Après avoir rappelé le principe textuel et jurisprudentiel, faisant que l'assurance vie ne rentre pas dans le patrimoine successoral du défunt et reste propriété exclusive du bénéficiaire, j'ai pu rappeler l'exception liée aux primes manifestement exagérées, lesquelles pourront être réintégrées...
Cet article est la suite et constitue un tout indivisible avec le premier publié consacré à ce thème. "La question de l'assurance vie non révélée "http://www.legavox.fr/blog/maitre-haddad-sabine/question-assurance-revelee-3482.htm
Dans la mesure où le conjoint survivant et les héritiers du souscripteur qui n'ont pas été désignés comme bénéficiaires n'ont aucun droit sur le capital ou la rente garantis, la loi leur accorde des droits en leur laissant la possibilité d'intenter une action en justice contre le bénéficiaire s'ils s'estiment lésés.
Il leur appartient alors d'apporter la preuve du caractère manifestement exagéré des primes par rapport aux facultés financières du défunt.
Je m'interrogerai sur la preuve et les critères du caractère manifestement exagéré des primes en vue du rapport avant de donner des exemples de jurisprudence .
I- L’appréciation du caractère manifestement exagéré des primes et les critères à retenir
A) Il s’apprécie au moment du versement des primes (souscription) et non au moment du décès.
La jurisprudence est relativement abondante sur ce point et les arrêts qui apprécient le caractère exagéré des primes au moment du décès encourront la cassation.
2ème Civ, 12 mars 2009 pourvoi n° : 08-11980 (premier moyen)
ALORS QUE les primes versées par le souscripteur d'un contrat d'assurance vie ne sont rapportables à la succession que si elles présentent un caractère manifestement exagéré eu égard aux facultés du souscripteur ; un tel caractère s'apprécie au moment du versement, au regard de l'âge ainsi que des situations patrimoniale et familiale du souscripteur et de l'utilité de l'opération ;
Qu'en se bornant à décider que le montant de la prime était exagéré au regard de l'actif de la succession, sans rechercher si l'existence d'un patrimoine constitué de 925 000 F provenant de la vente d'un immeuble à PUTEAUX,350 450 F provenant de la vente de la nue-propriété de la maison de DOUX, de 375 354,77 F de la vente de l'appartement de POITIERS, de mouvements de fonds ayant porté à 103 118,99 F le compte bancaire en décembre 1995 et la nécessité de faire fructifier les fonds perçus au titre de la vente de l'appartement de POITIERS dont une partie a servi au paiement de la prime ne rendait pas nécessaire cette mesure de placement, la Cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure de se prononcer, privant ainsi sa décision de base légale au regard de l'article L. 132-13 du Code des assurances ;
Pour la Cour de cassation, il conviendra de prendre en compte l’opération en tant que telle du point de vue de l’organisation de la succession compte tenu de l’âge du souscripteur et non au moment du versement
B) Les critères à retenir
L'importance des primes s'apprécie souverainement par les Tribunaux au cas par cas au regard des éléments de fait propres à la situation.
2ème Civ, 17 septembre 2009, pourvoi n°° 08-17040 a rappelé les critères à considérer au cas par cas ,à savoir :
- L’âge du souscripteur
- Sa situation patrimoniale et familiale
- L’utilité du contrat pour le souscripteur
« Vu l'article L. 132-13 du code des assurances ; Attendu, selon ce texte, que les primes versées par le souscripteur d'un contrat d'assurance-vie ne sont rapportables à la succession que si elles présentent un caractère manifestement exagéré eu égard aux facultés du souscripteur ; qu'un tel caractère s'apprécie au moment du versement, au regard de l'âge, ainsi que des situations patrimoniale et familiale du souscripteur et de l'utilité de ce contrat pour ce dernier »
Déjà la cour de cassation réunie en chambre Mixte, avait rendu 4 arrêts le 23 nov. 2004, pourvoi n° 03-13.673, 02-17.507, 02-11.352 et 01-13.592, RTD civ. 2005, pour préciser que le caractère manifestement excessif doit s’apprécier lors du versement, au regard de l’âge ainsi que des situations patrimoniale et familiale du souscripteur .
Ces jurisprudences mettent fin à celles antérieures, qui portaient sur la requalification des contrats "d'épargne-assurance" en contrats de capitalisation.
Deux critères essentiels à la notion d’exagération manifeste ont ainsi été posés
1°- l’importance de la prime versée au regard de la fortune ou du patrimoine du souscripteur, tel qu’il existe au moment du versement,
2°- l’utilité du versement effectué par rapport à la situation du souscripteur. ( le but poursuivi),
Ainsi un souscripteur qui place dans le but d’améliorer ses revenus actuels ou futurs, et aura une éventualité réelle d’utilisation de son épargne constituée, aura conclu un contrat utile.
Il aura effectué un placement à moyen ou long terme avec une fiscalité intéressante…
De ce fait, l’espérance de vie, au regard de l’âge de l’assuré sera un élément pris en compte dans le critère de l’utilité, mais au moment de la souscription.
