Pour mieux apprehender la Justice pénale pour enfant, il importe d'identifier le cadre juridique (A)avant notamment d'aborder la terminologie et les principes fondamentaux (B)
A. CADRE JURIDIQUE
En matière de Justice Pénale pour mineur, où, plus particulièrement, en matière d’enfant en conflit avec la loi ; le cadre juridique est à considérer sur le plan international (a) et sur le plan national (b).
a.Sur le plan international
Sur le plan international, le cadre juridique et légal de la justice pour enfant est donné par la convention internationale des droits de l’enfant, par la charte africaine des droits de l’enfant et par plusieurs résolutions des Nations Unies.
La Convention relative aux droits de l’enfant (CDE)[1] est l’instrument juridique le plus important sur le plan international dans la mesure où il est légalement contraignant pour tous les pays membres des Nations Unies, à l’exception des Etats-Unis et de la Somalie[2]. Ceci le rend plus applicable que certains autres instruments internationaux. Les articles concernant le plus spécifiquement la justice pour mineurs sont les articles 37 et 40.
La charte africaine des droits et du bienêtre de l’enfant (CADE) peut être considérée comme l’adaptation africaine de la CDE des Nations Unies. Elle garantit les droits fondamentaux de l’enfant dans le contexte culturel africain. Les dispositions spéciales relatives à la justice pour mineurs sont contenues à l’article 17.
Il sied de noter que ces deux conventions contiennent un large éventail de dispositions socio-économiques auxquelles il est possible de faire référence de façon globale.
Au-delà de ces deux conventions, les Nations Unies ont mis en place une série de règles minimales concernant le traitement des mineurs en justice et de protection des mineurs en détention :
- Principes directeurs des Nations Unies pour la prévention de la délinquance Juvénile : « Principes directeurs de Riyad » (1990) ;
- Ensemble des règles minima des Nations Unies concernant l’administration de l’administration de la justice pour mineurs : « règles de Beijing » ( 1985) ;
- Règles minima des Nations Unies pour l’élaboration de mesures non privatives de liberté : « règles de Tokyo » ;
- Règles des Nations Unies pour la protection des mineurs privés de liberté (1990) ;
- Résolution 1997/30 du conseil économique et social des Nations Unies : « Administration de la justice pour mineurs » (1997).
En vertu des Articles 153 et 215 de la constitution congolaise[3], ces différents instruments peuvent valablement être utilisés pour la défense d’un enfant en conflit avec la loi.
b.Sur le plan National
Sur le plan national, en matière d’enfant en conflit avec la loi, c’est essentiellement la loi portant protection de l’enfant de 2009 qui en constitue le cadre juridique en plus de la constitution.
Certes, en plus du titre II de la constitution (relatif aux droits humains, des libertés fondamentales et des devoirs du citoyen et de l’Etat) qui est d’application, plus particulièrement les articles 16, 17, 18, 19 20 et 21[4], sous réserve de la spécificité de la justice pour enfant ; c’est la loi n°09/001 du 10 Janvier 2009 Portant protection de l’enfant qui constitue le noyau dur de la matière en rapport avec l’enfance en conflit avec la loi.
En effet, cette loi n°09/001 du 10 Janvier 2009 Portant protection de l’enfant est une adaptation des différentes recommandations internationales au contexte juridique de la RDC. Cette loi se particularise par l’institution des tribunaux pour enfant et par la règlementation de la procédure en matière d’enfant en conflit avec la loi.
Le cadre légal et juridique présenté, il sied d’examiner la terminologie et les principes fondamentaux en matière d’enfant en conflit avec la loi.
B.TERMINOLOGIE ET PRINCIPES FONDAMENTAUX
Pour assurer efficacement la défense d’un enfant en conflit avec la loi, il importe au préalable de connaitre la terminologie et les principes fondamentaux qui guident la justice pour enfant. Ces principes fondamentaux ainsi que différentes définitions sont à retrouver de l’article 1er à l’article 12 de la loi portant protection de l’enfant.
