Tout débiteur, qui dans le dessein d’échapper aux poursuites ou aux saisies (mobilières ou immobilières) de ses biens par ses créanciers, tenterait de se rendre insolvable; ou bien diminuerait la valeur de son patrimoine, en s'appauvrissant par la sortie frauduleuse d’un bien ou d’une somme d’argent, s’expose aux affres de l’action paulienne.
(du latin Paulianus et de Paulus surnom romain porté par le prêteur qui institua cette action judiciaire).
Aux termes de l’article 1167 du Code civil,
« Les créanciers sont autorisés à attaquer, en leur nom personnel, les actes faits par leur débiteur en fraude de leurs droits. «
Cette action, permet aux créanciers agissant à titre personnel de faire sanctionner des actes découverts consentis en fraude de leurs droits, voir de poursuivre leur action envers les héritiers ayant accepté la succession d'un de cujus, débiteur.
L'objet de l'action n'est pas de faire disparaître, les effets d'un acte de disposition passé entre leur débiteur et un tiers, mais de sanctionner ces "parties" pour le préjudice causé.
En effet, dans la majorité des cas, l'action paulienne aura pour but de permettre au créancier tiers à l'acte litigieux, de faire réintégrer dans le patrimoine de son débiteurn un ou des biens que celui-ci avait cédé ou donné à un tiers, souvent complice, c'est à dire de sanctionner à la fois le débiteur qui a organisé son insolvabilité et le tiers qui a acquis son bien en toute connaissance du préjudice causé.
Ce créancier pourra même agir contre le bénéficiaire de l'acte litigieux; indépendemment de sa bonne ou mauvaise foi .
Nous verrons les conditions de mise en œuvre de cette action spécifique, ainsi que ses effets, puisqu’il s’agira de poursuivre en inopposabilité et non en nullité d’un acte aux effets frauduleux maintenus dans les rapports du débiteur et du tiers cocontractant avec lequel a été passé l'acte attaqué.
I- Conditions de mise en œuvre de l’action
Elle suppose une créance certaine dans son principe et antérieure à l’acte frauduleux.
Le fait que cette créance soit définitive c’est à dire fixée par un tribunal, ou liquide n’est pas une nécessité dans l’action. 1 ère Civ, 5 juillet 2005 pourvoi n°: 02-18722.
A) Eléments constitutifs
Com, 1 mars 1994 pourvoi N° 92-15.425
L'appauvrissement du débiteur n'est pas nécessaire puisqu'il a été jugé que le créancier dispose de l'action paulienne lorsque la cession, bien que consentie au prix normal, a pour effet de faire échapper un bien à ses poursuites en le remplaçant par des fonds plus aisés à dissimuler et, en tout cas, plus difficiles à appréhender.
1ère Civ, 12 décembre 2006, pourvoi n° 04-11.579
La fraude paulienne peut être réalisée par tout acte dont il résulte un appauvrissement du débiteur, elle résulte de la seule connaissance que le débiteur et son cocontractant ont du préjudice causé au créancier par l’acte litigieux, la cour d’appel a violé les articles 1351 et 1167 du Code civil.
1° L’élément matériel
Le créancier, devra prouver l’élément matériel constitutif de la fraude de son débiteur par tous moyens,
-- l’organisation d’une insolvabilité au moins apparente du débiteur, au jour de l'acte litigieux 1ère Civ, 5 décembre 1995, Bull. n° 443
De ce fait, si à cette date, le débiteur disposait de biens suffisants pour désintéresser le créancier, le préjudice fait défaut.
-- une l'évolution vers l'absence de nécessité d’une insolvabilité du débiteur
Il a été jugé :
3ème Civ, 6 octobre 2004, pourvoi n°03-15.392,
« …l’action paulienne est recevable, même si le débiteur n’est pas insolvable, dès lors que l’acte frauduleux a eu pour effet de rendre impossible l’exercice du droit spécial dont disposait le créancier sur la chose aliénée, s’agissant de la vente ou de la donation d’un bien.. »
1ère Civ, 8 avril 2009, pourvoi n° 08-10.024,
" l’action paulienne peut être accueillie indépendamment de toute exigence d’insolvabilité du débiteur lorsque l’acte critiqué rend frauduleusement inefficace un droit particulier dont est investi le créancier sur des biens particuliers de celui-ci"
2°) L'élément intentionnel: De l'intention de nuire réduite à la simple connaissance du préjudice causé au créancier...
La fraude paulienne n'implique pas forcément une intention de nuire,mais peut résulter de la seule connaissance que le débiteur a du préjudice causé à son créancier ; c’est la mauvaise foi.
Com, 14 novembre 2000, Bull. n° 173
Pour accueillir une action en inopposabilité d’une donation partage au visa de 1167 du code civil les juges du fond ont retenu que le débiteur ne pouvait ignorer qu'il portait ainsi atteinte aux droits de son créancier en diminuant de manière notable les biens qui pouvaient répondre de ses engagements.
