NFT & INDUSTRIE MUSICALE : LE DEBUT DE LA FIN DES PLATEFORMES DE STREAMING

Publié le 21/06/2022 Vu 7 307 fois 1
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Les NFTs pourraient restructurer profondément l’industrie de la musique. Le passage à la décennie d’une blockchain décentralisée permettra aux artistes de se placer au cœur de l’écosystème et de capter directement plus de valeur.

Les NFTs pourraient restructurer profondément l’industrie de la musique. Le passage à la décennie d’une

NFT & INDUSTRIE MUSICALE : LE DEBUT DE LA FIN DES PLATEFORMES DE STREAMING

 

Avec les marchés de l’art et du sport, l’industrie de la musique est la première à s’être emparée des NFTs, ces jetons numériques non fongibles reposant sur la technologie blockchain.

Au-delà de l’aspect hype et marketing, les NFTs pourraient être l’occasion de restructurer profondément l’industrie de la musique en ce qu’ils reposent sur ce grand registre numérique décentralisée et infalsifiable qu’est la blockchain.

La dernière décennie a vu le marché de la musique se structurer autour du streaming qui est devenu le support le plus important en termes de chiffre d’affaires dès l’année 2016. Or, ce marché, dominé par de grandes plateformes telles que Spotify ou Deezer, a abouti à deux problèmes majeurs pour les artistes : une absence de visibilité sur leur audience et un partage de valeur modique.

Ce déficit de rémunération des créateurs pourrait être résolu par la suppression des intermédiaires, promesse affichée du web 3.0.

En effet, le passage de la décennie d’un internet centralisé à la décennie d’une blockchain décentralisée permettra aux artistes de se placer au cœur de l’écosystème, de générer d’avantage de valeur et de la capter directement.

Ces outsiders pourraient ainsi prendre leur revanche sur la décennie passée favorable aux superstars.

 

o   Les difficultés causées par les plateformes de streaming

 

  • Une opacité sur l’audience

Les plateformes donnent peu d’informations relatives aux chiffres générés par les écoutes, à la segmentation de l’audience des artistes et à l’impact de la communication sur la performance des titres. En conséquence, l’artiste ne sait rien ni sur le mode de redistribution de l’argent généré via les plateformes, ni sur le profil de son audience, données conservées précieusement par les plateformes.

Cette intermédiation fait perdre en efficacité la création d’une communauté fidélisée qui pourrait être réactivée dans le futur pour distribuer d’autres contenus.

 

  • Un faible partage de valeur

Par ailleurs, les plateformes ont rendu la musique quasi gratuite : l’utilisateur paie 9,99 € par mois dans le cadre d’un abonnement payant pour avoir accès à la quasi-totalité des titres. Ce peu de valeur injectée dans l’industrie et en outre peu redistribué aux artistes.

En effet, si le streaming représente 80 % des revenus de l’industrie, il ressort que 90 % des artistes gagnent moins de 1.000 € par an par le streaming.

Donner une rémunération précise des artistes par le streaming est impossible tant les facteurs en jeu sont multiples. Les facteurs les plus déterminants restent les contrats liant l’artiste à un éventuel intermédiaire (contrat 360°, contrat de licence ou simple contrat de distribution) et le principe du pot commun adopté par les plateformes. Ce principe commande de répartir les revenus collectés en fonction de la part de marché globale, c’est-à-dire au prorata du nombre d’écoutes total. Les musiciens sont ainsi dilués dans une vision globale du marché, et les grands sont favorisés par le système.

En partant du prix d’un abonnement mensuel d’un service de streaming, soit 9,99 €, l’ADAMI a proposé une estimation de la répartition financière entre les différents acteurs de l’industrie :

- 1,99 € pour l’État (TVA, …) ;

- 1 € pour le droit d’auteur ;

- 6,54 € pour les intermédiaires (70 % producteur / 30 % plateforme de streaming) ;

0,46 € pour l’artiste à répartir entre tous les artistes écoutés en un mois.

 

Les artistes récupèreraient ainsi 0,46 €, soit une part infime des 9,99 €.

Spotify, le plus grand service d’abonnement de streaming audio, paie 0,0032 $ par lecture, quand Apple Music verse 0,0056 $ par lecture et que les revenus de YouTube ne dépassent pas 0,0009 $ par lecture. Pour gagner l’équivalent d’un SMIC, il faut être écouté 500 000 fois sur Spotify et 300 000 fois sur Deezer. Pour gagner entre 3 000 € et 5 000 €, un artiste doit générer 1 000 000 de vues, seuil que seuls peu d’artistes d’envergure internationale parviennent à atteindre.

