Si dans l’opinion commune, le recel est constitutif d’un délit pénal, il faut savoir qu’il trouve aussi sa place en matière civile et particulièrement dans les domaines liés aux partages, soumis à inventaire, tels en matière d'indivision post-communautaire ou d’indivision ou successorale. C’est sur cette dernière fraude, ce délit civil: Le recel de successions que je me pencherai dans cet article.
Le recel successoral est constitué dès lors qu’un ou plusieurs cohéritiers tenteront de s'approprier une part supérieure à celle à laquelle il a ou ils ont droit dans la succession du défunt ou de cujus. Il s'agira de frauder dans le partage.
Il fait partie des nombreux conflits entre héritiers, avec ceux liés à l'évaluation des biens ou aux attributions issues du partage.
La jurisprudence a eu à statuer sur ses éléments constitutifs dans le cadre de l’ancien article 792 du code civil.L’article 778 du code civil modifié par la Loi 2009-526 du 12 mai 2009 vise le recel de succession comme suit:
« Sans préjudice de dommages et intérêts, l'héritier qui a recelé des biens ou des droits d'une succession ou dissimulé l'existence d'un cohéritier est réputé accepter purement et simplement la succession, nonobstant toute renonciation ou acceptation à concurrence de l'actif net, sans pouvoir prétendre à aucune part dans les biens ou les droits détournés ou recelés. Les droits revenant à l'héritier dissimulé et qui ont ou auraient pu augmenter ceux de l'auteur de la dissimulation sont réputés avoir été recelés par ce dernier. Lorsque le recel a porté sur une donation rapportable ou réductible, l'héritier doit le rapport ou la réduction de cette donation sans pouvoir y prétendre à aucune part. L'héritier receleur est tenu de rendre tous les fruits et revenus produits par les biens recelés dont il a eu la jouissance depuis l'ouverture de la succession. »
I- Eléments constitutifs du recel successoral
S’agissant d’un « délit » civil, il suppose l'existence, d'un élément matériel et d'un élément intentionnel, de la même façon que tout délit pénal. Les juges du fond disposent d’un pouvoir souverain d’appréciation.
A) L'élément matériel du recel commis par un héritier, un légataire universel ou un donataire.
Il suppose que la personne prenne part directement à la succession et intervienne en tant qu'héritier universel. A contrario, un légataire particulier, étranger à la masse ne sera pas concerné.
1ère civ 28 janvier 2009, pourvoi n° 07-19573
a jugé que la qualité d'héritier est indivisible pour les parties à l'instance. Ayant constaté l'inaction de la fille du défunt pendant plus de 30 ans et retenu que tous les héritiers n'avaient pas renoncé à se prévaloir du moyen tiré de la prescription qu'ils avaient invoqué.Une cour d'appel a décidé à bon droit que l'action introduite par la fille du défunt était irrecevable.
" les dispositions de l'article 792 du code civil, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006, ne peuvent être mises en oeuvre que par les héritiers et les créanciers de la succession ; que l'inaction de Mme X... ayant fait perdre à celle-ci, à l'expiration du délai de prescription, la qualité d'héritier, il en résulte que la demande de ses ayants droit tendant à l'application de la sanction du recel successoral était irrecevable ..."
Cet arrêt rendu sous l'empire de l'article 792 ancien du code civil devenu l'article 778 du code civil, porte des principes toujours applicables.
1°- En quoi consiste l'acte de dissimulation ou de soustraction.
- La dissimulation peut viser:
. une donation, tel un don manuel d'une somme d'argent en vue d'une acquisition que fait un parent à un de ses enfants et qui doit être déclarée au moment de la succession. Son omission sera constitutive d'un recel.
. un retrait d'éspèces ou des virements opérés à son profit, rentrant dans une succession; 1ère Civ 28 juin 1985, pourvoi n°04-13776.
Les juges du fond sont souverains pour apprécier si un héritier a disposé de sommes à l'insu des autres cohéritiers. En l'espèce, la cour avait considéré que cela avait été rendu possible par le biais de procurations dont l'héritier disposait sur les comptes.
A noter: Lorsque des retraits de sommes sont opérés par un membre de la famille ,muni d'une procuration bancaire une analyse détaillée du ou des compte(s) pourra permettre de démontrer les ou les prélèvements excessif(s) plus ou moins réguliers à des fins personnelles. En effet, l'héritier recéleur tentera de plaider la plupart du temps à l'utilisation des sommes utilisées à des fins personnelles sur demande du défunt !
