L'Autorité de la concurrence a rendu le 17 décembre 2013 une décision qui sanctionne EDF à hauteur de 13,5 M€ pour avoir abusé de sa position dominante en mettant en œuvre des pratiques anticoncurrentielles sur le marché émergent des offres de services photovoltaïques aux particuliers.
Ces offres portent sur l'installation de panneaux solaires sur le toit d'un logement individuel, en vue de revendre l'énergie produite à EDF, auquel la loi impose une obligation d'achat de l'électricité issue de l'énergie solaire photovoltaïque.
Rappelons que cette décision a été précédée de mesures conservatoires (décision du 8 avril 2009).
Dans la décision rendue le 17 décembre 2013, l'Autorité de la concurrence a établi qu'EDF avait favorisé sa filiale EDF ENR en mettant à sa disposition divers moyens non reproductibles par la concurrence :
- la marque Bleu Ciel d'EDF ainsi que des moyens de prospection, de promotion et de commercialisation des offres photovoltaïques, via le Conseil Energie Solaire ;
- l'image de marque et la notoriété d'EDF ;
- le logo et la marque EDF ENR, similaires à ceux utilisés par EDF ;
- le fichier client d’EDF qui comporte plus de 20 millions de coordonnées !
C’est ainsi qu’une confusion a pu être volontairement créée, par EDF, dans l'esprit des consommateurs entre son activité de service public de fourniture d'électricité et l'activité de sa filiale photovoltaïque.
1 - La confusion dans l'esprit des consommateurs entre l’activité de service public de fourniture d'électricité et l’activité de services photovoltaïques.
La confusion a été entretenue, de novembre 2007 à avril 2009, par un système de commercialisation fondé sur les moyens de communication d’EDF et l'utilisation de son image de marque.
1.1) Le système de commercialisation : EDF ENR a mis à profit la « force de frappe » de la marque Bleu Ciel d'EDF.
La marque Bleu Ciel d'EDF est la marque sous laquelle le groupe EDF vend ses services aux particuliers, notamment l'offre réglementée de fourniture d'électricité. Durant cette période, EDF s'est servie de cette marque parfaitement identifiée à l'offre historique de l'ex monopole, en mobilisant l'intégralité de ses outils de communication, pour orienter les particuliers susceptibles d'être intéressés par le photovoltaïque vers le Conseil Energie Solaire, dans un processus systématique dont les étapes peuvent être résumées ainsi :
a) Les Lettre Bleu Ciel n° 1 et 2 de 2007 et 2008 ont assuré la promotion de l'énergie solaire en invitant les clients d'EDF à contacter leur service client (plateforme téléphonique 3929).
Les factures d'électricité mentionnaient également le numéro « 39 29 ».
b) Le portail téléphonique unique 3929 donnait à la fois accès au service client d'EDF fournisseur d'électricité et au Conseil Energie Solaire. C’est ce qui a permis d’induire en erreur les consommateurs quant à la distinction des entités du groupe.
c) Dans un premier temps, le Conseil Energie Solaire se présentait comme une information générale et impartiale offerte à l'usager.
Dans un deuxième temps, si le prospect était intéressé, le conseiller d'EDF orientait alors systématiquement le client vers un autre service interne d'EDF qui agissait, sans le préciser aux particuliers, pour le compte de sa filiale EDF ENR, mais vendait les services photovoltaïques sous la marque Bleu Ciel d'EDF.
Ce n'est qu'à la fin du processus de vente, après la signature du contrat, que les clients étaient informés qu'ils contractaient avec EDF ENR et non avec EDF.
d) Sur les salons et foires, dans les boutiques Bleu Ciel, dans les documents qu'EDF remettait aux prospects (invitation, carte de visite, bon de souscription), rien ne permettait à un consommateur de savoir que l'offre proposée était celle d'une filiale distincte d'EDF, à savoir EDF ENR, dont le nom n'apparaissait nulle part.
Comme l'Autorité l'a déjà rappelé à plusieurs reprises, si l'utilisation de l'image de marque et de la notoriété d’EDF ne constitue pas en soi un abus, cette utilisation peut devenir anticoncurrentielle lorsqu'elle conduit à entretenir la confusion entre une activité de service public (la fourniture d'électricité aux tarifs réglementés) et une activité concurrentielle (les offres d'équipements photovoltaïques).
