Dans deux précédents articles je me suis penchée sur l’analyse du lien nécessaire entre parents et enfant justifiant la mise en jeu de leur responsabilité du fait de leur enfant. Principalement sous l’angle de la cohabitation et de l’autorité parentale.
Ici, je me pencherai sur le fait dommageable commis par le mineur nécessaire à la mise en jeu de la responsabilité des parents. Or comment se fera concrètement la mise en jeu ?
La responsabilité solidaire du ou des parents, titulaires de l’autorité parentale ; suppose au préalable un fait dommageable commis par le mineur. C’est ce que j’étudierai ici.
I- Evolution de la jurisprudence
A) d’une responsabilité pour acte fautif du mineur
Elargissant le champ de cette responsabilité, la jurisprudence, au fait que la loi ne distingue pas les causes de responsabilité de l'enfant, ce dernier pouvait être tenu responsable en qualité de gardien de la chose instrument du dommage 2ème Civ. 19 février 1966 ; Gesbaud,
Au départ, la jurisprudence exigeait que la faute de l'enfant soit établie pour engager la responsabilité pour faute présumée de façon simple de ses parents, en tant que garants, -2ème Civ. 13 juin 1974, Bull. n° 198, ces deux fautes ayant l'une et l'autre concouru ensemble à la réalisation du dommage.
Les parents pouvaient s’exonérer de responsabilité en démontrant qu’ils n’avaient pas commis de faute. Leur responsabilité reposait sur une présomption simple de faute d'éducation et de surveillance.
Avec l'adjonction, d’un alinéa 7 à l’article 1384-4 du code civil par la loi du 5 avril 1937, énonçant « La responsabilité ci-dessus a lieu, à moins que les père et mère et les artisans ne prouvent qu'ils n'ont pu empêcher la faute qui donne lieu à cette responsabilité » ; ils ont eu aussi la possibilité d’arguer de la force majeure ou du cas fortuit.
La nature morale de la faute pose la question de la conscience,du discernement de l'enfant.
B)… vers une responsabilité objective ou de plein droit des parents pour tout fait, commis même sans faute par leur enfant mineur
Pour que la responsabilité de plein droit des père et mère titulaires de l'autorité parentale sur leur enfant habitant avec eux puisse être recherchée, il suffit que le dommage invoqué par la victime ait été directement causé par le fait, même non fautif, du mineur ; que seule la cause étrangère ou la faute de la victime peut exonérer les père et mère de cette responsabilité.
Depuis des arrêts du 9 mai 1984, dont Ass Plénière 9 mai 1984, FULLENWARTH , Bull. n° 4
« Pour que soit présumée, sur le fondement de l'art. 1384 al. 4 du Code civil, la responsabilité des père et mère d'un mineur habitant avec eux, il suffit que celui-ci ait commis un acte qui soit la cause directe du dommage invoqué par la victime ».
Dès lors, un fait même non fautif de l'enfant suffit à engager la responsabilité des parents.
L’article 1384, alinéa 4 exige seulement que le mineur « ait commis un acte qui soit la cause directe du dommage invoqué par la victime ».
Il n'est plus nécessaire que l'enfant ait eu un comportement illicite ou anormal.
L’absence de discernement n’empêchera pas la mise en jeu de la garantie des parents; laquelle peut être engagée même s'ils n'ont pas commis de faute dans l'exercice de leur autorité parentale.
C’est aussi pourquoi « la présence d’un enfant dans un établissement scolaire ne suffit pas par elle-même à écarter leur responsabilité.
Dans cette lignée;
-2ème Civ 19 février 1997 BERTRAND a consacré cette responsabilité « de plein droit , dont « seule la force majeure ou la faute de la victime » peut les exonérer ( c’est ce que j’aborderai dans mon dernier article.)
-2ème Civ 10 mai 2001 , LEVERT Bull. n° 96
« la responsabilité de plein droit encourue par les père et mère du fait des dommages causés par leur enfant mineur habitant avec eux n'est pas subordonnée à l'existence d'une faute de l'enfant ».
Cela a été jugé suite à un accident d’un camarade au cours d'une partie de rugby organisée par un établissement scolaire, alors que l’enfant avait joué en respectant les règles du jeu.
TOUT ACTE OU GESTE du mineur QUI CAUSE DIRECTEMENT LE DOMMAGE pourra ainsi être générateur de responsabilité de ses parents.
Nous sommes en plein dans le domaine de la responsabilité pour risque consacrée par 2 arrêts Ass Plénière 13 décembre 2002 MINC et POULLET (Bull. civ. n° 5 et Bull. crim. n° 3) qui viennent en continuité des arrêts précédents. « Fullenwarth », « Bertrand » et « Levert ».
-Cass Ass Plénière 13 décembre 2002, n° de pourvoi : 01-14007
Vu l’article 1384 alinéa 1,4,7 du code civil ;
« pour que la responsabilité de plein droit des père et mère exerçant l'autorité parentale sur un mineur habitant avec eux puisse être recherchée, il suffit que le dommage invoqué par la victime ait été directement causé par le fait même non fautif du mineur ; que seule la force majeure ou la faute de la victime peut exonérer les père et mère de cette responsabilité ».
Dans la première espèce MINC, il s'agissait d'un tout jeune enfant, qui, au cours d'une séance d'éducation physique, avait perdu l'équilibre, en regagnant sa place et, en chutant, avait porté un coup de pied à la tête d'un camarade assis au sol.
Dans la seconde espèce POULLET, il s'agissait à l'inverse d'un adolescent de 17 ans qui, au cours d'une partie de ballon improvisée inspirée du rugby ou du football américain, avait, par un placage, jeté au sol un de ses adversaires qui, en chutant, avait lui-même blessé un de leurs camarades en train de se relever. Dans les deux cas, les juges du fond avait écarté la responsabilité des père et mère des mineurs auteurs des gestes dommageables, en retenant leur absence de faute. Les arrêts d'appel ont été censurés pour violation de l'art. 1384 al. 4 et 7 du C.C.
Le recul de la notion de faute comme fondement de la responsabilité civile est amorcé.
Il conviendra de prévoir une assurance responsabilité civile ou scolaire.
L'enjeu est d'autant plus important que, dans la même logique, la condition de cohabitation nécessaire à l'engagement de cette responsabilité civile a connu parallèlement une évolution jurisprudentielle qui, en la minimisant, lui a peu à peu conféré un caractère quasi abstrait, tel qu'exposé dans mes deux précédents articles.
-2ème Civ 3 juillet 2003, pourvoi n° 02 15 696
La responsabilité de plein droit encourue par les père et mère du fait des dommages causés par leur enfant mineur habitant avec eux n'est pas subordonnée à l'existence d'une faute de l'enfant. Dès lors, viole l'article 1384, alinéas 4 et 7, du Code civil, le tribunal qui, pour débouter les parents d'un élève âgé de quatorze ans, blessé au cours d'un "jeu de combat", organisé et surveillé par un professeur d'éducation physique et sportive, au cours duquel cet élève a reçu un coup de coude au visage de la part de l'un de ses camarades, lui cassant deux dents, de leur demande en réparation du préjudice subi par leur enfant, dirigée contre les parents de l'auteur du dommage, retient qu'il ne peut être relevé à l'encontre de ce dernier aucune faute susceptible d'engager sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.
Dans un quatrième et dernier article consacré à ce thème, je rappellerai les causes d’exonération de la responsabilité des parents.
Demeurant à votre disposition pour toutes précisions.
Sabine HADDAD
Avocate au barreau de Paris