Ces dépenses confrontées aux dépenses courantes faites par la personne avant son décès serviront à caractériser le recel, et ce, même si ces opérations figuraient dans des comptes dont disposait le notaire.
L’absence de rapport spontanément d'une donation "rapportable", ou d'une donation réductible par préciput de somme d'argent prélevées indûment est constitutif de recel.
. Un héritier « caché ».
- Le détournement d'un bien, meuble, ou d'une dette dont l'héritier est redevable.
1ère Civ du 20 septembre 2006, a pu consacrer l'existence du recel d'héritier;
- la non révélation lors d'un inventaire de l'existence de biens successoraux que l'on détient;
- La confection d'un faux testament.
2°- L'élément intentionnel : la fraude aux droits des autres héritiers
Il s’agit d’une volonté de tromper sciemment, de fausser en conscience des opérations de partage, de tronquer son égalité.
En un mot nous sommes en présence de la mauvaise foi, du mensonge nullement assimilable à la simple erreur.
3°- L'absence de repentir de l'héritier.
Le repentir en matière de recel constitué suppose une restitution SPONTANEE et ANTERIEURE aux poursuites, 1ère Civ 14 juin 2005, pourvoi n°04-10-755; 1ère Civ 17 janvier 2006, pourvoi n° 04-17-675. Celle-ci devra être libré et sincère.
Il ne suffira donc pas à un recéleur placé devant le fait accompli de se repentir.
B) La question de l'assurance vie non révélée.
L’héritier bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie qui s’est abstenu volontairement d’en révéler l’existence peut-il être accusé de recel successoral ?
--La réponse de principe se trouve dans l’article L 132-13 du code des assurances
« Le capital ou la rente payables au décès du contractant à un bénéficiaire déterminé ne sont soumis ni aux règles du rapport à succession, ni à celles de la réduction pour atteinte à la réserve des héritiers du contractant. Ces règles ne s'appliquent pas non plus aux sommes versées par le contractant à titre de primes, à moins que celles-ci n'aient été manifestement exagérées eu égard à ses facultés. »
-- Cette réponse négative, trouve exception dans tout silence qui consisterait à dissimuler des primes manifestement exagérées.
1ère civ 12 décembre 2007, pourvoi n° 06-19.653
« Mais attendu que s’agissant d’un contrat d’assurance-vie, dès lors que le capital ou la rente payables au décès du souscripteur et que les primes versées par lui, sauf preuve judiciairement constatée du caractère manifestement exagéré de celles-ci eu égard à ses facultés, ne sont pas soumis à rapport à la succession, la non-révélation de l’existence du contrat par un héritier n’est pas constitutive, par elle-même, d’un recel successoral, faute d’élément intentionnel ; que, par ce motif de pur droit, substitué, dans les conditions de l’article 1015 du nouveau code de procédure civile, à celui critiqué, l’arrêt se trouve légalement justifié ».
Le contrat d’assurance-vie (au sens qui lui est donné ici par la cour de cassation) n’est donc pas soumis au rapport successoral. Etant hors succession, il ne peut faire l’objet de recel.
1ère Civ, 4 juin 2009, pourvoi n° 08-15.093
« La dissimulation du capital d'une assurance vie par un héritier est un recel successoral, si les primes versées par le souscripteur sont manifestement exagérées, elles constituent des libéralités dont il doit être tenu compte dans la liquidation de la succession »
« La non-révélation d’un contrat d’assurance-vie par un successible qui en est le bénéficiaire n’est constitutive d’un recel que si le silence gardé vise à dissimuler, sciemment, les primes manifestement exagérée versées par le souscripteur à l’entreprise d’assurance.Mais l’excès manifeste doit être judiciairement constaté »
Il faut rappeler que les les sommes versées au décès de l'assuré à un bénéficiaire déterminé en vertu d'un contrat d'assurance vie ne font pas partie de sa succession et sont la propriété exclusive du bénéficiaire.
Dans la mesure où le conjoint survivant et les héritiers du souscripteur qui n'ont pas été désignés comme bénéficiaires n'ont aucun droit sur le capital ou la rente garantis, la loi leur accorde des droits en leur laissant la possibilité d'intenter une action en justice contre le bénéficiaire, s'ils s'estiment lésés.
Il leur appartient alors d'apporter la preuve du caractère manifestement exagéré des primes par rapport aux facultés financières du défunt.