En conséquence, seuls 5 % des artistes sont à même de vivre confortablement de leur musique via le streaming.

Cette situation néfaste a été d’avantage mise en lumière par la crise Covid, l’impossibilité de performer lors de concerts obligeant les artistes à se concentrer sur cette seule source de revenu.

 

  • L’impact sur la fabrication de la musique

Par ailleurs, l’industrie s’est adaptée aux normes de ce nouveau support musical.

Le streaming a en effet une influence directe sur le style plébiscité, le format des titres et les modalités de fabrication de la musique.

En premier lieu, ce format a été pris en main majoritairement par des artistes plus jeunes et issus d’une scène dite « urbaine ».

De surcroît, le format des titres est de plus en plus court. De fait, il faut être extrêmement proactif par la sortie constante de nouveaux titres, d’une part parce que l’artiste est rémunéré en fonction des écoutes, d’autre part parce que la logique algorithmique qui commande le business model l’exige pour ne pas tomber dans le dédale de cette pléthore de propositions. En effet, de plus en plus d’artistes apparaissant sur ces plateformes et près de 75.000 nouveaux titres étant édités chaque jour, il est difficile de se faire une place dans cet océan de contenus.

Par ailleurs, le streaming affecte la manière de fabriquer la musique. Un stream étant comptabilisé à partir d’un seuil plancher de 30 secondes, le hooke ( « l’accroche » en français) du titre doit être placé plus tôt. On constate par ailleurs la prolifération d’« albums playlist » incluant beaucoup de titres courts aux styles différents, causée par ce nouveau mode de consommation des utilisateurs.

 

Enfin la qualité du son compressé à l’excès sur les plateformes leaders altère négativement la perception de l’œuvre par les auditeurs.

 

C’est ainsi que le modèle actuel aboutit à une frustration légitime de la majorité des artistes qui voient la valeur de leur création captée par des plateformes qui ne leur laissent que les miettes.

 

o   Les solutions apportées par les NFTs

 

  • Une prise de contrôle sur les données par une distribution directe

En premier lieu, les NFT permettent aux artistes de reprendre le contrôle sur leurs données.

Cette connaissance en temps réel des chiffres générés par chaque titre et du profil des auditeurs est riche d’enseignements pour ajuster sa stratégie commerciale dans le futur. Par cette transparence et ce suivi accru, un artiste peut développer une stratégie reach direct to consumer pour distribuer sa musique.

Par une distribution adossée à la blockchain, l’utilisateur paie l’équivalent de quelques euros reversés directement à l’auteur pour écouter le titre ou tout autre contenu exclusif.

Le coût du streaming est linéarisé sur les plateformes, c’est-à-dire que chaque création a la même valeur. L’utilisateur payant un abonnement illimité à 9,99 € pour avoir accès à tout, tous les artistes valent la même chose, soit environ 3 centimes par écoute.

Pourtant, un fan est prêt à payer davantage pour obtenir du contenu exclusif : des titres inédits, des interviews, des vidéos, des œuvres d’art, ... Le désir réapparaitra ainsi par la résurgence de la notion de rareté, modifiant une nouvelle fois le mode de consommation de la musique.

L’histoire se répète. À l’époque de la crise du disque des années 2000, si la diminution des ventes a effectivement entrainé les majors à signer moins d’artistes, elle a encouragé en parallèle les petites structures à produire plus car elles atteignaient le profit sur de plus petites quantités vendues.

De même, un artiste naissant a d’avantage intérêt à créer un titre et à le vendre sous forme de NFT. Il peut ainsi atteindre des recettes de 1.000 € plus facilement qu’en passant par des intermédiaires, somme qui lui sera en outre payée directement. Au-delà de la captation de plus de valeur, il aura créé une communauté fidèle aux caractéristiques identifiées et avec laquelle il entretiendra un contact direct. Pour ces derniers, les NFTs constituent également un avantage puisqu’ils permettent d’entrer en relation avec les artistes et de les soutenir directement.

 

  • Le développement d’une offre personnalisée et diversifiée

Pour le musicien du quotidien, le NFT est aussi l’occasion de développer une offre personnalisée auprès de ses auditeurs.