Ainsi, il faut savoir d’entrée de jeu savoir que :
- L’enfant en conflit avec la loi (ECL) est l’enfant âgé de 14 à moins de dix-huit ans, qui commet un manquement qualifié d’infraction à la loi pénale. Il en découle que l’enfant ne commet pas d’infraction mais un « manquement »[5], l’enfant âgé de moins de 14 ans bénéficie, en matière pénale, d’une présomption irréfragable d’irresponsabilité[6](En ce sens TPE de Matadi RECL 323/2012 du 23 Novembre 2012)[7].
- Le tribunal pour enfant est seul compétent pour connaitre des matières dans lesquelles se trouve impliqué l’enfant en conflit avec la loi[8].
- La procédure judiciaire doit être évitée chaque fois que cela est possible. En effet, outre la procédure judiciaire, il est prévu le recours à l’accompagnement psychosocial et à la médiation en tant que mécanismes de résolution à l’amiable des questions concernant l’enfant en conflit avec la loi[9].
Cependant, à ce sujet, bien que l’arrêté interministériel n°490/CAB/MIN/J&DH/2010 et n°11 CAB/MIN GEFAE du 29 décembre 2010 organise la composition, l’organisation et le fonctionnement du comité de médiation en matière de justice pour les mineurs a été pris conformément aux dispositions de la loi portant protection de l’enfant, il faut constater que dans la pratique le recours à la médiation est quasi inexistante. D’ailleurs, parmi les observations générales faites par le service de documentation et d’études du ministère de la justice et droits humains dans le Recueil de Jurisprudence annotée 2014, Justice pour enfants[10], il y a le manque de recours par les tribunaux à ce mode de résolution de conflit qui est pourtant privilégié non seulement par la loi portant protection de l’enfant mais aussi par le droit international.
- L’intérêt supérieur de l’enfant doit être une préoccupation primordiale dans toutes les décisions et mesures prises à son égard. [11]
En effet, la notion d’intérêt supérieur de l’enfant est la notion clé du droit des enfants. Il s’ensuit que ce principe de l’intérêt supérieur de l’enfant place ce dernier (l’enfant) au-dessus de tout autre intérêt, même légitime. Ainsi, tout autre intérêt d’ordre public doit céder devant l’intérêt supérieur de l’enfant. En d’autres termes, l’ordre public ne peut être mieux protégé que par la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant[12].
Cependant, la doctrine nous renseigne que lors de la rédaction de l’article 3 de la CDE la question de savoir s’il fallait écrire « une » ou « la considération primordiale » a été âprement débattue. Il a finalement été admis que vu la large portée de cet article, il se produirait inévitablement des situations dans lesquelles d’autres intérêts-contraires, mais légitimes ne pourraient pas être ignorées. D’où le choix de l’article indéfini « une » pour un libellé moins catégorique, à savoir « une considération primordiale ». L’intérêt supérieur de l’enfant n’est donc pas, en principe, l’unique considération, mais il devra être l’un des premiers éléments à prendre en compte et peser son poids dans toutes les décisions concernant les enfants[13].
Cela dit, les rédacteurs de la convention relative aux droits de l’enfant n’ont pas définit l’« intérêt supérieur de l’enfant ».Ce qui a donné lieu à des débats houleux à propos de l’article 3 de la CDE et du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant. On a reproché à cet article d’être trop vague et trop général. On a fait valoir ensuite que ce qui est dans l’intérêt supérieur de l’enfant varie selon les époques et dépend en tout état de cause des ressources, du niveau de développement et de la culture du pays dans lequel vit l’enfant.[14]
Néanmoins, le législateur congolais en l’article 6 de la loi portant protection de l’enfant sus évoqué nous renseigne en son deuxième alinéa que « par intérêt supérieur de l’enfant, il faut entendre le souci de sauvegarder et de privilégier à tout prix ses droits ».
Il renchérit en précisant que « sont pris en considération, avec les besoins moraux, affectifs et physiques de l’enfant, son âge, son état de santé, son milieu familial et les différents aspects relatifs à sa situation ».
Le législateur donne donc un critérium sur lequel on peut se fonder pour dégager ce qui est ou non de l’intérêt supérieur de l’enfant. En claire, l’intérêt supérieur de l’enfant trouve son fondement dans la vulnérabilité, la dépendance par rapport au milieu et le manque de maturité physique, intellectuelle et émotionnelle de ce dernier.
