Peut-on prouver par enregistrement en justice ? telle est la question.
La réponse sera mitigée en fonction du domaine de la preuve et de la situation.
Les moyens de preuves modernes tirés de la reproduction ou de la messagerie
Si une conversation a été enregistrée à l'insu de quelqu'un, cette personne pourrait se retourner contre la personne auteur de l'enregistrement déloyal, et faire écarter ce mode de preuve comme irrecevable.
Je présenterai dans cet article Les enregistrements comme mode de preuve « déloyal » dans une analyse du domaine restrictif.
Je me pencherai sur l'atténuation de la rigueur au pénal dans un prochain article à paraître.
I- L'enregistrement comme mode de preuve en droit social
A) L'enregistrement clandestin est illicite
Tout enregistrement obtenu à l'insu du salarie dans des conditions déloyales, dans un manque total de transparence, doit être purement et simplement écarté au niveau social, et peut être réprimé au niveau pénal.
1°- Les Fondements classiques de l'interdiction
A cette fin, elle pourrait arguer des textes suivants:
-article 9 code civil sur le droit respect vie privée
-article 6 al 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales CESDH, puisque ce mode de preuve n'est pas conforme à l'égalité des armes entre les parties, donc au procès équitable
-article 226-1 du code pénal prohibe comme preuve les enregistrements obtenus au moyen d'un procédé quelconque de paroles prononcées dans un lieu privé par une personne sans le consentement de celle-ci.
2°- La Jurisprudence
Soc 20 novembre 1991, n° de pourvoi : 88-43120 "Néocel", reconnaît que:
« tout enregistrement, quels qu'en soient les motifs, d'images ou de paroles à [l’]insu [des salariés], constitue un mode de preuve illicite »,
Soc, 2 octobre 2001, Société Nikon France c/ M. X, n° de pourvoi : 99-42942, instaure un droit du salarié à l’intimité de la vie privée,
Cass. soc. 23 mai 2007,n°pourvoi 06-43.209, SCP "Laville-Aragon et autre c/ Melle Y", a tranché la question en sens inverse en reconnaissant la recevabilité des SMS comme moyen de preuve...
Dans cette affaire, une salariée se prétendait victime de harcèlement sexuel de la part de son employeur. Elle avait alors produit la retranscription des sms établie par huissier de justice, adressés et que son téléphone portable avait enregistrés, afin de prouver de tels actes. La Cour de cassation a accepté ce mode de preuve.
B) A contrario, l'enregistrement effectué en toute connaissance de cause par la personne enregistrée, est loyal et licite
1°- Le sms
« si l’enregistrement d’une conversation téléphonique privée, effectué à l’insu de l’auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue, il n’en est pas de même de l’utilisation par le destinataire des messages écrits téléphoniquement adressés, dits SMS, dont l’auteur ne peut ignorer qu’ils sont enregistrés par l’appareil récepteur ».
Pour elle, il convient donc de distinguer si les enregistrements ont été effectués « à l’insu de l’auteur des propos invoqués » ou non. De ce point de vue, l’exploitation de SMS est différente de celle d’enregistrements téléphoniques puisque leur « auteur ne peut ignorer qu’ils sont enregistrés par l’appareil récepteur ».
2°- Un message laissé sur répondeur rentrera dans cette analyse
3°- L'enregistrement effectué après avoir obtenu le consentement de la personne ( Ne rêvons pas!)
4°-L'enregistrement effectué après avertissement de la personne: Qui ne dit mot consent ?
Déjà les enregistrements téléphoniques ont été admis comme mode de preuve licite, si les salariés ont été préalablement avertis de leur existence: Soc,14 mars 2000, société Instinet France c./M. X, n° de pourvoi : 98-42090.
Le dispositif d’enregistrement devra avoir fait l’objet, « préalablement à son introduction, d'une information et d'une consultation du comité d'entreprise » Soc. 7 juin 2006, M. X c/ société Continent France groupe Carrefour, n° pourvoi : 04-43866), conformément à l’article L 432-2-1 du code du travail (devenu article L 2323-32 du nouveau code du travail),
II-L'enregistrement comme mode de preuve en Droit civil et en Droit Commercial
A) en Droit civil : la loyauté du débat et des preuves librement débattue suppose d'écarter tout enregistrement réalisé à l'insu d'une personne.
La preuve incombe au demandeur article 1315 code civil
1°- En principe un fait juridique doit pouvoir se prouver par tous moyens de preuve loyaux
2°-Un acte juridique à défaut d’écrit, supposera un commencement de preuve par écrit.