Le web 2.5 avait déjà ouvert la voie à la monétisation directe par les artistes auprès de leurs fans d’autre chose que de la musique. Le public s’abonne directement à l’artiste pour avoir accès à du contenu exclusif.

Le NFT permet de parfaire cette monétisation de l’audience notamment en proposant aux consommateurs des utilities ou  « jetons utilitaires », dont la principale fonction consiste à donner un droit d’usage sur un produit ou un service, physique ou numérique.

En effet, tout produit lié à la musique peut être adossé à un NFT, qu’il s’agisse de morceaux de musique, de pochettes d’album, d’illustrations, de billets de concert, ou de produits dérivés uniques de l’artiste. Les artistes sont ainsi en mesure de créer et de produire des contenus pour leur public de leur propre initiative en ajoutant au contenu musical des « perks » (avantages liés à l’artiste). De cette façon, ils peuvent gagner les revenus directement sans recourir à une industrie existante.

Le consommateur achète un élément qui lui permet de créer un lien particulier avec l’artiste, comme une place de concert à vie, un accès back stage en concert, assister à un concert privé dans un metaverse, enregistrer sa voix sur un titre, être figurant dans l’un de ses clips, passer deux heures avec l’artiste, … le champ des possibles est infini. L’artiste peut également expérimenter différentes offres, comme proposer des œuvres multimédias complexes mêlant musique et art, avoir une visibilité directe sur leur efficacité et les ajuster en fonction.

Cette diversification offre de nouvelles opportunités et permet notamment de toucher de nouvelles cibles, enjeu majeur de tout artiste.

 

  • Une remontée des recettes automatisée et fiable

Dans le système créé par les plateformes, la remontée des recettes est non seulement faible, mais en plus opaque et lente. Un artiste diffusant un titre sur une plateforme va devoir attendre un trimestre pour connaitre la rémunération à laquelle il peut prétendre, puis un trimestre supplémentaire pour la percevoir effectivement.

Par la blockchain, un auteur perçoit directement les fonds lors de la première vente, et peut programmer le smart contract inclut dans le NFT de telle sorte qu’il percevra un pourcentage fixe pour chaque revente de son titre. Cette rémunération s’intégrera directement dans son wallet, et ce sans passer par la reddition de comptes, fastidieuse, lente et aléatoire.

L’artiste peut intégrer par ailleurs un intéressement sur les ventes pour d’autres types d’intervenants sur l’utility, comme un infographiste, un vidéaste ou un ingénieur du son. Toutes les personnes ayant participé à la réussite d’un projet se verront ainsi rémunérées grâce à l’automatisation de la remontée des recettes permise par le smart contract, ce qui encouragera la créativité et les projets mêlant différents arts.

Un artiste indépendant en autoproduction peut ainsi créer des NFTs pour vendre sa musique, ce qui lui assure une maîtrise de la chaîne de diffusion et une liberté dans le choix de la répartition des recettes entre les personnes qui ont participé à un morceau.

La blockchain, en ce qu’elle permet une répartition fiable et automatisée des recettes d’exploitations générées, a ainsi vocation à favoriser leurs remontées rapides et transparentes auprès des différents ayants droits, et à en optimiser la gestion.

 

  • Un nouveau mode de financement

Enfin, la blockchain permettrait à l’artiste d’avoir d’avantage d’emprise sur la chaîne de valeur de la musique en se faisant financer directement.

En effet, la blockchain participe de la démocratisation de l’accès à un financement participatif, le crowndfunding, chaque micro investisseur récupérant son pourcentage sur les recettes générées de façon quasi automatique et fiable, sans société de gestion collective ni réédition de compte.

 

o   Illustration des champs d’exploration possibles

 

Contrairement à l’arrivée du streaming qui a vu apparaître différents acteurs avec des business model plutôt similaires, le NFT ouvre la voie à de grands champs d’exploration, que cela soit en termes artistique, de captation de publics ou de financement.

On distingue trois niveaux d’utilisation du NFT dans l’industrie.

 

  • L’objet de collection

Le premier niveau d’utilisation correspond à l’acquisition d’un objet de collection, le NFT devenant un produit dérivé. De la même manière qu’un fan achèterait une édition limitée d’un vinyle ou d’un coffret « collector » plus cher que le simple CD ou le titre en streaming, le NFT permet de conférer une valeur sentimentale particulière à un objet créateur de lien avec son artiste. Le fan fait partie des quelques heureux propriétaires du produit adossé au NFT.