Ainsi, relève de l’intérêt supérieur de l’enfant tout acte qui tend à sauvegarder et à privilégier à tout prix les droit de l’enfant qui sont énumérés par la loi elle-même[15], notamment le droit à la vie, le droit à un milieu familial, le droit à l’éducation, le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, le droit à l’information, le droit de vivre avec ses parents, le droit au respect de sa vie privée, le droit d’être entendu en présence de son conseil dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, le droit à un environnement sain et propice à son épanouissement intégral, etc.
Pour faire bref, ce qui est essentiel, ce que pour chaque décision, l’autorité ou l’individu qui la prend, doit se mettre dans la position de l’enfant. Il doit examiner l’impact de la décision qu’il est en train de prendre à travers les yeux de l’enfant. Cela change radicalement la perspective et demande un effort intellectuel qui n’est pas toujours simple à mettre en œuvre. Cependant, il faut pouvoir se mettre à sa place[16].
- Aucun enfant ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants[17]. En effet, le fait de soumettre un enfant à la torture est puni pénalement (Article 151 loi portant protection de l’enfant et lire également Loi n° 11/008 du 09 juillet 2011 portant criminalisation de la torture). Comme nous le verrons plus loin le fait de soumettre un ECL à la torture dans le but de le pousser à plaider coupable est susceptible d’entrainer la nullité de toute la procédure.
- L’arrestation, la détention et l’internement d’un enfant ne peuvent être décidé qu’en conformité avec la loi, comme mesure ultime et pour une durée aussi brève que possible.[18]Le juge doit privilégier autant que possible le maintien de l’enfant dans un environnement familial. Ainsi, le placement dans une institution publique ou privée agrée à caractère social ne peut être envisagé que comme une mesure de dernier recours.[19] Cela vaut tant pour les mesures provisoires que pour la décision finale (à l’issue du procès).
- L’enfant en conflit avec la loi a droit à certaines garanties procédurales sous peine de nullité de la procédure (104, 11, 12 LPP). Contrairement au droit commun, où les garanties procédurales sont pratiquement identiques, la loi portant protection de l’enfant consacre expressisverbis la sanction de la nullité de la procédure en cas de non-respect de ces garanties procédurales.
- L’ECL a droit à une assistance judiciaire obligatoire, qui est indispensable pour garantir un procès équitable. En effet, si l’ECL n’a pas les moyens de s’offrir les services d’un conseil (Avocat ou défenseur judiciaire), le juge doit lui en désigner un d’office (Sous peine de nullité de la procédure).
En conclusion, nous pouvons affirmer que la justice pénale pour enfant, quoique influencer par le droit commun, obéit a des normes spécifiques qu'il sied de maitriser afin de défendre éfficacement les enfants en conflit avec la loi.
[1] Adopté par l’Assemblée générale des Nations unies le 20 Novembre 1989 et ratifiée en RDC par l’Ordonnance-Loi N°90/48 du 22 Aout 1990 publiée au Journal Officiel Numéro Spécial d’avril 1999
[2] Les seuls pays à ne pas l’avoir signé et ratifié.
[3] En vertu de ces dispositions, « les cours et tribunaux, civils et militaires, appliquent les traité internationaux dument ratifiés, les lois, les actes réglementaires pour autant qu’ils soient conformes aux lois ainsi que la coutume pour autant que celle-ci ne soit pas contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs » et « Les traités et accords internationaux régulièrement conclus ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque traité ou accord, de son application par l’autre partie ».
[4]Article 16 : « La personne humaine est sacrée. L’Etat a l’obligation de la respecter et de la protéger.
Toute personne a droit à la vie, à l’intégrité physique ainsi qu’au libre développement de sa personnalité dans le respect de la loi, de l’ordre public, du droit d’autrui et des bonnes moeurs. Nul ne p eut être tenu en esclavage ni dans une condition analogue. Nul ne peut être soumis à un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Nul ne peut être astreint à un travail forcé ou obligatoire.Article 17 :« La liberté individuelle est garantie. Elle est la règle, la détention l’exception.Nul ne peut être poursuivi, arrêté, détenu ou condamné qu’en vertu de la loi et dans les formes qu’elle prescrit. Nul ne peut être poursuivi pour une action ou une omission qui ne constitue pas une infraction au moment où elle est commise et au moment des poursuites. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui ne constitue pas une infraction à la fois au moment où elle est commise et au moment de la condamnation.Il ne peut être infligé de peine plus forte que celle applicable au moment où l’infraction est commise. La peine cesse d’être exécutée lorsqu’en vertu d’une loi postérieure au jugement :
1. elle est supprimée ;
2. le fait pour lequel elle était prononcée, n’a plus le caractère infractionnel.
