L’ordonnance du Juge aux affaires familiales près le Tribunal de Grande instance de Bayonne le 26 octobre 2011, accordant une autorité parentale conjointe entre deux femmes pacsées sur les jumelles reconnues par leur mère, fait couler de l’encre.
Il est actuellement admis que si l’adoption homoparentale est interdite en France, il n’est pas exclu que le seul titulaire de l’autorité parental puisse déléguer tout ou partie de l'exercice de son droit au partenaire ( homme ou femme) avec lequel il ou elle vit.
Certains analysent la décision du 26 octobre 2011 comme un revirement de jurisprudence, pendant que d’autres parlent d’avancée ou de jurisprudence confortée.
Pour ma part, je considère cette avancée morale et sociale comme importante et constate que cette décision va dans le sens de la lignée jurisprudentielle amorcée par la cour de cassation, tout en s'en distinguant.
Si l’analyse objective de la situation particulière de l’enfant, et son environnement sont pris en compte par le Jaf, il ne faut tout de même pas se méprendre,car cette décision n’est pas la Jurisprudence et pourrait bien être censurée.
I- Une décision appuyée sur la lettre abstraite de l'article 377 du code civil
A) L’intérêt supérieur de l’enfant mis en avant, du fait de la lettre abstraite du texte.
C'est une condition essentielle de la délégation de l’autorité parentale à son partenaire dans la lettre abstraite de l’article 377 du code civil.
L’article 377 du code civil énonce que:
« Les père et mère, ensemble ou séparément, peuvent, lorsque les circonstances l'exigent, saisir le juge en vue de voir déléguer tout ou partie de l'exercice de leur autorité parentale à un tiers, membre de la famille, proche digne de confiance, établissement agréé pour le recueil des enfants ou service départemental de l'aide sociale à l'enfance.
En cas de désintérêt manifeste ou si les parents sont dans l'impossibilité d'exercer tout ou partie de l'autorité parentale, le particulier, l'établissement ou le service départemental de l'aide sociale à l'enfance qui a recueilli l'enfant ou un membre de la famille peut également saisir le juge aux fins de se faire déléguer totalement ou partiellement l'exercice de l'autorité parentale (…)."
B) L’article 3.1 de la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE).
Cette notion est apparue dans l’article 3.1. de la Convention internationale des droits de l'enfant (CIDE) dite aussi "Convention de New York" adoptée par l’Organisation des Nations Unies le 20 novembre 1989.
Ce texte dispose que :« dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale »
II- Une décision qui va dans le sens de l’ouverture apportée par la cour de cassation au visa de l'article 377 du code civil
A) 1ère Civ , 24 février 2006 : pourvoi n° 04-17.090
Dès 2006, la cour avait admis la délégation de l'autorité parentale dans le cas d'un couple de lesbiennes en privilégiant l'intérêt supérieur de l'enfant.
En l’espèce, une femme mère de 2 enfants, dont la filiation paternelle n’a pu être établie, avait conclu un PACS avec sa compagne.