 

  • Les « utilities »

Le deuxième niveau est la possibilité qu’offre le NFT d’associer des utilités au titres: accès à des showcases, à des accès backstage, à du contenu exclusif, à des expériences dans le metaverse avec l’artiste,… Le NFT devient une sorte de « carte de membre » du fan club officiel de l’artiste .

C’est ainsi qu’en mars 2021, le groupe de rock alternatif américain Kings of Leon faisait son comeback en vendant son album When you see yourself sous forme de NFTs dans un package incluant des bonus : une pochette animée, l’accès à l’album en téléchargement, des vinyles numérotés avec leurs jetons, des œuvres d’art numériques, ainsi que des golden tickets donnant accès à des concerts pour toutes les tournées à venir du groupe avec un traitement VIP (chauffeur, premiers rangs, accès backstage et tous les produits dérivés vendus ce soir-là). Le NFT était offert à un prix de 50 $. Le groupe a ainsi généré 3,5 millions de dollars sur cette opération, et ce avant même la sortie de l’album.

En avril 2021, Mick Jagger proposait sur la plateforme Nifty Gateway une vente de NFTs incluant le titre Eazy sleazy qui aborde le thème du confinement pour une enchère finale de 50.000,00 $.

En novembre 2021, le rappeur américain Snoop Dogg lançait sont NFT Decentralized dogg sur la place de marché SuperRare. Ce NFT présentait un collage stéréoscopique en 3D de dix portraits différents du musicien à différents stades de son développement artistique et un court morceau de musique avec des paroles sur le thème du NFT. L’enchère a été remportée pour 188,8 ETH, soit 740.000,00 €.

En novembre 2021, le rappeur français Booba proposait sur un site dédié son morceau clipé TN disponible uniquement sous forme de 25 000 NFTs (5 cartes animées émises à 5 000 exemplaires). Seuls les détenteurs de ces NFTs pouvaient accéder en avant-première aux images du clip du nouveau morceau de l’artiste. Bilan de l’opération : 600.000 € . Il a réitéré un mois plus tard en mettant en vente 1.000 NFTs pour accéder à un nouveau titre inédit, GDC.

·         

  • Le partage des revenus

Le 3e niveau permis par le NFT est le partage des revenus.

En juin 2021, l’artiste électronique français Jacques proposait à la vente les droits phonographiques (« master ») de son titre Vous sous forme de NFTs. Les 194 secondes du titre ont été découpées en 194 NFTs, l’artiste et son éditeur ayant conservé une seconde chacun correspondant à 1,02 % des droits. Le prix de chacune de ces secondes a été fixé à 0,065 ETH, soit 143,75 €. Le pack contenait un vinyle en édition limitée tokénisé et dédicacé par l’artiste, le contrat de vente manuscrit de la seconde signé par Jacques adossé à la blockchain et une vidéo exclusive réalisée par l’artiste. Un deuxième pack en édition unique contenait en supplément 2 places de concert à vie pour tous les concerts de Jacques.

Chaque acquéreur devenait ainsi détenteur de l’une des 194 secondes du titre et percevra ainsi 1/194e des revenus générés par l’exploitation du titre, que cela soit via le streaming, les ventes de vinyles, les téléchargements numériques ou le droit de synchronisation (titre exploité pour illustrer une œuvre audiovisuelle).

Des plateformes telles que PIANITY permettent également aux artistes de partager les revenus tirés des ventes des NFTs eux-mêmes avec leurs fans.

 

L’émergence des NFTs pourrait sonner le glas du support streaming, s’inscrivant dans un schéma traditionnel de cycle de vie d’un produit selon lequel tout produit connaît une période de décroissance après sa maturité. Replacer la création au cœur de l’écosystème permet de créer un lien direct plus fort et plus durable entre un artiste et son public. L’artiste crée ainsi plus de valeur et la capte directement.

Leur permettant de monétiser leur travail, ce système désintermédiatisé conduira à résoudre un enjeu majeur de notre civilisation, permettre aux créateurs de vivre de leur art.

 

 

Avocat spécialisé en Droit de l'immatériel et des industries créatives, je suis à votre disposition pour toute intervention, en conseil ou en contentieux.

 

Me. Ronn HACMAN

Avocat à la Cour

39, rue Marbeuf – 75008 PARIS

ronn@hacmanlaw.com

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1 Publié par PascalS
03/08/2022 19:19

Bravo Didier pour votre article très clair !

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