Le débiteur qui a agi en toute connaissance de cause pour causer préjudice au regard du remboursement de sa créance risquera d’être sanctionné au visa de l’article 1167 du code civil.
1 ère Civ,5 juillet 2005, BICC n°628 1er nov. 2005, N° 2009,
1 ère Civ, 13 décembre 2005, BICC 637 1er avril 2006
B) Les actes concernés
1°- A titre gratuit: donation
1ère Civ, 8 avril 2009,pourvoi n° 08-10.024, précité pour une donation d’usufruit
1ère Civ, 6 mai 2003, pourvoi n° 00-20976,
Com, 14 novembre 2000, (précité) Bull. n° 173 pour une donation partage.
Les créanciers peuvent demander que la donation leur soit déclarée inopposable.( voir sens de cela ci-dessous II)
Rappel: Pour faire révoquer un acte à titre gratuit, l'intention de nuire du débiteur n’est pas exigée : Il suffit que le débiteur ne dispose pas gratuitement de son patrimoine au détriment de ses créanciers.
Ils peuvent faire révoquer rétroactivement une donation, même si le débiteur n'est pas insolvable.
Le bien transmis retourne alors dans le patrimoine du donateur, où le créancier pourra seul éventuellement le saisir.
2°-A titre onéreux, ex vente bradée
3°- Des Actes difficilement attaquables
exemple: un partage, des actes liés à des droits exclusivement rattachés à la personne (ex mariage, reconnaissance d'enfant naturel…), paiement d'une dette échue...
II Conséquences de l’action paulienne : L’inopposabilité à l’égard du créancier poursuivant
Jusqu’en 2006,le créancier qui obtenait gain de cause, voyait "réintégrer" les biens du débiteur dans son patrimoine.
Il lui appartenait ensuite de faire procéder à la saisie entre les mains de son débiteur.
Depuis 2006, les choses ont été facilitées par la jurisprudence.
A) Inopposabilité des actes affectés de fraude pour le créancier poursuivant
Depuis 1ère Civ le 30 mai 2006, pourvoi n° 02-13495 ,
« l'inopposabilité paulienne autorise le créancier poursuivant, par décision de justice et dans la limite de sa créance, à échapper aux effets d'une aliénation opérée en fraude de ses droits afin d'en faire éventuellement saisir l'objet entre les mains du tiers. En ordonnant le retour des sommes données dans le patrimoine du débiteur, la cour d'appel a violé l'article 1167 du Code civil ».
Cet arrêt a été confirmé par:
1ère Civ 12 juillet 2006, pourvoi n° 04-20161,
Le but de l’exercice de l’action paulienne ici n’est pas de faire revenir le bien dans le patrimoine du débiteur mais de permettre la saisie entre les mains de celui qui en est devenu propriétaire frauduleusement.
Le créancier fera comme si l’acte n’existait pas à son encontre.
On parle de l'inopposabilité de l'action paulienne, laquelle n'aura plus pour effet de réintégrer les biens ou valeurs concernées dans le patrimoine du débiteur, mais permettra au créancier lésé d’agir directement auprès du tiers pour recouvrer le montant( ex en saisissant le bien).
En effet, si le juge ordonnait la restitution des sommes ou des biens entre les mains du débiteur, il prendrait le risque de voir rentrer ces valeurs dans le patrimoine,du débiteur et donc de les rendre accessibles aux autres créanciers.
Cela aurait pour conséquence de rendre inefficace et de faire perdre tout intérêt à l’action, au cas où les autres créanciers pourraient tirer bénéfice indirect et injustifié au bout du compte de cette action entreprise par un autre, ( exemple en pouvant saisir les biens concernés dans le patrimoine du débiteur)
C’est pour cela que le créancier aura la possibilité, seul de saisir le compte bancaire du tiers, en ignorant les effets de l'acte litigieux à son égard.
B) L’action paulienne n’a pas pour effet d’annuler l’acte litigieux envers le tiers
Dès lors, en confirmant le jugement ayant prononcé la nullité des donations litigieuses, la cour d’appel a violé l’article 1167 du Code civil. 1ère Civ, 20 décembre 2007, pourvoi n° 07-10.379,
Que signifie concrètement cela en pratique ?
Comme exposé ci-dessus, le créancier victime de la fraude reste seul à pouvoir saisir le bien.
Tous les autres créanciers du débiteurs n’ayant pas droit de gage général sur le bien concerné, ils, ne pourront poursuivre les voies d’exécution sur les biens ou valeurs concernées dans l’action paulienne.
En 2006, la cour de cassation, a pu rappeler ce principe :
L'acte reste opposable à tous les créanciers sauf au créancier qui exerce l'action paulienne. C’est aussi une façon aussi de sanctionner le tiers complice.
En conclusion, il convient de rappeler qu’en sus de sa fonction comminatoire, l'action paulienne répare le préjudice subi par un créancier en raison de l'inexécution par le débiteur de son obligation.
Demeurant à votre disposition pour tous renseignements.
Maître HADDAD Sabine
Avocat au barreau de Paris