Dans un arrêt du 26 mars dernier, la chambre criminelle a définitivement tranché l’interprétation des dispositions relatives aux marges d’erreur concernant les taux relevés par éthylomètre dans le cadre d’un contrôle d’alcoolémie.
La chambre criminelle a rappelé sa jurisprudence antérieure en la matière : « la chambre criminelle juge régulièrement que les marges d’erreur prévues par ce texte peuvent s’appliquer à une mesure effectuée lors d’un contrôle d’alcoolémie, mais que l’interprétation des mesures de la concentration d’alcool dans l’air expiré effectuées au moyen d’un éthylomètre constitue pour le juge une faculté et non une obligation (Crim., 24 juin 2009, pourvoi n° 09-81.119, Bull. crim. 2009, n° 134) »
Elle relève à ce titre que cette jurisprudence a eu pour effet des divergences d’appréciation importantes de la part des juges du fond et considère que ces différences sont contraires à l’article préliminaire du code de procédure pénale, point I alinéa 3, disposant « Les personnes se trouvant dans des conditions semblables et poursuivies pour les mêmes infractions doivent être jugées selon les mêmes règles. »
La chambre criminelle fait également référence à une jurisprudence récente du conseil d’Etat en la matière (CE, 14 février 2018, n°407914). Dans cet arrêt, le conseil d’Etat a en effet rejeté le pourvoi du Ministère de l’Intérieur contre un jugement rendu par le tribunal administratif de Grenoble ayant annulé une décision de suspension administrative provisoire du permis de conduire suite à une infraction de conduite sous l’empire d’un état alcoolique caractérisée par la présence dans l’air expiré d’un taux de 0,40 mg/l, en relevant que « M. B... présentait une concentration d'alcool de 0,43 mg/l lors de la première mesure, mais de 0,40 mg/l lors de la seconde et qu'eu égard à la tolérance de 8 % applicable en pareil cas, son taux d'alcoolémie devait être regardé comme inférieur au seuil de 0,40 milligramme par litre d'air expiré, pour en déduire que le représentant de l'Etat n'avait pas tenu compte de cette marge d'erreur »
Le Conseil d’Etat a considéré que le préfet devait tenir compte de la marge d’erreur, sauf si elle a déjà été appliquée dans les résultats délivrés par l’éthylomètre qui lui sont communiqués :
« compte tenu de la tolérance admise par ces dispositions, il appartient au représentant de l'Etat dans le département, lorsqu'il entend prononcer la suspension de permis de conduire prévue par l'article L. 224-2 du code de la route au titre d'une conduite sous l'empire d'un état alcoolique caractérisé par une concentration d'alcool dans le sang égale ou supérieure à 0,80 gramme par litre ou par une concentration d'alcool dans l'air expiré égale ou supérieure à 0,40 milligramme par litre, de s'assurer qu'il est établi que ces seuils ont été effectivement dépassés ; qu'il lui appartient, par suite, de prendre en compte la marge d'erreur maximale tolérée en vertu de l'arrêté du 8 juillet 2003 précité, sauf si le résultat qui lui a été communiqué mentionne que le chiffre indiqué tient déjà compte de la marge d'erreur, ou fait état d'une marge d'erreur de la technique utilisée inférieure à cette marge maximale (...)
Qu’en statuant ainsi, alors que les résultats communiqués au préfet ne mentionnaient pas que les chiffres indiqués tenaient déjà compte de la marge d'erreur et ne faisaient pas état d'une marge d'erreur de la technique utilisée inférieure à la marge maximale tolérée, le tribunal administratif n'a pas commis d'erreur de droit ; que le pourvoi du ministre de l'intérieur doit, par suite, être rejeté ».
Prenant en compte les différences d’interprétation des magistrats et la jurisprudence du conseil d’Etat, la chambre criminelle de la cour de cassation tranche ainsi :
«Attendu qu’il se déduit en conséquence de l’article 15 de l’arrêté du 8 juillet 2003 précité que le juge, lorsqu’il est saisi d’une infraction pour conduite sous l’empire d’un état alcoolique, doit vérifier que, dans le procès-verbal qui fonde la poursuite, il a été tenu compte, pour interpréter la mesure du taux d’alcool effectuée au moyen d’un éthylomètre, des marges d’erreur maximales prévues par ce texte ».
Elle l’applique au cas d’espèce, le taux relevé étant de 0,40 mg par litre d’air expiré et casse l’arrêt de la cour d’appel ayant rejeté la demande de requalification du délit de conduite sous l’empire d’un état alcoolique en contravention, estimant que « l’argument tenant à la marge d’erreur est inopérant, deux taux supérieurs ou égaux à la limite légale ayant été relevés, à quinze minutes d’intervalle, sur un individu ayant reconnu avoir consommé, une heure avant le contrôle routier, deux verres de bière ».
La chambre criminelle déduit des textes qu’en l’espèce seule une contravention pouvait être caractérisée du fait de l’application de la marge d’erreur :
« Mais attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que seule ladite contravention pouvait être caractérisée, quel que soit le taux retenu et compte tenu de la marge d’erreur réglementaire de 8 % de la valeur mesurée pour les concentrations égales ou supérieures à 0,400 mg/l, la cour d’appel a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé. »
Il résulte de ces deux arrêts que la marge d’erreur doit être appliquée aux taux relevés par éthylomètre lors d’un contrôle pour conduite d’un véhicule sous l’empire d’un état alcoolique, au stade de la suspension administrative provisoire du permis de conduirepar le préfet comme au stade du jugement par le tribunal compétent.