II- De quelques jurisprudences sur l'appréciation souveraine du caractère manifestement exagéré ou non des primes
A) Sur les primes non exagérées au regard de la situation
La cour d’appel, a souverainement estimé, au regard des situations familiale et patrimoniale du souscripteur, que la prime n’était pas manifestement exagérée au sens de l’article L. 132-13 du code des assurances:
1ère Civ, 8 juillet 2010, pourvoi n° 09-15291
Pour un souscripteur marié sous le régime de la communauté légale, ayant 1 enfant et 3 petits-enfants, malade, mais dont l’espérance de vie était démontrée , ayant versé une cotisation initiale de 15 045 000 francs, correspondant à moins de 14 % du patrimoine des époux…
1ère Civ, 17 juin 2009 pourvoi n°08-13.620
Les juges du fond ont relevé qu’âgé de 78 ans en 2004, J… Y… dirigeait toujours ses entreprises et retenu que, compte tenu de son espérance de vie, de la nature de ses obligations familiales et de la possibilité de rachat en cas de difficultés de trésorerie, faculté dont il avait usé en rachetant en 2004, sans frais ni pénalité, l’un des deux contrats Lion-vie, le contrat souscrit présentait pour le souscripteur une utilité certaine, tout en lui permettant, à raison de sa situation de fortune et de ses revenus, d’assurer ses obligations à l’égard de son épouse ;
1ère Civ, 31 octobre 2007, pourvoi n°: 08-13620
Jean-Claude X..., qui n'avait pas d'enfant, avait perçu un revenu global de 3 098 833 euros de 1994 à 2004 .Ses déclarations d'impôt de solidarité sur la fortune mentionnaient une base imposable comprise entre 1 et près de 2 millions d'euros au cours de la même période.
Pour l'ensemble des contrats, il avait payé environ 1 900 000 euros à titre de primes, déduction faite des rachats intervenus pour un montant de 862 898 euros, soit approximativement la moitié de ses revenus et, qu'au titre du contrat Lion-vie encore en vigueur, souscrit en 1998 au profit de Mme B..., Jean-Claude X... avait versé des primes de 118 910, 23 euros, cette année-là et de 323 640 euros en 2004, dont une somme de 238 000 euros, correspondant au produit d'une vente immobilière revenant à Mme B..., devait être déduite . Agé de 78 ans en 2004, Jean-Claude X... dirigeait toujours ses entreprises et retenu.
La Cour a retenu que compte tenu de son espérance de vie, de la nature de ses obligations familiales et de la possibilité de rachat en cas de difficultés de trésorerie, faculté dont il avait usé en rachetant en 2004, sans frais ni pénalité, l'un des deux contrats Lion-vie, le contrat souscrit présentait pour le souscripteur une utilité certaine, tout en lui permettant, à raison de sa situation de fortune et de ses revenus, d'assurer ses obligations à l’égard de son épouse ; qu'au regard des situations patrimoniale et familiale du souscripteur, les primes versées n'étaient pas manifestement exagérées au sens de l'article L. 132-13 du code des assurances.
B) Sur les primes considérées comme exagérées au regard de la situation
1ère civ, 1 juillet 2010, pourvoi n° 09-67770 (rejet)
Pour un souscripteur d’une assurance sur la vie pour 46 000 euros, qui lors de ce versement dispose de placements sur divers comptes, sur lesquels il avait réparti le solde du prix de vente d’un immeuble et dont les comptes servaient au règlement des frais de la maison de retraite. Après imputation de ces paiements, il lui restait un faible solde au moment du versement de la prime.
Suite à la vente de l’immeuble familial ses avoirs étaient presque exclusivement constitués du prix de vente, laissant apparaître un versement d’une prime représentant plus de la moitié de ce prix. De plus le souscripteur ne disposait d’une mince retraite de 800 euros par mois ,insuffisante à couvrir l’intégralité de frais de séjour en maison de retraite ;
1ère Civ, 31 octobre 2007, pourvoi n° : 06-14399 (rejet)
Une personne âgée de 89 ans lors de la souscription du contrat d'assurance-vie avait effectué quatre versements d'un montant total de 8 689,59 euros entre le 11 octobre 1996 et le 6 juillet 1998, elle percevait des revenus mensuels d'environ 1 372,04 euros sur lesquels elle versait à Mme C... une somme de 731,76 euros. il lui restait donc une somme mensuelle nette de 640,29 euros représentant à 152,45 euros près la somme nécessaire au paiement des primes.
Pour la cour, les juges du fond ont pris en compte l'âge de la souscriptrice et sa situation patrimoniale et familiale, et estimés que les primes versées étaient manifestement exagérées, au sens de l'article L. 132-13 du Code des assurances, eu égard aux facultés de la défunte, de sorte qu'elles devaient être rapportés par la bénéficiaire du contrat, à l'actif successoral de sa mère.
Demeurant à votre disposition pour toutes précisions.
Maître HADDAD Sabine