1.2) L'image de marque d’EDF est un avantage concurrentiel non reproductible par les concurrents.
EDF a ainsi permis à sa filiale EDF ENR d'utiliser l'image de marque et la notoriété de l'opérateur historique EDF, ainsi que ses moyens matériels et humains, pour commercialiser les offres photovoltaïques.
En créant ainsi la confusion dans l'esprit des consommateurs concernant le rôle des diverses entités du groupe EDF dans la filière photovoltaïque, en recourant à l'avantage unique de la notoriété de sa marque, EDF a fait bénéficier sa filiale EDF ENR d'un avantage concurrentiel non reproductible et ne reposant pas sur ses mérites propres.
Les éléments du dossier démontrent qu'à l'époque des pratiques, la marque EDF a pu jouer un rôle déterminant dans le choix par un particulier de son prestataire de services photovoltaïques.
Au surplus, l'avantage concurrentiel a été accru par les conditions financières de la mise à disposition de ces moyens.
2) EDF a joué sur la similitude des logos et des marques pour favoriser sa filiale
En exécution des mesures conservatoires imposées par le Conseil de la concurrence en avril 2009, EDF a mis fin à la promotion et à la commercialisation des offres d'EDF ENR par le biais de la marque Bleu Ciel d'EDF et du Conseil Energie Solaire prodigué au numéro de téléphone 3929.
Les offres photovoltaïques d'EDF ENR ont alors cessé d'être principalement commercialisées sous la marque Bleu Ciel d'EDF pour l'être sous la marque EDF ENR, cette marque et son logo présentant des similitudes importantes avec ceux de l'opérateur historique EDF.
L'usage de la marque et du logo EDF ENR, à partir d'avril 2009, a également donné à cette filiale un avantage non reproductible de nature à restreindre la concurrence, compte tenu des caractéristiques du marché, et notamment du besoin des clients, légitimement inquiets en raison de l'importance de l'investissement nécessaire et des risques de malfaçons, d'être « rassurés » par la marque EDF, en qui ils avaient confiance.
L'impact a été d'autant plus fort qu'il s'agit d'un investissement irréversible (les panneaux photovoltaïques ont une durée de vie d'environ 20 ans), qui « bloque » le marché pour les futurs concurrents.
Cet avantage a été amplifié par les conditions financières accordées par EDF à sa filiale pour l'usage de sa marque.
L'usage de la marque n'a toutefois plus constitué un avantage à partir de mi-2010, lorsque le marché a basculé en faveur des acteurs de proximité.
3) EDF a également abusé de sa position dominante en utilisant son fichier clients pour favoriser la commercialisation des offres de sa filiale EDF ENR
De novembre 2007 à avril 2009, EDF a utilisé sa base de données clients de fournisseur d'électricité pour favoriser la commercialisation des offres de services de sa filiale EDF ENR.
Cette base de données clients a été utilisée pour diffuser la Lettre Bleu Ciel jointe aux factures EDF et les factures elles-mêmes, ces deux supports renvoyant vers la plateforme téléphonique 39 29 et le Conseil Energie Solaire.
Or, comme l'Autorité l'a déjà rappelé dans de précédents avis, « l'utilisation, par une entreprise disposant ou ayant disposé d'un monopole légal sur un marché, des informations détenues sur ce marché, pour développer son activité sur un second marché, ouvert à la concurrence, par exemple en promouvant cette activité auprès de ses clients issus du monopole légal, constitue en principe une pratique anticoncurrentielle ».
L'utilisation des informations privilégiées détenues de manière exclusive par EDF au titre de son ancien monopole (plus de 20 millions de noms et d'adresses, dont les données sont régulièrement mises à jour par les usagers) a constitué un avantage significatif pour EDF ENR en lui permettant d'assurer la promotion de ses offres auprès d'un nombre élevé de prospects, dans des conditions qui ne pouvaient être répliquées par les concurrents.
Ces concurrents, constitués de PME aux marques inconnues, ont été durablement affectées par l'ensemble de ces pratiques, qui ont perturbé, dès le départ, toute réelle possibilité de concurrence.
Les entreprises présentes sur ce marché, ainsi affaiblies, ont ensuite disparu dans leur quasi intégralité, quand les incertitudes sur le prix de rachat de l'électricité photovoltaïque ont entrainé un ralentissement de la demande et une explosion du coût d'acquisition des clients.