La mère souhaitait déléguer partiellement l’autorité parentale dont elle était titulaire.Le risque d’un accident a été pris en compte en ces termes:
« Mais attendu que l’article 377, alinéa 1er, du code civil ne s’oppose pas à ce qu’une mère seule titulaire de l’autorité parentale en délègue tout ou partie de l’exercice à la femme avec laquelle elle vit en union stable et continue, dès lors que les circonstances l’exigent et que la mesure est conforme à l’intérêt supérieur de l’enfant ;
Attendu qu’ayant relevé que Camille et Lou étaient décrites comme des enfants épanouies, équilibrées et heureuses, bénéficiant de l’amour, du respect, de l’autorité et de la sérénité nécessaires à leur développement, que la relation unissant Mme X... et Mme Y... était stable depuis de nombreuses années et considérée comme harmonieuse et fondée sur un respect de leur rôle auprès des enfants et que l’absence de filiation paternelle laissait craindre qu’en cas d’événement accidentel plaçant la mère, astreinte professionnellement à de longs trajets quotidiens, dans l’incapacité d’exprimer sa volonté, Mme Y... ne se heurtât à une impossibilité juridique de tenir le rôle éducatif qu’elle avait toujours eu aux yeux de Camille et de Lou, la cour d’appel a pu décider qu’il était de l’intérêt des enfants de déléguer partiellement à Mme Y... l’exercice de l’autorité parentale dont Mme X... est seule titulaire et de le partager entre elles ; qu’elle a ainsi légalement justifié sa décision ;"
B) L’intérêt supérieur de l’enfant et les conditions supplémentaires de la délégation de l’autorité parentale: 1ère Civ, 8 juillet 2010, pourvoi n° 09-12.623
1°- La confirmation de la jurisprudence de 2006
1ère Civ, 8 juillet 2010, pourvoi n° 09-12.623 a réaffirmé le A) pour deux femmes, seules titulaires de l’autorité parentale, chacune sur un enfant biologique, en précisant toutefois que la délégation d'autorité parentale au sein du couple homosexuel n’est pas un principe.
Dans l’espèce,le pourvoi est rejeté parce qu’il n’est pas démontré en quoi la délégation permettra:
« d'avoir de meilleures conditions de vie ou une meilleure protection ».
Il le sera aussi au regard de la condition que nous allons développer ci-dessous
2°- Les trois autres conditions posées par 1ère Civ 8 juillet 2010, pourvoi n° 09-12.623 pour un couple homosexuel
La cour autorise la délégation de l’autorité parentale sous 4 conditions.
-- L’intérêt supérieur de l’enfant, abordé plus haut,
-- le parent qui délègue son autorité (délégant) devra être le seul titulaire de l'autorité parentale;
-- l’union entre le délégant et son partenaire qui bénéficie de la délégation ( le délégataire) doit être stable et continue,
-- des circonstances particulières doivent justifier la demande.
Cette preuve sera difficile à établir.
En l’espèce:
« les déplacements professionnels invoqués par les demanderesses n'étaient qu'exceptionnels, le risque d'accidents n'était qu'hypothétique et semblable à celui auquel se trouvait confronté tout parent qui exerce seul l'autorité parentale et celles-ci ne s'étaient pas heurtées à des difficultés particulières pour pouvoir jouer auprès des tiers ou de leur entourage familial le rôle de parents qu'elles entendaient se reconnaître mutuellement ».
Il en allait de même de la conformité de la mesure demandée à l'intérêt supérieur des enfants, la cour d’appel a considéré qu’il n'était pas démontré en quoi la délégation de l'autorité parentale leur permettrait « d'avoir de meilleures conditions de vie ou une meilleure protection ».
- la délégation est conforme à l'intérêt supérieur de l'enfant.
Dans l’espèce , le pourvoi est aussi rejeté parce qu’il n’est pas démontré en quoi la délégation permettra
« d'avoir de meilleures conditions de vie ou une meilleure protection ».
III- Une décision laxiste annonciatrice d’un besoin d’évolution législative et de protection de l'enfant.
Cette décision amorce une reconnaissance de l'autorité parentale conjointe chez les couples homosexuels et marque le besoin d’ une évolution législative de façon plus ouverte dans l’intérêt de l’enfant dans la lettre de l’article 377 du code civil, qu'il suffirait de modifier.
Dans tous les cas, elle n’est pas fondée sur les principes visés dans les arrêts précités de la cour de cassation.
Pourtant, quoi de plus normal que de conférer des droits à deux personnes vivant sous le même toit,qui élèvent ensemble l’enfant reconnu par l’autre dans une harmonie mutuelle...
Ce droit va dans le sens de la protection de l’enfant, principalement pour la sécurité de l’enfant ( ex accident.)
En l’état du droit, rien n’indique que la cour de cassation la validera en cas de pourvoi.
Pourtant la sécurité de l'enfant reste si essentielle ici...
Demeurant à votre disposition pour toutes précisions complémentaires.
Maître HADDAD Sabine
Avocate au barreau de Paris