victime fragilisée par les violences subies, avec pour objet avec pour objectif :
- une redéfinition des viols et agressions sexuelles prenant en compte le consentement,
- des moyens d’enquête renforcés,
- la création de centres d’accueil d’urgence pluridisciplinaires,
- la réduction de la répétition du récit, et les confrontations,
- l’audition de la victime à l’audience hors la présence du mis en cause si besoin,
- les expertises par des victimologues pour renforcer la parole de la victime,
- la prescription glissante pour les majeurs et l’imprescriptibilité pour les mineurs,
- l’interdiction de poser des questions et d ‘émettre des propos reprenant des stéréotypes de genre (vie intime ou mauvaise réputation de la victime),
- des formations sur les stéréotypes de genre pour compléter la formation des professionnels.
Notre pratique judiciaire peut et doit être améliorée. Encore faut-il qu’avocats, magistrats, politiques en prennent l'initiative, en ressentent l'impérieuse nécessité ou éprouvent "l'espoir d'un monde différent et qui pourrait être meilleur" (Benoîte GROULT).
[1] Entrée en vigueur en France le 1er novembre 2014