En cas de réduction de la peine en vertu d’une loi postérieure au jugement, la peine est exécutée conformément à la nouvelle loi. La responsabilité pénale est individuelle. Nul ne peut être poursuivi, arrêté, détenu ou condamné pour fait d’autrui. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été établie par un jugement définitif ». Article 18 : « Toute personne arrêtée doit être immédiatement informée des motifs de son arrestation et de toute accusation portée contre elle et ce, dans la langue qu’elle comprend. Elle doit être immédiatement informée de ses droits. La personne gardée à vue a le droit d’entrer immédiatement en contact avec sa famille ou avec son conseil. La garde à vue ne peut excéder quarante-huit heures. A l’expiration de ce délai, la personne gardée à vue doit être relâchée ou mise à la disposition de l’autorité judiciaire compétente. Tout détenu doit bénéficier d’un traitement qui préserve sa vie, sa santé physique et mentale ainsi que sa dignité ».Article 19 : « Nul ne peut être ni soustrait ni distrait contre son gré du juge que la loi lui assigne.Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable par le juge compétent.Le droit de la défense est organisé et garanti. Toute personne a le droit de se défendre elle-même ou de se faire assister d’un défenseur de son choix et ce, à tous les niveaux de la procédure pénale, y compris l’enquête policière et l’instruction préjuridictionnelle. Elle peut se faire assister également devant les services de sécurité ». Article 20 : « Les audiences des cours et tribunaux sont publiques, à moins que cette publicité ne soit jugée dangereuse pour l’ordre public ou les bonnes mœurs. Dans ce cas, le tribunal ordonne le huis clos ».
Article 21 : « Tout jugement est écrit et motivé. Il est prononcé en audience publique. Le droit de former un recours contre un jugement est garanti à tous. Il est exercé dans les conditions fixées par la loi ».
[5] En effet, tout acte anti social qui trouble l’ordre public perpétré par un enfant est qualifié de « manquement ». Le même acte est qualifié d’ « infraction » s’il est commis par une personne adulte ou majeure c’est-à-dire qui n’est pas enfant. ibidem.
[6] Article 95 alinéa 1er de la loi portant protection de l’enfant.
[7] « Qu’en espèce, il ressort des éléments du dossier et de l’enquête sociale menée que le pré qualifié est âgé de 11ans, qu’il vit avec sa grand-mère, ses parents sont divorcés, que dans ce cas le juge le relaxera et le confiera à l’assistant social P.D pour son accompagnement social ». ; Service de documentation et d’étude, Op Cit, p.,
[8] Article 99 alinéa 1er
[9] Article 40-3b de la convention relative aux droits de l’enfant, Article 8 loi portant protection de l’enfant et art. 132 à 142 de la loi portant protection de l’enfant.
[10] Service de documentation et d’études, Recueil de Jurisprudence annotée 2014 Justice pour enfants, Unicef, Kinshasa 2014, p. 12
[11] Article 6 alinéa 1 de loi portant protection de l’enfant, article 4 CADE et article 3-1 CDE
[12] Tanguy De Blauwe, Analyse Jurisprudentielle de la Justice pour mineurs en conflit avec la loi au Burundi, Avocat Sans Frontière, Mars 2011, p.14
[13] Thomas Hammarberg, Le principe de l’interet Supérieur de l’enfant : ce qu’il signifie et ce qu’il implique pour les adultes, conférence donné par le commissaire aux droits de l’homme conseil de l’Europe, varsovie, 30 mai 2008, cité par Tanguy De Blauwe, op Cit., p. 14
[14] ibidem
[15] Aux articles 13 à 44 de la Loi portant protection de l’enfant
[16] Tanguy De Blauwe, Op Cit, P.14
[17] Article 19-1 CDE, Article 9 loi portant protection de l’enfant.
[18] Article 10 loi portant protection de l’enfant
[19] Article 106 loi PPE in fine