L'importance des primes s'appréciera souverainement par les Tribunaux au cas par cas, au regard des éléments de fait propres à la situation :
- en comparant leur montant à celui de la fortune du souscripteur ou à son train de vie,
- en essayant d'évaluer le but poursuivi par le souscripteur.
II Une sanction privée radicale à l'encontre du receleur: La mort de l'héritier.
Il appartient au Tribunal de Grande Instance du lieu d’ouverture de la succession de statuer sur ces situations, avec représentation obligatoire par un avocat.
La procédure est certes longue et coûteuse, mais nécessaire pour rentrer dans ses droits.
L'héritier fautif, fraudeur s'expose dans tous les cas à devoir indemniser la victime du recel par une condamnation à des dommages et intérêts, mais pas seulement. Il encourt :
A) La perte des droits sur le bien recelé
1°- perte de la faculté de renoncer ou d’accepter la succession à concurrence de l’actif net.
Il s’agit de la perte de l’option successorale Le receleur ne pourra plus refuser ou accepter une succession à concurrence de l’actif net.
Ainsi, si la succession est déficitaire, il devra en assumer les charges.
2° perte des droits sur la part des objets divertis ou recelés.
B) Le rapport à la masse successorale.
1°- En cas de recel de donation rapportable ou réductible, l'héritier doit le rapport ou la réduction de cette donation, sur laquelle il aura perdu ses droits.
L'héritier est ainsi privé des biens qu'il a détournés, qui sont intégralement attribués aux autres héritiers (article 778 du Code civil).
Une cour d'appel a même pu ajouter une sanction fiscale à la sanction civile : en taxant l'héritier receleur des droits de succession sur la part de l'actif qu'il a perdue du fait de sa condamnation pour recel. Cour d'appel de Paris du 27 juin 2008, pourvoi n° 07-7708, 1e ch. sect. B.
2°- L'obligation de restituer tous les fruits et revenus perçus sur l’objet recelé.
1ère Civ 31 octobre 2007, pourvoi n°06-14-399.
C'est à bon droit que la cour d'appel a fait courir les intérêts au taux légal sur chacune des sommes recélées à compter de leur appropriation injustifiée.
L'article 778 du code civil stipule que..." l'héritier receleur est tenu de rendre tous les fruits et revenus produits par les biens recelés dont il a eu la jouissance depuis l'ouverture de la succession."
C) Des poursuites pénales envisageables cumulatives
Il n'est pas exclu qu'une plainte pour faux, vol, escroquerie ou abus de confiance soit déposée.
Le recéleur encoura une peine d'amende et/ou de prison ainsi qu'une inscription de la condamnation à son casier judiciaire.
D) L'action paulienne des créanciers lesés
Cette action est destinée à rendre inopposable l'acte constitutif de recel.
Elle permettra à un créancier d'attaquer l'acte fait par son débiteur lorsque ce dernier aura agi en fraude de ses droits.
III- Les mesures préventives mises à disposition.
Comment pallier au risque de recel ?
A) L'établissement d'un inventaire rapide
Il convient de faire établir un inventaire des biens de la succession par le biais d'un Notaire et d'un Commissaire-priseur.
En cas de soustraction, d'un bien figurant sur l'inventaire, la preuve du recel sera facilité
Un second moyen est aussi envisageable dès l'ouverture de la succession.
B) La demande d'apposition des scellés dès l'ouverture de la succession auprès du greffe du Tribunal d'instance par tout légataire, héritier ou créancier du défunt.
En conclusion, rappelons qu'il existe d'autres types de malversations opérées par voie de manoeuvres, ruses et/ou mensonges lors de l'ouverture d'une succession.
Ainsi, la manipulation découlant de la captation d'héritage, destinée à obtenir le bien d'une personne insuffisamment éclairée, du fait de l'âge, ou de la maladie.
Ici, les Tribunaux, à l'appui d'un faisceau d'indices, se pencheront sur un recours en annulation d'héritage.
Cette procédure sera conditionnée par une preuve libre de l'altération des facultés au moment de la réalisation de l'acte. Les manoeuvres frauduleuses ,ruses opérées par le captateur en vue de la remise d'un bien seront aussi envisagées..
Demeurant à votre entière disposition pour toutes précisions en cliquant sur http://www.conseil-juridique.net/sabine-haddad/avocat-1372.htm
Sabine HADDAD
Avocate au barreau de Paris