La prescription des actions aux fins de sanctions personnelles non pécuniaires dans le droit des entreprises en difficulté.
Une société anonyme avait vu ouvrir à son encontre par jugement en date du 8 novembre 2006 une procédure de redressement judiciaire, laquelle a été convertie par la suite en liquidation judiciaire par jugement du 8 novembre 2007.
Le liquidateur avait, par exploit d'huissier délivré le 9 décembre 2009, assigné le dirigeant l'entreprise afin de voir le tribunal prononcer à son encontre les sanctions de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer pour une durée qu'il lui plaira de fixer.
Le dirigeant, pour s'opposer à la demande, a fait valoir une fin de non-recevoir tiré de la prescription sur le fondement des articles 122 du code de procédure civile et L 653-1-II du code de commerce.
Ce dernier article prévoit que les actions aux fins de sanctions personnelles non pécuniaires se prescrivent par trois ans à compter du jugement qui prononce l’ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.
Et le dirigeant de soutenir qu'en cas de conversion d’un redressement en liquidation judiciaire, le délai court à compter du jugement de redressement judiciaire, ce dernier étant seul considéré comme étant le jugement d’ouverture (en ce sens Droit et pratique des Procédures collectives, Pr Pierre-Michel LE CORRE, Dalloz Action 2010-2011, n° 911.35).
Partant d’un jugement rendu le 8 novembre 2006 ouvrant une procédure de redressement judiciaire, l’action intentée le 9 décembre 2009 se trouvait, selon le dirigeant, atteinte par la prescription.
Pour s'opposer à cette fin de non recevoir, le liquidateur faisait valoir notamment qu'il n'était pas possible de considérer qu'une action commençait à se prescrire avant même que la personne habilitée à agir, c'est-à-dire le liquidateur, puisse intenter l'action.
Effectivement, le pouvoir d'agir en sanctions qui appartient au liquidateur en vertu de l'article L. 653-7 du code de commerce ne pouvait exister tant que celui-ci n'avait pas été désigné, cette désignation résultant du jugement convertissant le redressement judiciaire en liquidation judiciaire.
C'est oublié cependant que ce même article réserve l'action également au mandataire judiciaire, fonction qu'occupait auparavant le liquidateur .
Le Tribunal de commerce de Créteil dans un jugement rendu le 30 septembre 2010 (6e chambre, numéro RG : 2009L03542) accueille la fin de non-recevoir soulevée par le dirigeant en motivant sa décision par le fait que la procédure de redressement judiciaire constitué bien la première procédure qui a initié ensuite la conversion en liquidation judiciaire et la demande de prononcé de sanctions personnelles à l'encontre du dirigeant.
Le tribunal a ajouté qu'au demeurant, les griefs fondant la demande de sanctions du liquidateur à l'encontre du dirigeant s'appuyaient d'une part sur l'article L. 653-8 alinéa 3 du code de commerce lui reprochant une déclaration de cessation des paiements tardive de la société et d'autre part sur l'article L. 653-3 1°du même code lui reprochant d'avoir poursuivi abusivement une exploitation déficitaire qui ne pouvait conduire qu'à la cessation des paiements.
Et le tribunal de dire que ces griefs ne pouvaient se référer logiquement qu'à la procédure qui était la conséquence de la déclaration de cessation des paiements de la société effectuée par le dirigeant et que cette procédure n'était autre que la procédure de redressement judiciaire ouverte par ce même tribunal.
C'est à notre connaissance la première fois qu'une juridiction se prononce sur le point de départ du délai de prescription des actions en sanctions personnelles lorsque le l'entreprise du débiteur poursuivi a fait l'objet d'abord d 'un jugement ouvrant une procédure de redressement judiciaire convertie par la suite aux termes d'un autre jugement en liquidation judiciaire.
Le liquidateur n'a semble-t-il pas relevé appel de ce jugement qui présente un intérêt à la fois pour les dirigeants poursuivis qui pourront ainsi échapper dans pareille hypothèse, au prononcé des sanctions que pour les liquidateurs qui seront avisés d'agir avec un peu plus de célérité.
Jean-Luc CHOURAKI
Avocat à la cour