2ème Civ 7 octobre 2004, n° de pourvoi : 03-12653
Il s’agissait de prouver la réalité d’un prêt de 25 000 €uros réclamé par les héritiers du créancier. Ceux-ci avaient produits l’ enregistrement d’une conversation téléphonique effectué du vivant du créancier, à l’insu de la débtrice qui démontrait l’ intention de prêt et non de don.
Pour la cour "Qu'en statuant ainsi, alors que l'enregistrement d'une conversation téléphonique privée, effectué et conservé à l'insu de l'auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
3°- Le sms admis comme mode de preuve en matière familiale: 1 ère Civ,17 juin 2009,pourvoi N° 07-21.796
un conjoint avait démontré par sms reçu sur portable l'adultère de l'autre après avoir fait retranscrire le message dans un procès-verbal d'huissier de justice.
La cour d'appel a en effet considéré que ces SMS relevaient "de la confidentialité et du secret des correspondances et que la lecture de ces courriers à l'insu de leur destinataire constitue une atteinte grave à l'intimité de la personne".
Néanmoins, la Cour de cassation a censuré l'arrêt d'appel aux visas des articles 259 et 259-1 du code civil, les juges du fond n'ayant pas constaté "que les sms avaient été obtenus par violence ou fraude".
B) en Droit commercial : Même analyse
L’article 109 du code de commerce suppose la preuve par tous moyens.
Une partie peut produire un enregistrement clandestin d’une conversation téléphonique privée sans porter atteinte au principe de la loyauté des preuves !
Cass. Commerciale, 23 février 2003, n° pourvoi 01-02913
L'enregistrement à l'insu de son interlocuteur d'une conversation téléphonique ou encore le témoignage écrit par une tierce personne de cette conversation téléphonique, n'est pas une preuve loyale Cass. com., 3 juin 2008, pourvoi n° 07-17.147 Cass Com 13 oct 2009
Assemblée Plénière 7 janvier 2011, pourvois n° 09-14.316 et 09-14.667" Société Philips France et Société Sony France c/ Ministre de l’économie"
"refuse de prouver une pratique anticoncurrentielle par le biais d'un enregistrement téléphonique clandestin".
C'est sur le fondement de l'article 9 du code de procédure civile et de l'article 6 § 1 de la CESDH, ainsi qu'au visa du principe de loyauté dans l'administration de la preuve, que l'assemblée plénière de la cour de cassation vient de juger juge que l'enregistrement d'une conversation téléphonique réalisé à l'insu des auteurs du propos est un procédé déloyal.
A ce titre, il ne peut pas constituer une preuve valable.
La Cour de cassation rappelle que les règles du code de procédure civile sont applicables aux litiges qui relèvent de l'Autorité de la concurrence, sauf dispositions expresses du code de commerce.
Par conséquent, les règles particulières d'administration de la preuve en matière pénale (article 427 du code de procédure pénale) ne sont pas applicables en l'espèce.
« Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d'après son intime conviction. Le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui. »
Dans ces deux affaires, les sociétés Philips France et Sony France ont été mises en cause dans des pratiques anti-concurrentielles sur la base d'enregistrements établis à leur insu.
Le Conseil de la concurrence avait prononcé des sanctions en s'appuyant sur ceux-ci bien que les sociétés avaient opposé une fin de non-recevoir à leur encontre.
Ces sanctions ont été confirmées sur un premier appel qui a été cassé. Aussi, la Cour de renvoi a maintenu la décision des premiers juges d'appel, provoquant un deuxième pourvoi en cassation.
En premier lieu, « sauf disposition expresse contraire du code de commerce, les règles du code de procédure civile s'appliquent au contentieux des pratiques anticoncurrentielles relevant de l'Autorité de la concurrence ». En deuxième et dernier lieu, « l'enregistrement d'une communication téléphonique réalisé à l'insu de l'auteur des propos tenus constitue un procédé déloyal rendant irrecevable sa production à titre de preuve ».
L'arrêt a été cassé une deuxième fois, montant ainsi l'attachement de la haute juridiction au principe de loyauté dans l'administration de la preuve en matière civile.
Dans un prochain article, je me pencherai sur l’atténuation de la rigueur par les tribunaux en matiére pénale de la preuve d'une infraction.
Demeurant à votre disposition pour toutes précisions.
Maître HADDAD Sabine
Avocate au barreau de Paris